900, 1 300, 1 400 et maintenant 1 700 MWe pour un EPR, la puissance des réacteurs nucléaires n’a cessé d’augmenter au cours des dernières décennies. À l’inverse de cette course à la taille, plusieurs pays, dont la France, développent des petits réacteurs modulaires, encore appelés SMR pour Small Modular Reactors, d’une puissance inférieure à 300 MWe. « Les réacteurs de grande taille se sont développés car ils permettent de réaliser des économies d’échelle, c’est-à-dire de réduire le coût d’investissement du KWe installé et donc le coût de production du KWh produit, explique Jacques Chénais, expert Senior SMR au CEA. Mais ces systèmes ont leur limite. Ils demandent un investissement initial important avant même d’avoir produit un seul KWh. Ils doivent aussi être installés au sein d’un réseau bien maillé, c’est-à-dire à l’intérieur duquel les centrales sont connectées entre elles afin que si l’une d’elles cesse de produire, les autres continuent d’injecter de l’électricité dans le réseau. »
Grâce à leur faible puissance, les SMR évitent ces inconvénients. Alors qu’un EPR de série coûte environ 8 milliards d’euros, cette nouvelle technologie devrait permettre l’accès au nucléaire à des pays primo-accédants en Asie du Sud Est, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. Elle répondra également aux besoins de pays dont le réseau est peu maillé comme le Canada, mais aussi les États-Unis dont les centrales de la côte Ouest et Est ne sont pas raccordées entre elles, au contraire de l’Europe où les pays sont connectés entre eux. Il existe aussi un marché important, dans les années à venir, afin de remplacer les centrales au charbon dont la puissance est souvent comprise entre 300 à 400 MWe.
Un système de sûreté passif intrinsèquement sûr
Afin qu’ils produisent de l’électricité à un tarif comparable à ceux de grande taille, trois leviers sont utilisés afin de réduire le coût d’installation de ces nouvelles unités. Le premier concerne la conception de ces systèmes. Comme les réacteurs à forte capacité, les SMR sont des réacteurs à eau pressurisée. Mais au lieu d’être équipés d’un système à boucles, avec une cuve pressurisée à 150 bars dans laquelle la réaction de fission nucléaire se produit et à l’extérieur, des générateurs de vapeur qui servent à évacuer la chaleur, le système est ici intégré. « L’architecture de cette technologie est beaucoup plus simple, analyse Jacques Chénais. Grâce à leur faible puissance, il est possible d’installer la totalité du circuit primaire à l’intérieur de la cuve, elle-même raccordée au circuit secondaire et son turbo-alternateur. Il n’y a par ailleurs plus besoin d’énergie extérieure pour évacuer la puissance résiduelle puisque le système de sauvegarde utilise la loi de la gravitation. L’eau qui s’échauffe dans le cœur va monter naturellement et être échangée dans un générateur de vapeur de sécurité dédié, situé lui aussi à l’intérieur de la cuve, et relié à un circuit intermédiaire équipé d’un condenseur dont la source froide est un bassin dans lequel est immergée l’enceinte de confinement du réacteur. Cette conception permet d’avoir un système de sûreté passif intrinsèquement sûr et il n’y a plus besoin de diesels de secours. »
Le second levier utilisé pour réaliser des économies se situe au niveau de la fabrication sous la forme modulaire. Les SMR sont conçus par sous-ensembles : cuve, enceinte métallique, turbo-alternateur, systèmes fluides et électriques montés sur berceaux au gabarit des containers standards… Une telle conception permet de les fabriquer en usine puis de les acheminer sur le site d’installation par la route ou sur des barges. Contrairement à une centrale de grande taille dont toutes les pièces sont montées sur place, il suffit ici d’assembler les sous-ensembles sur site. Enfin, le dernier levier employé pour réduire les coûts se situe au niveau de la conception standardisée permettant une fabrication en grand nombre de manière industrielle. « Au final, tous les modules sont fabriqués en usine, dans de meilleures conditions, ce qui est gage de qualité. Il n’y a par exemple pas de grosses soudures à réaliser sur le site à la différence des chantiers de centrales de puissance. »
Des mises en service à l’horizon 2030
Le déploiement des premiers petits réacteurs modulaires est attendu à l’horizon 2030. Même s’ils fonctionnent selon le même principe que les grandes centrales, plusieurs innovations technologiques doivent encore être réalisées avant leur mise en service, notamment le développement de composants capables d’intégrer cette nouvelle architecture intégrée. Le processus de certification par les autorités de sûreté prend également plusieurs années. Certains pays sont plus avancés que d’autres à l’image des États-Unis et leur projet NuScale qui prévoit l’installation de 12 réacteurs de 60 MWe chacun en 2029. La Corée, avec son projet Smart, prévoit aussi un déploiement la même année d’un réacteur de 100 MWe. Les États-Unis développent également un second projet porté par la société Holtec International afin de construire un réacteur de 160 MWe. Du côté de la Chine, la société CNNC travaille sur l’ACP100, un réacteur de 125 MWe. La mise en service de ces deux derniers projets est annoncée autour de 2030.
Depuis 2012, la France, à travers un partenariat qui regroupe EDF, le CEA, Naval Group et TechnicAtome, travaille au développement de son propre SMR. Après une phase d’étude de faisabilité, ce projet, baptisé Nuward, rentre dans sa phase de conception avec l’objectif de construire une centrale de deux réacteurs de 170 MWe chacun, soit une puissance totale de 340 MWe. « Nous pensons que cette puissance correspond à la bonne offre pour le marché, notamment celui du remplacement des centrales au charbon, ajoute Jacques Chénais. Nous considérons aussi que les mix énergétiques de demain proviendront en grande partie d’énergies renouvelables et donc présentant une forte intermittence de la production d’électricité. Le nucléaire permettra de pallier cet inconvénient, car il offre une production pilotable à tout instant à la différence des énergies vertes, avec en plus l’avantage d’être décarbonée, contrairement aux centrales au charbon ou au gaz. Nous misons sur une mise en service autour de 2030 ». Ce projet, soutenu par l’État français, va bénéficier d’une partie du plan de relance du gouvernement, qui a annoncé à la rentrée une aide de 470 millions d’euros pour soutenir la filière nucléaire. La somme dédiée au projet Nuward n’a pour l’instant pas été dévoilée.
En avril dernier, la Russie a installé deux réacteurs de 35 MWe chacun sur une barge afin d’alimenter des sites industriels isolés en Sibérie. Mais il s’agit d’anciens réacteurs qui équipent déjà leurs brise-glaces depuis plusieurs années et qui développent de faibles puissances. Ce pays travaille aussi à la conception d’une nouvelle génération de SMR plus puissant et qui sera déployée dans la décennie à venir.
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