Déjà lauréat en 2023 du tout premier appel à projets « Zones industrielles bas carbone » (ZIBaC), le projet a gravi un échelon supplémentaire il y a peu, en intégrant le premier groupement industriel mondial « zéro émission nette » lancé par le World Economic Forum, comme l’ont annoncé ses promoteurs en début d’année.
À ce jour, vingt territoires industriels répartis sur quatre continents ont rejoint l’initiative du Forum Économique Mondial. Parmi eux figure donc Dunkerque, seul représentant français, pour l’heure, au sein de ce groupement international. Alors que le bassin industriel dunkerquois et son arrière-pays émettent aujourd’hui pas moins de 16 millions de tonnes de CO₂ chaque année, le territoire ambitionne de réduire de 55 % ses émissions à l’horizon 2030, tout en contribuant, en parallèle, à la création de 16 à 20 000 emplois entre 2030 et 2040. Des ambitions auxquelles cette intégration du territoire industrialo-portuaire nordiste au premier groupement industriel mondial « zéro émission nette » devrait largement contribuer, comme nous l’explique Rafaël Ponce, Directeur d’Euraénergie.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle est la nature, et quelle est la vocation générale d’Euraénergie, cette entité que vous dirigez et qui anime le programme Dkarbonation ? Quelles ont été les grandes étapes de sa création et de son évolution ?
Rafaël Ponce : Euraénergie est un groupement d’intérêt public (GIP). Il a été mis en place en 2020 à l’initiative de Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque. Ce groupement réunit l’ensemble des acteurs du développement économique du territoire, et plus particulièrement du bassin industrialo-portuaire. Il vise à animer et à coordonner la transformation de ce bassin sur différents plans : celui de la transition énergétique, au départ, mais aussi, désormais, celui de la transformation industrielle de ce territoire.
Ce GIP est le fruit de la candidature de Dunkerque à l’Appel à manifestation d’Intérêt « Territoire d’Innovation », lancé par l’État en 2019. Ceci visait à mettre en avant certaines actions autour de l’innovation et de la transformation, dont une en particulier, celle de la transformation d’un bassin industriel en vue de capter et de valoriser le CO₂ émis en son sein. Dans ce cadre-là, plusieurs gros émetteurs de CO₂ du territoire ont initié une démarche sous forme d’un collectif, le Collectif CO₂. En parallèle, nous avons mené, en tant que collectivité, une démarche de territoire d’innovation, dans laquelle s’est inscrite cette volonté des industriels de valoriser leur CO₂. Nous avons ainsi abouti à la mise en place d’un projet global : Dunkerque l’énergie créative. Il s’agit de la démarche collective d’animation et de transformation du territoire dunkerquois. Ce projet inclut ainsi toutes les actions menées autour de la décarbonation et tout ce qui en découle, notamment la mise en place d’infrastructures. Nous nous préoccupons aussi des questions d’emploi, d’orientation des jeunes, et même d’information du grand public. Tout cela est mené de concert avec les industriels, et animé par la structure que je dirige : Euraénergie. Nous menons notamment, sur le front de la promotion de l’industrie auprès des jeunes, des demandeurs d’emploi et des personnes en reconversion, une action visant à accroître l’attractivité du secteur, et à promouvoir les métiers industriels, qui pâtissent pour beaucoup d’une forme de désamour.
Cette stratégie commune, ce travail collaboratif public-privé, a d’ores et déjà eu pour effet de maintenir l’activité industrielle existante, mais aussi d’attirer de nouveaux acteurs industriels qui s’inscrivent dans cette logique de décarbonation. Ceci, à l’échelle du territoire, mais aussi au niveau régional et même national. C’est ainsi que nous avons notamment vu arriver les Gigafactories de batteries électriques et tout l’écosystème associé, tout cela formant un véritable ensemble industriel axé autour de la décarbonation.
Quelle est votre vision, et quelles sont vos ambitions en matière de décarbonation et de transformation industrielle ?
L’idée n’est pas de renier le passé industriel du Dunkerquois, mais bien d’accompagner dans le verdissement de leurs activités des acteurs historiques tels qu’ArcelorMittal, Aluminium Dunkerque ou encore Comilog. Nous avons pour cela construit une feuille de route de décarbonation qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Notre trajectoire actuelle se révèle même en avance sur les objectifs initiaux ! Dunkerque représente aujourd’hui 21 % des émissions de CO₂ industriel du territoire français, avec 16 millions de tonnes annuelles. Nous atteindrons un abattement de 50 % à l’horizon 2030.
Cette stratégie est basée sur différentes solutions. La première est la diminution de la consommation d’énergies fossiles. Cela passe notamment par la transformation de l’outil industriel existant. ArcelorMittal projette par exemple de remplacer l’un de ses hauts-fourneaux fonctionnant au charbon, par des fours électriques. L’objectif est aussi, demain, de produire de nouvelles énergies telles que l’hydrogène pour alimenter certaines des installations de l’industriel.
Nous avons aussi développé une logique de circularité au sein du bassin industrialo-portuaire : le déchet d’un industriel peut devenir une ressource pour l’un de ses voisins. C’est comme cela que sont apparus certains projets structurants, qui rendent encore plus attractif le territoire. Certains industriels produisent par exemple de la vapeur qui est aujourd’hui récupérée et mise à disposition pour d’autres acteurs du territoire, mais aussi pour la collectivité. Depuis plus de 20 ans maintenant, ArcelorMittal met par exemple à disposition de la collectivité la vapeur que produit son usine, et qui alimente ainsi un réseau de chaleur urbain. L’industriel a également lancé un gros projet de recyclage de l’acier.
À cela s’ajoutent la captation et l’utilisation du CO₂, ou CCU, pour carbon capture and utilization. Nous avons ainsi vu naître des projets de production de carburants de synthèse. Outre le CCU, des projets de stockage – ou CCS – ont aussi vu le jour en Mer du Nord. Dunkerque a ainsi décidé de se positionner en tant que premier hub français de CO₂. Cela va nous permettre d’éviter le rejet dans l’atmosphère du peu de dioxyde de carbone restant, d’autant plus que nous disposons des infrastructures nécessaires. Le terminal méthanier va notamment permettre de liquéfier ce CO₂ avant de le transporter en vue d’un stockage dans des réservoirs naturels en Mer du Nord.
Nous avons également mis en place une feuille de route « hydrogène ». Elle vise tout d’abord à évaluer les besoins, tant en matière de production que de consommation, de la future filière hydrogène qui sera mise en place sur le territoire dunkerquois.
Quelles sont les origines de cette intégration de DKarbonation au premier groupement industriel mondial « zéro émission nette » lancé par le World Economic Forum ?
C’est finalement le résultat de tout ce travail initié depuis plusieurs années sur le territoire. Nous avons, d’une part, la chance d’accueillir des industriels d’envergure internationale, mais disposons aussi, d’autre part, d’un grand port maritime, qui rayonne lui aussi dans le monde entier. C’est ce qui nous a permis d’être identifiés comme l’un des territoires les plus actifs sur ce sujet de la décarbonation, mais aussi, et surtout, l’un des territoires disposant d’une stratégie clairement établie, avec des projets inscrits dans le temps long.
Le World Economic Forum nous a donc permis de devenir membre de ce réseau international. Nous sommes ainsi devenus la première entité française reconnue au niveau mondial. Cela va nous permettre de poursuivre la mise en place de notre stratégie de partenariats, de collaboration, de synergies… et de renforcer nos échanges autour des approches adoptées par les uns et les autres, afin d’en tirer des enseignements. Cela représente aussi pour nous une nouvelle marque d’attractivité du territoire, après, notamment, notre désignation, en 2023, en tant que premiers lauréats, avec Fos-sur-Mer, de l’appel à projets « Zones Industrielles bas carbone » (AAP ZIBaC), qui nous amène essentiellement à travailler sur la mise en place des infrastructures nécessaires à la décarbonation du territoire.
D’une façon globale, tout cela va nous permettre d’entraîner tout le tissu industriel secondaire, au-delà des seuls grands groupes. Notre objectif est en effet véritablement d’embarquer l’ensemble des acteurs de l’industrie qui émettent du CO₂. De petits industriels qui n’auraient sans doute pas les moyens de porter des projets en solo, parce que trop coûteux, peuvent malgré tout les mener à bien en les mutualisant. Nous avons donc la volonté de travailler en tant que collectif, afin que les actions que nous menons bénéficient à l’ensemble des acteurs du territoire. C’est, à mon avis, l’une des principales raisons pour lesquelles nous parvenons à faire avancer notre stratégie de décarbonation.
L’un de vos objectifs est ainsi de passer de « premier émetteur de CO₂ » à « premier émetteur de solutions » de décarbonation. Cela implique-t-il éventuellement la participation d’acteurs du monde de la recherche ?
Toutes les actions que nous réalisons nécessitent effectivement un engagement important du monde académique, mais aussi de l’Éducation nationale. Plusieurs actions sont mises en place sur ce plan, à commencer par la création des filières de formation aux métiers de la décarbonation. Cela passe aussi par un important travail de recherche et développement. Une filière de R&D est ainsi notamment en train d’être mise en place par l’Université du Littoral Côte-d’Opale, mais aussi l’Université de Lille ou encore d’Amiens, aux côtés des acteurs de la mobilité électrique. Tous travaillent main dans la main autour de la production, mais aussi du recyclage, pour anticiper les besoins qui se manifesteront d’ici peu.
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Dans les ressources documentaires
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- Captage et stockage du CO2 dans le contexte de la transition énergétique
- Débats publics sur les projets d’aménagement des ports maritimes
- Hydrogène
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