À l’origine, le projet européen SECURe s’était fixé des objectifs de recherche bien précis : évaluer les risques et améliorer le suivi des impacts potentiels sur l’environnement de l’usage du sous-sol à des fins d’exploitation de gaz de schiste ou de stockage du CO2. Débuté en 2018, ce travail a pu être mené à bien et s’est terminé l’an dernier. Mais il a aussi conduit à une découverte scientifique inattendue. Des chercheurs du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et des experts canadiens et suisses ont en effet mis en évidence un nouveau processus de formation du gaz naturel dans les schistes noirs, appelé radiolytique. Leur découverte vient d’être publiée dans la revue PNAS.
« Historiquement, on distingue trois grands types de gaz naturel, explique Wolfram Kloppmann, chercheur au BRGM et spécialiste de l’application des techniques isotopiques. Les deux premiers sont issus de la matière organique et sont typiquement ceux rencontrés dans les schistes noirs. La matière organique, lorsqu’elle est située dans un milieu anaérobie à basse température, sert de nourriture à des micro-organismes qui produisent alors un gaz microbien. Lorsqu’elle est enfouie à de grandes profondeurs et soumise à des températures très élevées, la matière organique se décompose pour former un gaz appelé thermogénique. Une dernière typologie provient de l’altération de certaines roches au contact de l’eau, entraînant des réactions chimiques complexes impliquant de l’hydrogène naturel, et conduit à la production d’un gaz dit abiotique (1). »
C’est en observant des valeurs atypiques dans la signature isotopique et chimique de certains gaz que les chercheurs mettent en évidence une quatrième source de gaz naturel. Celui-ci est composé de différents éléments, principalement du méthane, et dans une plus faible proportion, d’alcanes supérieurs tels que l’éthane, le propane, le butane et de l’hexane. Sur le plan isotopique, lorsqu’un gaz est pauvre en carbone 13, les connaissances scientifiques accumulées jusqu’ici permettaient de conclure assez rapidement qu’il était d’origine microbienne. Sur le plan chimique, cela se vérifiait, car il contenait une grande proportion de méthane au détriment des alcanes supérieurs. Le fait que les micro-organismes, en se nourrissant de matières organiques, produisent du méthane expliquait cette composition.
La radiation naturelle peut durer jusqu’à 500 millions d’années
En analysant un grand nombre de gaz à travers le monde, les scientifiques ont découvert la formation d’un gaz à la fois très appauvri en carbone 13 et riche en alcanes supérieurs. Des expérimentations menées par des chercheurs canadiens, durant lesquelles ils ont soumis de la matière organique à une source de radiations, ont permis de conclure que ce gaz est produit grâce aux radioéléments qui interagissent avec la matière organique. « Ces radioéléments sont par exemple l’uranium, le thorium ou le potassium 40, précise le chercheur. Leur présence dans la matière organique est très fréquente, mais à des niveaux de concentration très faible. Étant donné qu’ils sont présents sur de très longues périodes, parfois jusqu’à 500 millions d’années, leur association avec la matière organique va provoquer une radiation naturelle non négligeable et donc produire une petite quantité de gaz qui va s’accumuler dans la roche imperméable. »
Cette découverte va permettre d’améliorer les connaissances scientifiques sur la formation des gaz dans les réservoirs non conventionnels. Les experts pourront ainsi inclure cette production permanente de gaz radiolytique à faible dose dans les schistes noirs afin de mieux quantifier l’estimation des ressources disponibles.
Elle devrait aussi permettre d’éviter les interprétations réalisées de manière un peu rapide jusqu’ici lors de la surveillance d’exploitation de gaz de schiste, notamment aux États-Unis et au Canada. « Toute la difficulté de notre travail est de savoir si les fuites observées proviennent du forage ou pas. Jusqu’à présent, sur le plan de la signature isotopique, on pensait qu’un gaz pauvre en carbone 13 était forcément le signe qu’il était d’origine microbienne. Dans certains cas, on pouvait alors écarter l’hypothèse que la fuite est liée au forage, et conclure qu’elle vient de l’environnement, par exemple de marécages qui peuvent aussi produire du gaz à partir de la matière organique fraîche qu’ils contiennent. À présent, on sait qu’un gaz peut à la fois avoir une signature à première vue microbienne, et être produit par la radiolyse de la matière organique dans les schistes noirs », conclut Wolfram Kloppmann.
(1) Abiotique : milieu dans lequel la vie est impossible
Dans l'actualité
- Un nouveau réacteur à lit dynamique pour transformer le CO2 gazeux en liquide
- Hausse des prix de l’électricité : les marchés spot reflètent le prix du gaz
- Le Royaume-Uni, entre transition énergétique et flambée des prix du gaz
- Des projets en cours pour valoriser un procédé innovant de captage de CO2
- Le transporteur de gaz GRTgaz se projette dans un avenir sans gaz naturel…
- La France en retard dans l’éolien et le photovoltaïque