Les moteurs moléculaires ont notamment la capacité de produire un travail mécanique à partir d'énergies propres. Une équipe de chercheurs de l'université de Strasbourg fait le point sur les avancées récentes de ce domaine de recherche émergent.
Les structures biologiques peuvent être assimilées à des assemblages dynamiques de blocs moléculaires. Pour s’adapter à leur environnement, ces blocs intègrent divers systèmes de détection et de réaction aux stimuli extérieurs. S’inspirer de ces propriétés pourrait permettre de créer des matériaux intelligents. Comment ? Par exemple, à l’instar des systèmes vivants, en utilisant des moteurs moléculaires comme blocs de construction.
Ces moteurs moléculaires pourraient par exemple servir à concevoir des nanorobots utilisables dans les systèmes d’administration ciblée de médicaments, mais aussi des matériaux macroscopiques capables de produire un travail mécanique à partir d’énergies propres.
Qu’est-ce qu’un moteur moléculaire ?
Un moteur moléculaire est une molécule capable de produire un travail mécanique contrôlé à l’échelle du nanomètre. L’assemblée moléculaire en mouvement est considérée comme un moteur. Comme tout moteur, il nécessite un apport d’énergie extérieur : cette énergie peut être thermique, électrique, photonique, chimique, etc.
Le concept de moteur moléculaire ouvre une multitude de portes. L’équipe du professeur Nicolas Giuseppone l’a récemment détaillé dans deux articles extrêmement denses, publiés pour les revues Advanced Materials (Wiley) et Chemical Reviews (American Chemical Society).
Ainsi, en partant d’un moteur moléculaire, il est possible de créer de nombreux matériaux 1D, 2D, et 3D (polymères, cristaux liquides, etc.).
Prenons le cas d’une molécule capable de se contracter ou de s’étendre sous l’effet d’un changement, telle une variation de pH.
“Imaginons un assemblage de 1 000 de ces nanomachines moléculaires. Les mouvements infimes de 1 nm produits par chaque machine s’additionnent alors pour former en quelque sorte un vérin dont la course sera de 1 µm”, détaille Nicolas Giuseppone.
Est-il possible de créer des machines plus grandes ? Cela est possible en combinant ces processus microscopiques avec d’autres niveaux d’organisation hiérarchique, par exemple en agrégeant ces chaînes polymères en fibres, un peu à l’image de ce qui est mis en œuvre dans la contraction musculaire.
“Ici, il est nécessaire de coupler la chimie moléculaire à des procédés de mise en forme issus de l’ingénierie des matériaux”, remarque le professeur Giuseppone.
Passer à l’échelle macroscopique, un défi
À l’heure actuelle, “on a compris comment fonctionne le mouvement à l’échelle moléculaire et on sait contrôler mécaniquement la matière à l’échelle nanométrique”, souligne Nicolas Giuseppone.
Son équipe travaille actuellement sur deux axes de recherche. Il s’agit d’une part de répondre à la question « comment transformer un moteur moléculaire en moteur macroscopique ? » et d’autre part d’utiliser les machines moléculaires pour “s’intéresser à la transmission de messages vers des cellules vivantes”.
Ce deuxième point, à l’interface entre la chimie et la biologie, est particulièrement passionnant : “Ça ouvre beaucoup de perspectives, car les cellules sont très sensibles à leur environnement mécanique”, ajoute le professeur Giuseppone.
Un champ de recherches émergent, mais déjà nobélisé
Ces travaux s’inscrivent dans la continuité de ceux de Jean-Pierre Sauvage, Fraser Stoddart et Bernard Feringa, récompensés en 2016 par le prix Nobel de chimie en tant que pionniers de ce domaine émergent.
En effet, bien que les principes de fonctionnement des nanomachines aient été discutés dès la fin des années 50 par le physicien Richard Feynman, c’est seulement en 1983 que Jean-Pierre Sauvage a ouvert la voie à la fabrication de machines moléculaires en mettant au point une méthode chimique permettant d’imbriquer des anneaux moléculaires les uns avec les autres.
Le professeur Giuseppone précise : “C’est un prix Nobel qui a été donné assez tôt par rapport aux avancées technologiques produites. Souvent, les prix Nobel viennent récompenser des travaux ayant déjà démontrés leur utilité d’un point de vue applicatif. Ce qui a été récompensé ici concerne les premières réalisations de machines et de moteurs à l’échelle moléculaire avec la promesse d’applications qui seront en rupture”.
Des applications partout
Ce “pari sur l’avenir” de la part du comité Nobel n’est pas anodin, car les applications potentielles de ces moteurs moléculaires sont nombreuses. Des domaines comme la mécanique, la médecine, l’électronique, l’optique ou la plasmonique sont autant d’exemples expliqués en détail dans les deux rapports publiés en janvier 2020.
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