Les plantes exotiques envahissantes, dépréciées pour leur capacité à coloniser des milieux, présentent un intérêt dans le domaine de la dépollution. En effet, elles sont capables de stocker dans leurs racines des métaux présents dans les milieux aquatiques. Grâce à la compréhension de ce mécanisme, le laboratoire de chimie bio-inspirée et d’innovations écologiques (ChimEco/CNRS/Université de Montpellier) a mis au point un filtre constitué de plantes exotiques envahissantes mortes capables d’emprisonner les métaux contenus dans les effluents. Ce filtre est ensuite valorisé en écocatalyseur, l’innovation brevetée du laboratoire. La start-up BioInspir a d’ailleurs été créée en janvier 2020 pour industrialiser ces solutions. Le laboratoire travaille en partenariat avec la Compagnie Nationale du Rhône pour les plantes aquatiques, le syndicat mixte des bassins versants du Gardon, Klorane Botanical Foundation des laboratoires Pierre Fabre, ainsi que la fondation Suez.
Nous avons échangé avec Claude Grison, directrice de ChimEco et directrice scientifique de BioInspir, pour mieux comprendre le mécanisme de dépollution des plantes et son intérêt pour l’environnement.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous présenter les travaux du laboratoire ChimEco ?
Claude Grison : Nous ciblons trois grands objectifs écologiques complémentaires : dépolluer les sols, l’eau et réfléchir à une meilleure gestion de la multiplication des espèces exotiques envahissantes, animales ou végétales. Dans chaque cas, nous développons des solutions basées sur les mécanismes de défense et d’adaptation des plantes à leur environnement. Nous étudions tout particulièrement les plantes capables de s’adapter au stress métallique.
Quelles sont les spécificités de ces plantes ?
Certaines d’entre elles ont développé des capacités très spécifiques d’accumulation de polluants. Elles sont à la base de phytotechnologies de remédiation, que nous développons à grande échelle. Une originalité de nos travaux est d’avoir pu montrer que les plantes qui stockent les polluants, qu’elles soient mortes ou vivantes, ne deviennent pas de nouveaux déchets. Elles sont transformées en écocatalyseurs qui vont remplacer les catalyseurs classiques issus de la filière conventionnelle, l’extraction minière, activité qui a un impact considérable sur l’environnement : impacts paysagers, perte de biodiversité, déstockage de carbone, production massive de déchets miniers, érosion des sols et pollution des systèmes aquatiques.
Pourquoi ne pas utiliser les plantes vivantes directement ?
L’utilisation de plantes vivantes nécessiterait de lourdes infrastructures avec de larges bassins. Les filtres végétaux sont basés sur l’utilisation de plantes mortes. Ils permettent de développer un procédé beaucoup plus performant, rapide, sobre et industrialisable. BioInspir a été créé pour réaliser un développement industriel de ces résultats. Notre filtre végétal est composé de plantes aquatiques envahissantes, largement présentes en Occitanie ainsi que dans la vallée du Rhône et les pays de la Loire. Le réchauffement climatique facilite leur expansion. Dans la mesure où ces plantes sont envahissantes, il n’est pas envisageable de les utiliser vivantes. Les gestionnaires des bassins versants sont contraints de fournir de gros efforts pour contrôler leur développement, en les récoltant massivement sur le terrain afin qu’elles n’étouffent pas la vie aquatique.
Ces filtres se présentent sous quelle forme ?
Les filtres se présentent sous la forme d’une poudre dont la granulométrie est contrôlée, et qui ressemble à du sable. Cette poudre est introduite dans de vastes colonnes que l’on installe in natura, à proximité du site à dépolluer, comme dans le Gard par exemple. On pompe l’eau contaminée, qui traverse alors ces colonnes remplies. Les polluants sont retenus et l’eau est dépolluée. Si elle répond aux normes environnementales, elle peut être rejetée dans l’environnement. Une seconde possibilité est de travailler en batch, dans de vastes réacteurs chimiques, pour traiter directement les eaux issues des procédés chimiques, avant tout rejet. Une troisième solution consiste à se déplacer sur des endroits stratégiques pour dépolluer l’eau. Nous avons ainsi construit un pilote mobile, que l’on utilise régulièrement dans la vallée de l’Orbiel près de Salsigne. Dans les deux premiers cas, nous gardons la poudre chargée en métaux pour la valoriser dans notre procédé d’écocatalyse.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est cette écocatalyse ?
L’écocatalyse est un nouveau concept de la catalyse chimique. Les catalyseurs permettent d’accélérer la vitesse de réactions lentes et difficiles. Ils ne sont pas transformés lors de la réaction ; ils la facilitent.
Au lieu de produire des catalyseurs conventionnels qui dérivent de l’extraction minière et d’un traitement métallurgique, les écocatalyseurs sont d’origine végétale. Ils dérivent d’un effort de dépollution par une solution écologique : les plantes et les poudres végétales qui en dérivent phytoaccumulent les éléments métalliques. Ainsi, au lieu d’extraire des minerais au prix de lourds impacts environnementaux, notre action consiste à restaurer des écosystèmes dégradés et pollués. Le préfixe « éco » rappelle que les écocatalyseurs résultent de cet effort écologique.
Ces écocatalyseurs sont-ils vendus aux entreprises ?
Dans la mesure où les écocatalyseurs dérivent de plantes, ils possèdent une structure et une réactivité nouvelles. Ainsi, nous préférons vendre les molécules préparées avec des écocatalyseurs, plutôt que les écocatalyseurs eux-mêmes. Ce sont de nouveaux matériaux, dont nous avons appris à maîtriser et exploiter le potentiel en synthèse, mais il n’est pas connu de nos partenaires. De plus, nous les engageons dans des stratégies nouvelles de la chimie organique, dont l’objectif est de n’avoir aucun intrant chimique, aucune empreinte environnementale. Enfin, les filtres végétaux nous permettent de recycler les écocatalyseurs, y compris lorsqu’ils sont solubles dans le milieu réactionnel. BioInspir développe un modèle économique clair : la chimie de synthèse écocatalysée doit être la force motrice des efforts écologiques en supportant les coûts financiers de la dépollution.
Justement, sont-ils meilleurs que les catalyseurs conventionnels ?
Nous avons revisité tous les grands mécanismes de la chimie organique. Un grand nombre de réactions sont améliorées par les écocatalyseurs. Un de leurs points forts est leur composition polymétallique. Elle est idéale pour catalyser les réactions dites en cascade, ou encore les réactions multicomposants. Les écocatalyseurs possède une structure originale et une morphologie qui permet une très bonne dispersion du métal de transition. Ils sont ainsi utilisés en quantités très faibles. Par exemple, les écocatalyseurs fonctionnent avec des traces de palladium.
Et c’est un avantage considérable ?
Le palladium est très utilisé dans l’industrie pharmaceutique pour produire des médicaments. Il l’est également dans la catalyse automobile, dans les pots d’échappement des véhicules à moteurs à essence ou hybrides. Le passage des moteurs diesel au profit des moteurs à essence et hybrides s’est traduit par une forte demande en palladium pour assurer la production des pots catalytiques plus riches en cet élément. Les ressources en palladium sont principalement concentrées en Afrique du Sud et en Russie. Il y a une forte pression sur la demande qui est difficile à satisfaire. Le cours du palladium a ainsi explosé : il est aujourd’hui plus cher que l’or. Il est donc très utile de développer des réactions catalysées avec très peu de palladium. Les écocatalyseurs le permettent.
Et ce palladium est nécessaire ?
C’est une catalyse incontournable dans les procédés modernes de construction de molécules aromatiques complexes. Ces méthodologies ont remplacé d’anciennes méthodes qui avaient une forte empreinte environnementale. Le palladium est peu toxique, mais malheureusement, il coûte de plus en plus cher. C’est pourquoi nous avons étudié une méthode de recyclage efficace avec les poudres végétales. Les poudres gorgées de palladium sont ensuite transformées en un éco-palladium que l’on utilise dans diverses réactions. Quand la réaction est terminée, le palladium est à nouveau recyclé. Le procédé peut être étendu aux terres rares.
Existe-t-il des limites aux filtres et aux écocatalyseurs ?
Les filtres végétaux permettent de séquestrer de nombreux métaux stratégiques (palladium, rhodium, platine, scandium, cérium, ytterbium, lanthane…), primaires (cobalt, cuivre, manganèse, nickel, zinc, fer) et toxiques (arsenic, cadmium, plomb, …). Les possibilités dépassent largement le cadre de nos travaux précédents concernant les plantes terrestres hyperaccumulatrices de métaux. Dans ce dernier cas, les plantes sont capables d’extraire essentiellement les métaux primaires. Les limites sont celles de l’adaptation naturelle des plantes terrestres hyperaccumulatrices. Les filtres végétaux fonctionnent sur un principe différent qui relève de lois physicochimiques bien établies, les lois de l’adsorption. L’éventail des possibilités est donc beaucoup plus large.
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