Le démantèlement des installations nucléaires françaises s’avère techniquement plus compliqué que prévu selon un rapport d’information parlementaire. De fait, les opérations devraient s’étaler sur plus d’un siècle ce qui va logiquement coûter beaucoup plus cher.
Les conclusions de la mission d’information conduite par les députés Julien Aubert (LR) et Barbara Romagnan (PS) pour le compte de la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale sur le démantèlement nucléaire ne sont guère réjouissantes. Les travaux sur les installations nucléaires françaises prendront plus de temps que prévu et coûteront plus cher. Pire, certaines problématiques techniques sur les filières « bis » ne sont pas encore résolues.
Faisabilité pas assurée
L’industrie nucléaire française a étudié et construit plusieurs modèles de réacteurs nucléaires avant d’opter pour la production en série du REP (réacteur à eau pressurisée) sur 3 paliers de puissance (900, 1 300 et 1 450 MW). Si EDF semble mener à bien le premier démantèlement de REP, en l’espèce Chooz A, toujours en cours, il n’en va pas de même pour ses premiers réacteurs construits en France. L’électricien est confronté à des difficultés sur les six réacteurs dits « uranium naturel graphite-gaz » (UNGG), ainsi que sur Brennilis et Superphénix, des réacteurs atypiques « dont le long démantèlement se poursuit dans la douleur », expliquent les rapporteurs. Les premières expériences de l’électricien en matière de démantèlement sont préoccupantes, tant sur le plan technique que sur celui des délais.
Brennilis
Fonctionnant par intermittence entre 1967 et 1985, cette centrale expérimentale d’une puissance de 70 MW est la seule en France à avoir fonctionné avec un réacteur à eau lourde. Aujourd’hui, EDF estime que le démantèlement complet pourrait être achevé en 2032, soit 47 ans après la mise à l’arrêt de la centrale. Son coût devrait lui atteindre les 482 millions d’euros, soit 20 fois plus que prévu.
Les réacteurs au graphite
La principale difficulté du démantèlement des réacteurs graphite-gaz, après enlèvement des éléments de combustibles nucléaires, consiste à traiter les empilements de couches de graphite. Il est procédé à ce traitement par une méthode originale de démantèlement « sous eau » qui consiste à remplir d’eau le caisson de béton afin de protéger les ouvriers de la radioactivité pour procéder à la découpe de la partie haute du caisson avant d’atteindre l’empilement de graphite, l’eau étant en circulation permanente, ce qui permet de la filtrer. Cette méthode de démantèlement sous eau a été utilisée avec succès lors du démantèlement du réacteur de Fort Saint-Vrain, dans le Colorado, aux États-Unis, qui était un réacteur de la filière dite HTGR (high temperature gaz cooled reactor). Le réacteur a été définitivement démantelé en 1997, moins de dix ans après sa mise à l’arrêt, pour un coût de 283 millions de dollars (263 M€). Unique en son genre mais présentant des caractéristiques communes avec les réacteurs de la filière UNGG, ce démantèlement a été pris en exemple par EDF pour ses réacteurs graphite.
Les opérations semblaient se dérouler de façon satisfaisante mais EDF a changé récemment de stratégie en raison de « différences matérielles » entre le réacteur américain et le modèle français rendant impossible le démantèlement sous-eau. La découverte de cette impossibilité technique après 15 ans d’études, plus de 20 ans après la fermeture de la dernière unité de production (site du Bugey 1 en 1994) et 19 ans après l’achèvement du démantèlement sous eau du réacteur de Fort Saint-Vrain arrive pour le moins tardivement. Ce sont les réponses à l’appel d’offres lancé par l’électricien qui l’auraient convaincu de changer de stratégie dans la mesure où l’extraction du graphite demandera – aux dires des sous-traitants – environ 15 ans, contre trois envisagés précédemment. Or laisser sous eau une telle structure pendant aussi longtemps poserait inévitablement des problèmes de corrosion. C’est la raison pour laquelle un allongement des délais a été décidé, d’autant que l’électricien souhaite valider sa méthode de démantèlement sur un premier réacteur, d’ici à 2060 environ, avant de déconstruire les cinq autres, au cours des 40 années suivantes, soit au-delà de 2100.
Le cas Superphénix
Situé sur le site de Creys-Malville, en bordure du Rhône, Superphénix est un réacteur nucléaire entré en service en 1985 et arrêté en 1996. C’était à l’origine un prototype de réacteur à neutrons rapides à caloporteur sodium succédant aux réacteurs nucléaires expérimentaux Phénix et Rapsodie. Mais son facteur de charge (6%) a été inversement proportionnel à son coût dont les estimations varient allègrement.
Le déchargement du combustible nucléaire a duré 3 ans mais là n’est pas la partie la plus complexe de ce démantèlement atypique compte tenu de la technologie utilisée. Le traitement du sodium constitue une phase très délicate dans la mesure où, à l’état liquide le sodium explose au contact de l’eau et s’enflamme au contact de l’air. Superphénix renfermait au total 4 700 tonnes de ce produit : 3 500 tonnes radioactives du circuit primaire (cuve) et 1 200 tonnes du circuit secondaire des échangeurs de chaleur. Pour le maintenir à l’état liquide, l’ensemble du sodium est chauffé à 180 C° depuis l’arrêt définitif du réacteur, soit 19 ans.
EDF prévoit la fin des travaux à l’horizon 2028. Si aucun retard n’est enregistré, la durée du démantèlement sera donc presque 3 fois plus longue que celle de son activité (11 ans). Dans son rapport de janvier 2012, la Cour des comptes estimait le coût du démantèlement de Superphénix à 955 millions d’euros. Pour Bernard Laponche, de l’association Global Chance, « Il n’est pas déraisonnable de penser que le coût sera plutôt de l’ordre de 2 milliards d’euros ».
Effet de série limité
A l’instar des économies d’échelles obtenues par la production en série de réacteurs nucléaire en France, EDF estime pouvoir bénéficier d’un effet similaire pour le démantèlement. Cette position s’appuie sur l’étude Dampierre qui fait l’hypothèse que les sites sur lesquels se trouvent des réacteurs définitivement arrêtés comportent, pendant toute la durée du démantèlement, une ou deux tranches en service ou en construction à proximité, ce qui permet de mutualiser les services de soutien entre les tranches en production (ou en construction) et celles en démantèlement. Cette hypothèse est très favorable à l’exploitant puisqu’elle lui permet d’éviter de dupliquer un grand nombre de frais. Mais elle est, à bien des égards, problématique car elle signifie tout simplement qu’EDF ignore la loi sur la transition énergétique : « EDF considère qu’il y aura un réacteur en construction ou en exploitation sur tous les sites. Il s’agira la plupart du temps de nouveaux réacteurs dont la construction n’est actuellement pas décidée. Ainsi, EDF considère que le programme nucléaire français va se poursuivre comme par le passé, sans tenir compte de la loi de transition énergétique qui limite à 50 % la part de nucléaire dans d’électricité produite en France ». Comme l’a fait remarquer André-Claude Lacoste, ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire que la mission a entendu, « l’idéal pour tout grand électricien serait de disposer, sur un même site, d’un réacteur en construction, d’un autre en exploitation et d’un troisième en cours de démantèlement ». Mais cela relève davantage du souhait que de la réalité.
Pas assez de provisions
La mission d’information, comme la Cour des Comptes en son temps, a mis en garde EDF contre l’insuffisance des provisions. Selon les comptes consolidés d’EDF au 31 décembre 2015, sur les 75 milliards d’euros de charges brutes estimées par l’électricien pour le démantèlement de l’ensemble de son parc nucléaire, 36 milliards d’euros de provisions ont été, pour l’instant, constituées. Mais sur cette somme, seuls 23 milliards d’euros étaient couverts par des actifs dédiés. Par ailleurs, les députés estiment que les hypothèses optimistes sur lesquelles EDF a bâti ses prévisions, de même qu’un certain nombre de dépenses lourdes négligées, conduisent à s’interroger sur la validité des prévisions, d’autant que dans le même temps, certaines charges semblent sous-évaluées voire non-prises en comptes : le retraitement du combustible usagé, les taxes et assurances ou encore le coût social.
Romain Chicheportiche
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