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Interview

Des innovations textiles ingénieuses dans le sport de haut niveau

Posté le par Alexandra VÉPIERRE dans Matériaux

Par leurs fonctionnalités variées, les matériaux textiles sont très présents dans le domaine du sport de haut niveau. Mais comment les innovations textiles impactent-elles la performance des athlètes ?

Autant pour l’habillement des athlètes que dans les équipements sportifs, les matériaux textiles sont partout dans le sport de haut niveau. Chaque discipline requiert des propriétés différentes selon ses spécificités et les conditions climatiques liées. Grâce aux innovations dans le domaine du textile, de nouvelles fonctionnalités permettant d’optimiser les performances des athlètes, de garantir leur sécurité et d’améliorer leur confort. 

L’Institut Français du Textile et de l’Habillement (IFTH) est un centre de référence pour les marques des filières textile et mode. Il maîtrise toutes les étapes de la chaîne de valeur, des fibres et fils à la confection, avec des compétences en fibres innovantes, fonctionnalisation et en recyclage. Julien Couineau, chef de projet R&D, et Pascal Rumeau, directeur scientifique adjoint de la R&D, nous dressent un panorama des innovations textiles dans le secteur du sport de haut niveau, et détaillent leurs avantages. 

Techniques de l’Ingénieur : Où sont présents les matériaux textiles dans le sport ?

Julien Couineau
Julien Couineau, chef de projet R&D

Julien Couineau : On en retrouve partout, autant sur l’athlète que dans les équipements qu’il va utiliser. Dans le cyclisme par exemple, les cadres de vélo sont en composite avec un taux de fibres pouvant atteindre 80%. En parallèle, la combinaison du cycliste est en textile, tout comme les combinaisons des escrimeurs, des triathlètes etc. La coque des voiliers est aussi en composite tandis que ses voiles sont en textile. L’utilisation de textiles nous permet de révolutionner la conception des produits et d’apporter des fonctionnalités spécifiques et calibrées dans les zones où on en a besoin.

Comment sont modifiées les fonctionnalités des textiles pour être plus adaptées aux sportifs ?

J.C. : L’avantage du textile, c’est qu’on peut jouer sur l’ensemble de ses paramètres, du choix de la matière première jusqu’au choix de la structure du fil et de son assemblage pour lui donner des propriétés. C’est toute cette souplesse dans le processus qui va permettre de proposer un produit pertinent avec toutes les fonctionnalités attendues. Lors de la conception d’un vêtement ou d’un équipement sportif, nous partons de la matière première pour la transformer en fibres, puis en fils, puis en étoffes. A chacune de ces étapes de fabrication, des fonctionnalités peuvent être ajoutées aux matériaux, ce qui devient très intéressant pour les textiles à destination du sport de haut niveau. Selon leur géométrie, les fils choisis peuvent avoir des propriétés comme le drainage de l’humidité, l’isolation thermique. Lors de l’ennoblissement, une des dernières étapes de fabrication d’un textile, on peut ajouter des propriétés comme la déperlance.

Pascal Rumeau
Pascal Rumeau, directeur scientifique adjoint de la R&D.

Pascal Rumeau : Pour créer des matières synthétiques, on part souvent de granulés plastiques, puis une fois transformés en multifilaments, on peut introduire des additifs, à base d’oxyde métallique par exemple, pour ajouter des fonctionnalités au fil. Une fois le fil transformé en étoffe, la fonction sera directement intégrée et va modifier le comportement du tissu, dans sa capacité à évacuer la chaleur ou à être un meilleur isolant en conditions froides.

 

 

Comment les innovations sur les textiles peuvent influer sur la performance ?

J.C. : Les textiles agissent sur plusieurs leviers pour améliorer la performance physique d’un athlète : ils favorisent l’amplitude des mouvements, la vitesse, la force ou l’endurance.

Les textiles peuvent devenir supports de capteurs quand il s’agit d’instrumenter les athlètes pour mesurer leurs efforts. Ils agissent aussi sur la compression à l’effort dans le but de favoriser la circulation sanguine et de réduire les mouvements musculaires. Par exemple, les shorts de compression Adidas ont inclus lors du tissage une fibre viscoélastique qui se durcit quand elle est soumise à une contrainte. L’idée est de se raidir quand l’intensité est plus importante pour contrôler le mouvement du muscle et limiter les traumatismes musculaires. 

Ensuite, les textiles ont un impact sur l’aérodynamisme et favorisent la circulation de l’air autour du corps en mouvement. Dans le cyclisme, 90% de l’énergie dépensée par un cycliste à 45 km/h permet uniquement de lutter contre la résistance de l’air. Ainsi, la conception du vélo et la prise en compte des frottements à l’air générés par le vêtement vont être primordiaux. Sur les combinaisons, on peut trouver des bandes rugueuses sur les parties qui font face au vent permettant d’ouvrir le flux d’air en décrochant l’écoulement, tandis que le reste du vêtement est profilé pour que l’air vienne glisser sur l’athlète. 

La modification de la géométrie de la section des fils permet aussi d’agir sur la gestion de l’humidité et de la température, en favorisant le drainage de l’humidité par exemple. Si ces facteurs n’ont pas une influence directe sur les performances d’un athlète, en revanche, ils jouent sur son confort. Prenons les membranes imper-respirantes qui protègent de la pluie et favorisent l’évacuation de l’humidité : ces équipements ne vont pas mener un athlète à la victoire mais peuvent en revanche faire perdre le sportif s’ils ne sont pas présents. Enfin, les innovations sur les textiles permettent de proposer des équipements toujours plus légers.

Quels gains concrets apportent ces innovations ?

J.C. : Prenons le P24, le dernier vélo de LOOK qui a notamment été utilisé par l’équipe de France aux JO 2024. Grâce à des modifications de la forme du cadre et de la fourche, les équipes ont réussi à concevoir un vélo plus aérodynamique. Selon leurs études, l’utilisation d’un P24 en poursuite permet de gagner 21 centièmes de secondes par tour, soit 3,5 secondes sur 16 tours, ce qui correspond à 61 mètres d’avantage. Ce gain peut donc clairement avoir un impact sur un podium. Autre exemple, la marque de chaussures “On” a développé la technologie LightSpray qui propulse un filament de 1500 mètres directement sur une semelle de compétition, pour créer une chaussure en une seule étape, sans colle, ni coutures ou lacets. Chaque chaussure est donc 40g plus légère qu’avec une conception traditionnelle. Or selon une étude, durant un marathon, une réduction de 100g sur ses chaussures permettrait de gagner 78 secondes, ce qui équivaudrait à la différence entre la première et la sixième place au marathon des JO Paris 2024.

Sur quels autres facteurs les textiles ont-ils un rôle à jouer ?

J.C. : Outre sur le plan physique, les textiles peuvent agir sur d’autres facteurs de performance que sont le psychique, la technique et la stratégie. Du point de vue psychique d’abord, des textiles bien choisis permettent de favoriser la confiance des athlètes. Prenons par exemple les combinaisons anti-voyeuristes, fabriquées par Mizuno avec des textiles isolants aux infrarouges, utilisées par l’équipe japonaise de gymnastique. Les athlètes se sentent donc plus en confiance pour performer. Par ailleurs, Cutex Pro a développé des textiles légers, respirants et très résistants avec des fibres hautement orientées de Dyneema, un type de polyéthylène. Ainsi, les athlètes en patinage de vitesse se sentent protégés des coupures en cas de chute et peuvent prendre davantage de risques sur la piste. Enfin, Adidas a développé une technologie pour donner une protection supplémentaire aux femmes lors de leurs menstruations et donc leur donner un sentiment supérieur d’aisance dans cette période-là.

Du point de vue technique, les innovations textiles ont un impact sur la façon de pratiquer certains sports. Par exemple, les appendices aérodynamiques que l’on retrouve dans les sports mécaniques, comme les ailerons pour les motos qui permettent de les stabiliser en ligne droite et agissent comme un anti-wheeling sur les phases d’accélération. Autre exemple : les chaussures avec des plaques en composite permettent d’augmenter les volumes d’entraînement, tout en limitant les risques de blessure, car le travail du pied est réduit par rapport à des chaussures souples. 

Enfin, un bon choix de textile est aussi stratégique. En 2008, l’espagnol Kilian Jornet a remporté son premier Ultra-trail du Mont Blanc notamment grâce à du matériel extrêmement léger. Miniaturiser les matières a permis de rendre son équipement plus compact et léger, afin de ménager ses efforts.

Du côté de l’IFTH, avez-vous travaillé sur certaines innovations textiles pour le sport de haut niveau ?

P.R. : Avec l’IFTH, nous travaillons sur un large spectre d’activités, de la mode au luxe en passant par les textiles techniques. Nous ne travaillons donc pas uniquement sur le sport mais il nous arrive d’avoir des projets dans ce secteur. Par exemple, nous avons travaillé récemment sur un projet qui vise à développer un fil à destination des rugbymen. Ce fil doit combiner deux fonctionnalités : la compression amenée par l’élasticité, et l’intégration d’additifs spéciaux pour changer le comportement aux rayonnements infrarouge du matériau afin d’agir sur la régulation thermique. Il existe une matière bien connue qui s’appelle l’élasthanne, qui est réputée pour son élasticité. Cependant, cette matière comporte des inconvénients : elle n’est pas recyclable et elle est très sensible aux UV. Un des sujets aujourd’hui est donc de trouver une alternative recyclable à ce matériau, tout en restant fonctionnel. Autre exemple qui n’a pas abouti cette fois, la Fédération française d’escrime nous avait contacté peu avant les JO pour revisiter la veste des escrimeurs, qui devient très vite une étuve car elle évacue très mal la chaleur. Nous aurions pu alors réfléchir au choix des matières, changer les propriétés de drainage et d’évacuation de la transpiration, optimiser la ventilation, retravailler la construction de l’étoffe. Mais le timing était trop serré.

Quels sont les travaux en cours pour préparer les innovations textiles futures ?

P.R. : Un des axes forts de R&D d’aujourd’hui et de demain, c’est la recyclabilité des matières. Il existe une multitude de matières sur le marché qu’il faut apprendre à traiter en fin de vie. On travaille beaucoup sur les technologies de recyclage des matières, mais lorsqu’un tissu est multifonctionnel, il est bien souvent multimatériaux donc il faut trouver comment les isoler pour les recycler séparément. Nous travaillons aussi beaucoup sur l’écoconception via le choix des matériaux, des procédés de transformation et d’assemblage pour être en capacité de les recycler de façon aisée.

J.C. : Autant dans les années 80, il y avait beaucoup d’innovations en termes de matières avec de nouvelles propriétés, autant je remarque que ces 10-20 dernières années, il y a moins d’innovations majeures sur les fibres. Ce que nous avons aujourd’hui suffit amplement, il s’agit maintenant d’utiliser le bon produit dans de bonnes quantités et au bon endroit. Au lieu de mettre les meilleures fibres qu’on dispose, on va utiliser la matière de la façon la plus intelligente possible. Par exemple, on a constaté que les vélos étaient beaucoup plus performants si on optimisait l’emplacement et l’orientation des fibres de carbone, plutôt que d’utiliser la matière de manière brute. Notre manière de concevoir est plus ingénieuse afin d’optimiser ce qui a été développé par le passé, tout en favorisant le recyclage et l’utilisation de biomatière.

Propos recueillis par Alexandra Vépierre

Crédit photo de Une : IFTH

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