On ne pourra pas dire que l’on manque d’options pour réaliser la transition énergétique. Les différents scénarios mis sur la table depuis quelques années ont ouvert en grand le champ des possibles. Le dernier en date est celui du groupe Engie, qui fait ainsi part de son analyse sur la base de son expérience d’énergéticien mondial. D’aucuns pourront juger la démarche courageuse, vu que les acteurs économiques ont plus souvent l’habitude de porter leurs plaidoyers dans l’ombre des cabinets.
Mais la situation exige de prendre position dans le débat public : en Europe comme en France, on commence à brandir une possible interdiction des chaudières à gaz. Sous couvert de la bonne intention de supprimer l’usage des énergies fossiles, cette interdiction obligerait à un passage massif à l’électricité, si tant est que cela soit possible. Étant un acteur gazier de premier rang, il est logique qu’Engie apporte son expertise en la matière pour présenter une alternative.
Avec le scénario CLEVER publié la semaine dernière, celui d’Engie est un des premiers à modéliser la transition à l’échelle de l’Europe. Le choix a été fait de se concentrer sur 15 pays représentant 80 % des émissions de CO2 du Vieux Continent (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie et Suisse).
Forte électrification, mais moindre consommation d’énergie
Le scénario d’Engie, présenté par sa PDG Catherine McGregor, son directeur de la stratégie Nicolas Lefevre-Marton et son Chef économiste Pierre-Laurent Lucille, se veut avant tout pragmatique : les technologies sont choisies matures ou en cours de démonstration, et une optimisation des coûts est recherchée. Il est en phase avec l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050 en mesurant l’effort que cela représente, c’est-à-dire une baisse annuelle des émissions de gaz à effet de serre de plus de 4 % alors qu’elle a été de moins de 1 % depuis 1990. Pour la France, même si les options retenues sont différentes de celles du gouvernement, les émissions atteindraient un niveau similaire de 270 MtCO2eq en 2030, contre 434 en 2019. Message sous-jacent : il est possible d’atteindre les objectifs climatiques en utilisant tout de même du gaz, mais décarboné bien sûr !
Une condition de la réussite est avant tout de réduire les consommations d’énergie : pour les 15 pays considérés par Engie, la baisse est de 34 % d’ici 2050. Mais les évolutions diffèrent. D’un côté l’usage de l’électricité, qui est fortement plébiscité, augmente de 80 % quand, au contraire, la consommation des vecteurs gazeux est divisée par deux. Toute la subtilité de la vision d’Engie est de trouver un équilibre entre les électrons et les molécules pour tirer parti des avantages de chacun.
Ainsi, du point de vue des usages, l’industrie européenne porte son électrification de 20 à 40 % tout en remplaçant les énergies fossiles par des gaz bas carbone (27 %) et de la chaleur (23 %) issue de biomasse et de récupération de chaleur fatale. Dans le transport aérien et maritime, la domination des énergies fossiles diminue peu à peu pour réduire de 80% les émissions de ce secteur, grâce au bio-GNL, au bio-diesel, au bio-kérosène et aux molécules dérivées de l’hydrogène.
Un focus sur le secteur du bâtiment en France montre que la moitié des bâtiments sont entièrement rénovés d’ici 2050, et que les moyens de chauffage sont répartis (en nombre de ménages équipés) entre les pompes à chaleur (35 %), les chaudières à biométhane (15 %), les réseaux de chaleur (14 %), les convecteurs électriques (14 %), les poêles à granulés (11 %) et les pompes à chaleur hybrides (11 %). Pour ces dernières, qui couplent une PAC avec une chaudière gaz d’appoint, Engie a évalué le service rendu au système en évitant trop de pointe de consommation d’électricité l’hiver : il se chiffre à 12 GW d’appel de puissance évités en 2050, et une économie de 2,7 milliards d’euros par an !
Plus de renouvelables et de flexibilité
La production d’électricité au niveau européen (4 770 TWh en 2050) est à terme assurée à 90 % par des énergies renouvelables. Le solaire photovoltaïque et l’éolien voient ainsi leur production multipliée par 6. En France, le maintien d’un important parc nucléaire, en phase avec le souhait gouvernemental de construire 14 nouveaux EPR, fait que la part d’EnR n’est que de 64 % en 2050. Il y a donc besoin d’accélérer l’installation des renouvelables… et peut-être même au-delà des chiffres présentés dans ce scénario, car, selon Engie, en cas de retard de la filière nucléaire, il faudrait installer 60 GW supplémentaires d’éolien et de solaire (197 au lieu de 137 GW) dès 2035.
Le recours à des gaz décarbonés repose sur plusieurs leviers. Dans les 15 pays considérés, le « gaz naturel » fossile est remplacé progressivement par du biométhane (plus de 730 TWh en 2050, soit une multiplication par plus de 4 par rapport à 2023), par du méthane de synthèse (643 TWh), et par un peu d’injection directe d’hydrogène (56 TWh). Engie prévoit aussi qu’il reste un petit reliquat de gaz naturel (74 TWh) et un recours sérieux à ce même gaz fossile avec captage de carbone (544 TWh). La demande d’hydrogène est multipliée par huit, puisque les trois quarts doivent répondre aux besoins des transports. Mais seulement la moitié est produite sur le territoire européen, car l’importation des molécules permettrait de bénéficier des coûts de production moins élevés dans d’autres pays.
Malgré une importante mobilisation des ressources pour le biométhane et le bois-énergie, Engie estime que son scénario utiliserait seulement 60 % du potentiel de biomasse.
Enfin, pour boucler l’équilibre offre-demande en électricité, Engie estime que les besoins de moyens flexibles vont fortement augmenter (+600 GW au niveau européen). Parmi eux, on trouve les batteries des véhicules électriques, la modulation de la demande (spécialement l’industrie et les 270 GW d’électrolyse) et les pompes à chaleur hybrides. Mais également le stockage par batteries stationnaires, le pompage-turbinage hydroélectrique et les centrales thermiques utilisant des gaz décarbonées. 105 GW de ces centrales seront nécessaires selon Engie pour gérer les pointes de consommation d’électricité. Si elles n’étaient pas développées, il faudrait investir dans 700 GW supplémentaires d’EnR et 200 GW de batteries : le surcoût serait tel (plusieurs dizaines de milliards d’euros par an) qu’il devrait clore le débat et inciter les États européens à investir dans ce type de moyens de production. Encore faut-il qu’ils décident de ne pas fermer la porte aux vecteurs gazeux… y compris en France.
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