Créée en 2014, la start-up BioSerenity développe des dispositifs innovants pour réaliser des diagnostics médicaux, notamment des vêtements connectés. Dès le début de l’épidémie du Covid-19 en mai 2020, l’entreprise a pris contact avec deux unités de recherche où collaborent des chercheurs de l’université de Lille, du CNRS, de l’Inserm et du CHU de Lille, et a noué un partenariat avec eux. Depuis la grippe H1N1, ces derniers mènent un travail de recherche fondamentale sur le développement d’une technologie de fixation d’antivirus sur des fibres. Alors que cette technologie est encore à l’échelle du laboratoire, Bioserenity collabore à ce travail pour l’amener à maturité, jusqu’au stade industriel. Depuis février 2021, la start-up fabrique et commercialise des masques de protection à usage unique baptisés Cidaltex, qui en plus de filtrer les virus et les bactéries, ont une action de décontamination en les inactivant. Entretien avec Gaétan Gerber, docteur en physique de la filtration et manager du programme masques innovants chez BioSerenity.
Techniques de l’Ingénieur : Comment fonctionnent les masques décontaminants Cidaltex ?
Gaétan Gerber : Nous sommes partis du meltblown, un matériau utilisé pour concevoir nos masques chirurgicaux et FFP2 traditionnels, que nous avons commencé à fabriquer pour faire face à la crise sanitaire. Le meltblowm est composé de très petites fibres enchevêtrées les unes avec les autres qui laissent passer l’air tout en bloquant dans les deux sens les agents pathogènes. Notre innovation a consisté à enrober ces fibres à l’aide d’un polymère, la cyclodextrine, élaboré à partir de l’amidon de maïs. Cette molécule ressemble à une sorte de petite cage à l’intérieur de laquelle il est possible d’introduire un agent antiviral. La cyclodextrine est déjà utilisée dans le domaine médical, depuis plus de 15 ans, notamment pour fixer des biocides sur des prothèses. Notre travail a consisté à adapter cette technologie aux matières fibrées utilisées dans les masques.
Un biocide doit donc être ajouté à l’intérieur de cette molécule-cage ?
Oui, nous piégeons dans la cyclodextrine un agent antiviral de type ammonium quaternaire (AQ), déjà utilisé dans de nombreux produits pharmaceutiques et médicaux certifiés, dont des produits implantables. Cet antiviral possède un très large spectre et est donc dans un premier temps piégé par la cyclodextrine tout au long de la surface des fibres. Il va ensuite se libérer au contact des pathogènes qui passent au travers du masque.
Il existe d’autres techniques pour rendre des masques décontaminants, comme par exemple le dépôt de nanoparticules métalliques sur un masque. Ce dépôt de surface est beaucoup plus simple à réaliser techniquement, mais est, selon nous, peu efficace et surtout potentiellement dangereux pour l’utilisateur. Il est souvent appliqué sur la couche externe du masque, à un endroit où les fibres sont extrêmement larges et séparées et où le virus passe très facilement au travers sans s’arrêter. Notre innovation se différencie dans le fait que notre antiviral a des effets bien connus, qu’il est fixé à l’intérieur du masque, sur la couche qui a pour fonction de piéger les agents pathogènes et qu’il va se libérer dès qu’il sera au contact avec des virus ou des bactéries.
Quelle est l’efficacité de vos masques décontaminants ?
La couche Cidaltex composée de ce matériau meltblown enrobé de cyclodextrine et à l’intérieur de laquelle se trouve le biocide a fait l’objet de plusieurs études dans un laboratoire français agréé pour manipuler des virus et des bactéries. Ces études ont démontré que lorsque des bactéries de référence sont au contact de cette couche, nous obtenons une réduction de 99,99 % du nombre d’E. coli en moins d’une heure et de S. aureus en moins de deux heures.
Nous avons aussi des résultats très récents qui simulent l’utilisation de ce masque dans des environnements contaminés comme peut l’être une pièce close dans un hôpital, où la charge virale dans l’air peut être très importante. Lorsqu’on fait passer un flux d’air contaminé à travers notre masque Cidaltex FFP Médical, nous obtenons une réduction de 99,995 % du nombre de virus en moins de 5 minutes. Ce résultat a été réalisé sur un coronavirus humain, il s’agit de la souche 229E, qui n’est pas celle du SARS-CoV-2, mais qui a une structure très similaire.
Quels types de masques commercialise BioSerenity ?
Nous avons une gamme de deux masques possédant cette matière filtrante et décontaminante. Ils sont à usage unique et ont une durée d’utilisation de 4 heures. Tout d’abord, le masque Cidaltex chirurgical de type IIR qui répond à la norme EN 14683 et vendu 44 centimes d’euros la pièce TTC pour les particuliers. L’innovation a un coût, mais nous avons souhaité rester proches du prix des masques traditionnels de bonne qualité, pour que ce niveau de protection supplémentaire n’entraîne pas un coût rédhibitoire pour le public.
Ensuite, nous vendons un masque Cidaltex FFP Médical qui remplit les conditions de filtration d’un masque FFP2. Il filtre bien plus efficacement toutes les particules de la taille des virus et offre un niveau de protection supérieur. Il est recommandé dans des environnements clos et contaminés, l’application principale étant les établissements de santé à destination du personnel de soins et des patients. Son prix est de 1,50 € par pièce TTC.
Quelles sont vos capacités de production ?
Nous pouvons fabriquer un million de masques par jour sur l’ensemble de notre gamme, qui comprend également nos masques chirurgicaux et FFP2 traditionnels. Depuis fin février, date du début de leur commercialisation, nous avons commencé à livrer nos premiers masques Cidaltex. Les volumes vont progressivement augmenter dans les mois à venir. Notre technologie est protégée par un brevet français et mondial. Nous sommes en discussion pour mettre en place une licence afin d’offrir la possibilité à d’autres entreprises de produire ces masques ou la matière Cidaltex elle-même et permettre à plus de personnes de bénéficier de ce niveau de protection supérieur.
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