Après les biocarburants de première génération issus de matières végétales alimentaires, ceux de deuxième génération produits à partir de biomasse lignocellulosique, une troisième génération suscite aujourd'hui un vif engouement. Daphné Lorne, ingénieur économiste à IFP Energies nouvelles, nous détaille les enjeux autour de ces nouveaux biocarburants.
Il s’agit de produire des biocarburants, biodiesel et biokérosène, à partir des microalgues riches en huiles, dites lipidiques. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que ces biocarburants puissent être développés à grande échelle. Interview :
Qu’appelle-t-on microalgues lipidiques ?
Daphné Lorne : Ce sont des algues microscopiques, vivant en milieu aquatique, qui produisent naturellement des lipides (huiles). Elles peuvent être cultivées en conditions autotrophes, c’est à dire que pour leur croissance elles n’utilisent que de l’eau, des sels minéraux, du CO2 et la lumière du soleil. A l’instar des plantes terrestres, elles fixent le CO2 en utilisant l’énergie solaire par le mécanisme de la photosynthèse. Certaines espèces de microalgues peuvent être cultivées en mode hétérotrophe à l’abri de la lumière et avec une alimentation en sucres. Cultivées dans certaines conditions (carence en certains nutriments par exemple) elles peuvent se mettre à produire et accumuler des lipides, principalement des triglycérides, dont la teneur peut atteindre jusqu’à 80 % de la matière sèche. Sur les centaines de milliers d’espèces d’algues existantes, 300 environ ont d’ores et déjà été identifiées pour leur richesse en huile.
Quels sont leurs avantages comme source potentielle d’énergie ?
Les algues sont cultivées sur des surfaces qui à priori n’entrent pas en compétition avec les surfaces agricoles. Elles ont des rendements en biomasse à l’hectare, ainsi que des teneurs en huile, supérieurs à ceux des plantes oléagineuses comme le colza ou même le palmier à huile : les résultats obtenus au stade du laboratoire laissent espérer des productivités d’huile par hectare 6 à 20 fois plus importantes. Autre avantage, la croissance des algues lipidiques nécessitant d’importantes quantités de CO2, on peut envisager de recycler ainsi le CO2 émis par des usines ou des centrales thermiques. De plus, la biomasse algale fournit aussi des produits annexes à haute valeur ajoutée – comme les protéines, les vitamines ou les oligo-éléments – qui peuvent être valorisés par ailleurs (agroalimentaire, cosmétique, pharmacie, etc.). Si les algues sont déjà utilisées comme matières premières pour la chimie de spécialités, il s’agit là de productions en petits volumes. Mais leur production en masse pour une utilisation comme source d’énergie fait face à des défis scientifiques, techniques et économiques, qui sont loin d’être résolus.
Comment les produit-on ?
Les microalgues, préalablement sélectionnées pour leur richesse en huile peuvent être cultivées massivement, soit dans de grands bassins de plein air, soit dans des photobioréacteurs (tubes transparents). Les algues sont récoltées régulièrement et l’huile est extraite selon différents méthodes (centrifugation, traitement au solvant, lyse thermique…). Ensuite on peut mettre en œuvre deux types de conversion de l’huile en biocarburant, identiques à ceux utilisés pour les huiles végétales classiques :
- la transestérification, qui fait réagir l’huile algale avec du méthanol ou de l’éthanol, produit un ester d’huile algale ou biodiesel, tout à fait comparable à celui obtenu à partir des autres types d’huiles végétales. Il peut être mélangé au gazole en proportion limitée à une dizaine de pourcent volume.
- l’hydrogénation catalytique qui fait réagir l’huile en présence d’hydrogène, suivie d’un hydrocraquage, produit des hydrocarbures qui peuvent être incorporés en quantité importante au gazole ou au kérosène.
Où en est la recherche ?
Nous n’en sommes qu’au stade des recherches en laboratoire. Il faut encore réaliser de nombreux progrès pour développer le processus de production à grande échelle et réduire les coûts (estimés actuellement à plus de 300 dollars le baril). Les bilans environnementaux et énergétiques représentent les enjeux majeurs. En effet, pour assurer la viabilité économique de la filière de production de biocarburants à partir de microalgues, il faut réduire fortement les consommations d’énergie sur l’ensemble de la chaine. Les recherches visent donc d’abord à sélectionner en laboratoire des souches robustes et à forte teneur en lipides. Il faut également développer des procédés de culture optimisés, assurant une productivité élevée, sur de longues périodes et pour de gros volumes. Les efforts doivent porter aussi sur les procédés de séparation eau/biomasse et d’extraction de l’huile qui sont particulièrement consommateurs en énergie. Enfin, pour assurer la rentabilité de la filière, il faut trouver des marchés de valorisation de masse pour les coproduits.
Et à IFP Energies nouvelles ?
À IFP Energies nouvelles, il nous semble important de mener au préalable une étude approfondie en termes de bilans technico-économique, énergétique et environnemental, afin de préciser les verrous, évaluer les marges de progrès attendus et définir les axes de recherche. Dans cet esprit, nous avons mis en place au niveau national un groupe de réflexion et de partage associant la grande majorité des acteurs clés du domaine (Airbus-EADS, Ifremer, INRA, Sofiprotéol…). Notre objectif est de fédérer les forces et de réfléchir aux orientations nécessaires pour construire une filière industrielle de production de biocarburants à partir de microalgues. C’est une filière prometteuse mais il reste à démontrer qu’elle est durable et économiquement viable.
Source : IFP
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