Mais lorsque plantes de culture et adventices sont mélangées? Des chercheurs de Gembloux Agro-Bio Tech ont mis au point une méthode de reconnaissance basée sur la hauteur des plantes.
Responsable du service Mécanique et construction au sein de Gembloux Agro-Bio Tech, le Professeur Marie-France Destain, situe d’emblée les recherches que son laboratoire mène aujourd’hui : » Le service s’est toujours occupé de la mécanisation de l’agriculture. Mais depuis quelques années, nous avons mis l’accent sur les capteurs et les systèmes automatiques. La vision artificielle prend évidemment une place importante dans ce contexte. Mais c’est une vision artificielle un peu particulière puisque située dans un environnement extérieur, très différent d’un milieu industriel où il y a toujours le même éclairage par exemple. Ici, nous sommes en présence d’un éclairage fluctuant, d’un sol qui est très variable, etc. Les conditions environnementales changent constamment. Nous avons commencé par le contrôle de qualité de fruits et légumes et une spin off (Visar) qui propose des machines de tri en temps réel de carottes ou de pommes de terre a été créée. Nous avons aussi fait du contrôle de semences. Dans le cadre d’un nouveau master en sciences et technologies de l’environnement, notre expérience en vision a été réorientée vers des aspects environnementaux et nous sommes ainsi arrivés à la reconnaissance des adventices, c’est-à-dire les mauvaises herbes. C’est un challenge important puisqu’à l’heure actuelle, on utilise beaucoup d’herbicides avec les conséquences que l’on sait. Or, en agriculture biologique, les règlementations sont très strictes et, aujourd’hui, il faut presque toujours travailler de manière manuelle! Une société nous a donc contactés pour étudier l’idée d’un robot qui pourrait reconnaître et détruire les mauvaises herbes automatiquement. «
Qu’il faille détruire les » mauvaises herbes » ou adventices, tout jardiner le sait: elles prennent la lumière, l’eau, les nutriments et l’espace au détriment des plantes qu’on veut cultiver. Sans parler des semences qu’elles ne manqueront pas de semer à tout vent. Chacun sait aussi qu’il existe plusieurs méthodes pour s’en débarrasser : chimiques, non chimiques, intégrées ou, le plus souvent, une combinaison de ces moyens. L’idée d’essayer de faire détruire ces adventices pas des robots n’est pas neuve. Il en existe déjà sur le marché mais ils ne sont utilisables que quand on connaît a priori l’écartement entre les lignes et entre les plantes (et que celui-ci est conservé bien sûr !).
La hauteur des plantes
Mais le défi relevé par les chercheurs gembloutois est d’une toute autre nature: comment faire lorsque plantes de culture et mauvaises herbes sont mélangées? Dans ce cas, évidemment, l’étape la plus importante est celle de la reconnaissance: comment le robot va-t-il être capable de distinguer les plantes qu’il doit détruire de celles auxquelles il ne doit pas toucher ?
La première idée a été la plus naturelle car la plus » humaine « : différencier les plantes par leur couleur. Mais cela s’est vite avéré être un échec car c’est une caractéristique qui n’est pas assez discriminante, en tous cas pas avec la technologie actuelle, l’illumination non uniforme, tant en intensité qu’en longueur d’onde de la lumière, venant troubler la reconnaissance. Une deuxième possibilité, tout aussi naturelle, est de différencier les plantes par leur morphologie, leurs formes. Mais ici aussi, on se heurte à deux difficultés: la variabilité du feuillage même au sein d’une même espèce et le fait que les feuilles sont souvent superposées, ce qui ne permet pas aux systèmes de vision de distinguer correctement les feuilles. » Nous nous sommes alors basés sur une idée simple, explique le Professeur Destain. En principe, les bonnes plantes, puisqu’elles sont semées le même jour, poussent à la même vitesse. Les adventices, elles, ont des vitesses de croissance différentes. Donc, à un jour donné, elles auront des tailles différentes! » Idée simple en effet, mais compliquée à réaliser. Car faire mesurer des hauteurs de plantes en temps réel et en continu par un système pose tout de même quelques problèmes.
Pour y arriver, l’équipe de Marie-France Destain a eu recours à la vision stéréoscopique. Le système le plus connu et le plus simple est la stéréoscopie passive. Dans ce cas, on utilise deux caméras qui doivent viser le même point; le système calcule la hauteur à partir de ces deux points. Mais vu la grande variabilité des cas, cela s’est avéré insuffisant. » Nous avons donc, explique Marie-France Destain, utilisé une méthode de stéréoscopie active: un projecteur vidéo projette sur la plante une série de franges lumineuses noires et blanches codées, un peu comme un code-barre. La scène perçue par les caméras laisse apparaître des distorsions de lignes, information de relief. Bien sûr, nous ne nous contentons pas d’un seul cliché, il faut en prendre un grand nombre; chaque image est donc formée de plusieurs images intermédiaires. Le principe de décodage repose sur la corrélation entre signaux émis et signaux reçus. «
Si cette méthode permet des mesures de grande précision, elle présentait cependant un inconvénient: ce qu’elle mesure est la distance plante-caméra et non la hauteur de la plante. Or si le relief est inégal (ce qui est toujours le cas dans les champs!), ce n’est pas parce que la distance plante-caméra est la même pour deux plantes (conditions pour ne pas les détruire) que ces deux plantes ont la même hauteur depuis le sol! » Il a donc fallu, poursuit Marie-France Destain, corriger les distances caméra-objet en modélisant le relief du sol. Nous reconstituons le sol qui est sous les plantes par une interpolation à partir de pixels de sol visibles sur les images. » Le système, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet, a été intégré dans un prototype de laboratoire qui a donné toute satisfaction, la reconnaissance étant correcte dans plus de 80% des cas. Le taux n’est évidemment pas de 100%, mais s’il est implémenté sur un robot, celui-ci peut circuler tout le temps dans le champ, à l’instar des robots tondeurs de pelouses.
Intervenir lors d’une période précise
Il reste cependant un point à régler: comment le robot va-t-il savoir qu’il doit intervenir ? Faut-il introduire des données sur les hauteurs de plantes par exemple? » Non, répond Marie-France Destain. Au départ, on se disait qu’il fallait introduire la date de semis, à partir de laquelle le système allait déterminer la hauteur la plus probable des plantes en fonction de cette date. Mais il y a les aléas climatologiques, etc. Nous avons donc choisi de travailler en tenant compte d’aspects statistiques liés à la croissance des plantes. «
Sur les courbes présentées ici, on voit qu’à une certaine période, les carottes sont vraiment beaucoup plus grandes que le reste. On isole ainsi une période pendant laquelle le travail du robot sera optimal. Autrement dit aussi, on sait que le système ne fonctionnera pas, par exemple, si on intervient trop tard: comme le montrent les courbes de distribution de probabilité, la différence de hauteur entre plantes et mauvaises herbes ne sera plus discriminante. C’est aussi l’intérêt d’avoir un robot qui passe sans arrêt pour intervenir le plus tôt possible. Le système mis au point à Gembloux l’a été pour la détection des plantes dans la bande semée; en-dehors, on peut intervenir par des solutions existantes, également mécaniques puisque des robots sont déjà commercialisés pour ce type d’intervention. La suite des recherches porte actuellement sur le système de destruction sélective. L’idée est de trouver le système optimal pour détruire les mauvaises herbes en sachant qu’elles sont petites: il pourrait donc s’agir soit d’une destruction thermique (brûler par la chaleur), soit électrique (une faible décharge suffit) ou éventuellement mécanique (arrachage).
Publié par P.T
Source : Bulletins électroniques