En ce moment

La projection de résine : un bon tuyau pour prolonger la durée de vie des canalisations d’eau potable

Posté le 16 juillet 2024
par Benoît CRÉPIN
dans Innovations sectorielles

L’entreprise bretonne A.R.T. Europe met en œuvre une technique de réhabilitation de canalisations d’eau potable efficace et peu contraignante : la projection de résine. Déjà appliquée depuis 2006 sur pas moins de 400 km de conduites à travers la France, la méthode a été utilisée une nouvelle fois en mai dernier à Douai, dans le Nord, sur une portion de canalisation de 80 mètres située en pleine ville. Nous avons pu assister à l’opération dans la cadre d’une visite technique organisée en marge de l’édition douaisienne du salon Cycl’Eau, qui s’est tenu les 29 et 30 mai derniers à Gayant Expo.

1972. Telle est, selon un rapport publié au début des années 2000, l’année médiane de pose des canalisations d’eau potable françaises. Si cette estimation a pu évoluer depuis, une chose reste sûre : à l’échelle nationale, les réseaux de distribution d’eau vieillissent… et fuient ! En 2021, la part d’eau perdue par fuite, au travers des quelque 875 000 km de canalisations qui constituent les réseaux français, était en effet estimée à 18,5 %. « Pour 5 litres d’eau mis en distribution, 1 litre [environ] revient au milieu naturel sans passer par le consommateur » illustre ainsi le service public d’information sur l’eau et les milieux aquatiques, Eaufrance. Des fuites parfois liées à des mouvements de sol, ou à des phénomènes de surpression, mais donc aussi – et surtout – à la vétusté des canalisations.

Pour y remédier, leur renouvellement apparaît ainsi comme un impératif, et une priorité. « Il faudrait, au minimum, passer à un taux de renouvellement de 1 % à 1,2 % », confiait ainsi en mars 2023 à nos confrères de France Bleu Natacha Angeletou, consultante chez Altereo[1]. Force est toutefois de constater que l’on est encore loin du compte… « Le taux de renouvellement annuel du réseau d’eau potable en France est de 0,67 %[2], soit, en moyenne, un renouvellement tous les 160 ans, alors que la durée de vie d’une canalisation est bien inférieure, de l’ordre de 80 ans » indiquaient en effet dans un communiqué de presse publié en septembre 2022 « Les Canalisateurs », organisation professionnelle qui fédère quelque 330 entreprises françaises spécialisées dans la pose et la réhabilitation de canalisations. « Il y a urgence à investir pour les territoires en matière de réseaux de manière curative et préventive », plaidait ainsi l’organisation dans ce même communiqué. Une urgence face à laquelle le remplacement pur et simple des conduites vieillissantes semble couler de source…

À cause, notamment, de la réalisation de tranchées qu’elle implique, la solution se révèle toutefois coûteuse et contraignante. Des freins qu’une autre approche permet justement de lever : la réhabilitation sans tranchée par projection de résine.

Une technique éprouvée et avantageuse

Étrennée au Royaume-Uni dans les années 70, la méthode est aujourd’hui mise en œuvre en France par un acteur qui assure être, à l’heure actuelle, le seul sur ce créneau au niveau hexagonal : A.R.T. Europe[3]. Née en 2006, l’entreprise basée à Bruz[4], en Bretagne, compte aujourd’hui une centaine de clients, et a déjà à son actif près de 400 km de canalisations réhabilitées grâce à cette méthode aux multiples avantages : rapidité d’exécution, coût relativement modéré, ou encore amélioration de la qualité de l’eau.

400 km auxquels 80 mètres se sont ajoutés en mai dernier, à l’occasion d’un chantier mené par l’entreprise bretonne dans le Nord, à Douai, pour le compte de Douaisis Agglo et de son délégataire de service public, la Société des Eaux de Douai (SED), filiale de Veolia. Une opération à laquelle nous avons pu assister dans le cadre d’une visite technique organisée en marge du salon Cycl’Eau Hauts-de-France.

Un chantier à impact minimal

L’opération ne nécessite que le creusement de deux fouilles de part et d’autre de la portion à réhabiliter. © Benoît Crépin

Après quelques minutes de route depuis le Parc des expositions de Douai, nous arrivons aux abords du chantier, Boulevard Paul-Hayez. Une voie urbaine très passante, pourtant très peu perturbée par l’opération en cours. Et pour cause : seules deux fouilles ont été ménagées au niveau du trottoir, de part et d’autre de la portion de canalisation en question. Un tuyau de fonte grise d’un diamètre nominal (DN) de 150 mm, posé en 1969, comme l’explique le vice-président de l’agglomération en charge du cycle de l’eau, le bien nommé Jean-Paul Fontaine. « Certaines canalisations se dégradent plus vite que d’autres… Il s’avère que celle-ci se situe à un niveau de corrosion qui nous permet de prolonger son utilisation, à condition toutefois de la conforter grâce à cette technique de projection de résine proposée par A.R.T. Europe », poursuit le représentant de Douaisis Agglo. Un procédé certes éprouvé, mais mis en œuvre pour la toute première fois par la collectivité nordiste. Revendiquant un rendement de près de 90 %, l’agglomération se révèle particulièrement attentive à l’entretien de son réseau, et reste ainsi toujours en quête d’innovations en la matière… « Nous avons donc naturellement saisi l’occasion de tester cette méthode beaucoup moins onéreuse, et surtout extrêmement rapide à mettre en œuvre » justifie Jean-Paul Fontaine.

Avant l’application de résine, A.R.T. Europe procède à un tringlage de la canalisation, suivi d’une inspection vidéo, comme l’explique le directeur commercial de l’entreprise Trajan Ciupka. © Benoît Crépin Cycl’Eau,

Avant de réaliser l’opération, l’entreprise bretonne – par ailleurs lauréate 2021 du trophée des éco-entreprises innovantes dans la catégorie Gestion durable – a tout d’abord mené une phase de diagnostic. Objectif : définir précisément l’état de dégradation de la conduite, et adapter ainsi les paramètres d’application de la résine. « On fait en quelque sorte une “biopsie” du réseau, un prélèvement que l’on envoie ensuite à un laboratoire indépendant afin d’estimer la durée de vie restante. En fonction du résultat, nous définissons l’épaisseur de résine nécessaire pour conférer jusqu’à 70 % de durée de vie supplémentaire à la canalisation », explique Trajan Ciupka, directeur commercial de l’entreprise. « Ensuite, le chantier à proprement parler débute par un tringlage mécanique, c’est-à-dire un grattage de la canalisation – préalablement isolée du réseau via un pontage – qui permet d’en éliminer les concrétions de rouille et de calcite. Après rinçage et séchage, nous passons une caméra pour garantir la qualité du travail », poursuit le responsable. C’est alors qu’entre en piste l’élément central du procédé : la projection de résine.

Un procédé largement automatisé

La résine est appliquée par brumisation à une pression de 150 bars, grâce à ce cône de projection. © Benoît Crépin

Tout commence par le mélange, directement sur place, de deux substances – une base et un durcisseur – préchauffées à une trentaine de degrés. Des réactifs produits en Europe, comme le précise Trajan Ciupka. L’opération permet ainsi de donner vie à la résine polyuréthane de qualité alimentaire qu’A.R.T. Europe projette sur la paroi interne de la canalisation grâce à un cône de brumisation travaillant à haute pression (150 bars). Un élément réutilisable et relié, via un tuyau, à un automate chargé de gérer, mais aussi d’enregistrer en temps réel les paramètres d’application (température, pression…) afin de garantir la traçabilité de l’opération. « L’opérateur n’a qu’à entrer le DN et la longueur de la canalisation, ainsi que l’épaisseur de résine requise, et c’est la machine qui pilote tout le process », décrit le directeur commercial.

La résine se solidifie en quelques minutes seulement. © Benoît Crépin

L’application en tant que telle est ainsi réalisée en l’espace de quelques dizaines de minutes seulement, pour une remise en eau possible dans l’heure qui suit, après désinfection et rinçage de la canalisation réhabilitée. « En tout, ce chantier aura nécessité quatre jours de préparation et une journée de réalisation, c’est-à-dire cinq fois moins de temps qu’un chantier conventionnel de remplacement », fait valoir Trajan Ciupka, qui chiffre ainsi à 60 % la réduction de l’empreinte carbone de l’opération.

Une approche qui se révèle en outre adaptée à tous types de conduites (à l’exception des tuyaux en PEHD[5]), et ce jusqu’à un DN de 2 000 mm… « La méthode est aussi applicable en cas de présence de branchements sur la conduite », précise Trajan Ciupka. « Si le diamètre de ces branchements est supérieur à 10 mm, il n’y a aucun risque qu’ils se bouchent. En deçà, nous mettons en œuvre une technique de débouchage », ajoute-t-il.

Une polyvalence qui s’ajoute ainsi à la liste déjà longue des avantages d’un procédé se révélant, en outre, une réponse pertinente face au phénomène récurrent dans de nombreuses régions françaises de coloration de l’eau potable. « La seule limite à l’utilisation de la méthode reste la présence trop importante de coudes ou de vannes qui empêcheraient nos outils de passer », concède finalement Trajan Ciupka. Pas tout à fait une panacée, la solution n’en demeure pas moins un sacrément bon tuyau pour offrir à un réseau vieillissant une véritable cure de jouvence.


[1] Société d’ingénierie, de conseil et d’édition de solutions digitales pour l’eau, la ville et les territoires.

[2] Un indicateur qui reste toutefois à interpréter avec précaution, comme l’explique l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement (Sispea) dans son Panorama des services et de leur performance en 2020 : « Cette approche n’a aucune signification à une échelle agglomérée (particulièrement à l’échelle “France entière”) dans la mesure où le rythme optimal de renouvellement d’un réseau dépend en grande partie de la pyramide des âges des tronçons qui le constituent. »

[3] Audit, réhabilitation, travaux.

[4] Une agence devrait ouvrir très prochainement dans les Hauts-de-France.

[5] Polyéthylène haute densité.


Pour aller plus loin