La start-up MOÏZ a eu l'idée de rendre autonome en énergie des capteurs connectés grâce à l'effet thermoélectrique. Trois ans après sa création, elle est sur le point d'industrialiser un premier module, destiné notamment à l'industrie lourde. Rencontre avec le cofondateur de cette entreprise.
Créée en 2020, la start-up MOÏZ est issue de dix années de travaux de recherche au sein de l’Institut Néel, un laboratoire du CNRS situé à Grenoble. Cette deep-tech conçoit des technologies capables de récupérer l’énergie thermique présente dans l’environnement afin de rendre autonomes des capteurs connectés. Après avoir été maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes (UGA) et à l’Institut Néel, Dimitri Taïnoff a cofondé cette entreprise et en est aujourd’hui le CEO. Il nous parle des nouvelles technologies développées par MOÏZ, et notamment de l’une d’elles, qui rentre dans une phase d’industrialisation.
Techniques de l’Ingénieur : Sur quel principe reposent les technologies développées par MOÏZ ?
Dimitri Taïnoff : Nous utilisons l’effet thermoélectrique, un phénomène physique qui consiste à produire de l’électricité grâce au flux de chaleur qui traverse les matériaux. À partir de ce principe, nous utilisons et développons des modules thermoélectriques capables de produire une tension à partir d’un déséquilibre de température dans l’environnement, même de quelques degrés. Cette tension produite n’est pas valorisable en l’état, car dans le meilleur des cas, elle atteint seulement quelques centaines de millivolts, un niveau bien en-dessous des standards de l’électronique. Nous possédons ensuite un savoir-faire pour redresser de très petites tensions afin de les rendre exploitables par des microcontrôleurs.
Quel type de modules thermoélectriques concevez-vous ?
Nous avons eu l’idée d’utiliser la thermoélectricité pour rendre autonome des capteurs qui consomment assez peu d’énergie. Nous avons commencé à développer un premier module appelé Nano-TEG et destiné notamment au marché des bâtiments intelligents, de la smart city, ainsi que du secteur tertiaire.
En attendant que ce procédé soit mature, nous avons conçu ce que l’on appelle un MVP (Minimum Viable Product) de cette technologie. En clair, nous avons fabriqué un autre module à partir de composants qui existaient déjà sur le marché et que nous avons intégrés avec une architecture innovante. Ce module de mesure autonome s’appelle Harvestree et est notamment destiné à l’industrie lourde. Il peut intégrer jusqu’à 4 capteurs différents (température, pression, vibration, CO2…) et est donc alimenté en énergie par un module thermoélectrique. Cet appareil se pose sur une surface chaude ou froide et si la différence de températures est supérieure à 10 degrés, il est capable de transmettre les données de mesure toutes les 5 minutes grâce à la technologie de communication radio LoRaWAN (Long Range Wide Area Network). Ce nouveau produit a tellement bien fonctionné que nous avons décidé de le breveter puis de le commercialiser.
Quelle puissance peut délivrer cet appareil et quels sont ses avantages ?
La puissance s’élève à quelques milliwatts et dépend de l’écart de température dans l’environnement. Notre module est robuste et étanche et se révèle particulièrement bien adapté à l’industrie lourde, où il n’est pas rare de rencontrer des différences de température de plusieurs dizaines de degrés. Dans ce cas, notre capteur produit l’équivalent de 20 piles pendant 10 ans, ce qui correspond à sa durée de vie. Cela signifie que pour atteindre la même performance avec un capteur sur batterie, il faudrait remplacer 20 fois la pile.
Étant donné que notre module récupère tout le temps de l’énergie, il est aussi capable de faire plus de choses. Par exemple, un capteur de température sur batterie en LoRa envoie un message par heure pendant 5 ans. Au-delà, il faut changer la pile. Le nôtre peut envoyer un message toutes les 1 à 2 minutes pendant 10 ans et peut aussi faire du micro edge computing, c’est-à-dire embarquer de l’intelligence afin de procéder à du traitement et éviter d’envoyer toutes les données brutes.
Notre appareil est aussi une alternative aux capteurs branchés sur secteur qui nécessitent de poser parfois plusieurs dizaines de mètres de câble, surtout dans les usines où il n’y a pas forcément de prises de courant à proximité de l’endroit où ils doivent être installés. Le câblage des capteurs coûte très cher et nous amenons une solution bon marché face à ce problème.
Pouvez-vous nous donner des exemples d’applications ?
Notre plus gros client s’appelle Rio Tinto, un grand groupe dont une des spécialités est l’électrolyse de l’aluminium et qui a besoin de surveiller ses process à l’aide de capteurs. Nous avons également des capteurs installés sur un barrage hydroélectrique et qui mesurent la température de distribution du courant grâce à la chaleur qui se dissipe.
Nous travaillons aussi avec la SNCF pour l’aider à surveiller les caténaires au-dessus des voies ferrées. Ici, l’idée est de récupérer la chaleur du soleil qui illumine le module et d’alimenter ainsi en énergie plusieurs capteurs. Les cellules photovoltaïques ne sont pas adaptées à cet environnement, car elles s’encrassent. Le coût de la maintenance pour les nettoyer ou alors pour remplacer une pile est trop élevé, car il faut intervenir à 5 mètres du sol sur une ligne à haute tension. Notre module est capable de mesurer la température du câble sous tension ainsi que plusieurs paramètres météos afin de détecter la présence de givre et empêcher l’endommagement des pantographes.
À quel stade se trouve le projet de votre entreprise ?
Une centaine de prototypes ont été fabriqués et sont installés chez une douzaine d’industriels. Nous avons lancé une campagne de levée de fonds d’un montant de 3 millions d’euros pour industrialiser notre technologie. La fabrication de ce module sera sous-traitée à un partenaire industriel et devrait débuter en fin d’année 2024. Nous en auditons actuellement plusieurs pour faire notre choix et ils sont tous situés en France.
La levée de fonds va aussi nous permettre de poursuivre le développement du premier module appelé Nano-TEG. Le principe technologique est le même que celui d’Harvestree, mais son format est plus compact et son prix moins élevé. La puissance récupérée sera comprise entre 50 et 100 microwatts ce qui, intégré sur plusieurs années, permettra de délivrer autant d’énergie que celle contenue dans une pile standard. La technologie sort du laboratoire et le principal défi est d’utiliser des composants de modules thermoélectriques, qui sont habituellement assemblés de manière tridimensionnelle, afin de reproduire cette architecture dans un dispositif planaire. La commercialisation de ce produit est programmée d’ici 2 à 3 ans.
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