Dans la plupart des projets de stockage géologique, le CO2 est injecté à l’état supercritique. Plusieurs millions de tonnes peuvent alors être stockées chaque année sur un même site. Néanmoins, les sites répondant aux critères de sécurité et de pérennité du stockage pour de tels volumes sont souvent éloignés des gros émetteurs industriels, ce qui impose d’importants coûts logistiques supplémentaires liés au transport du CO2. Sans prix élevé de la tonne de CO2, ces projets restent très chers pour les industriels et peu attrayants.
« Tant qu’il n’y aura pas une augmentation significative du prix du carbone sur le marché mondial, on aura du mal à motiver un industriel à payer des millions pour se débarrasser de son CO2 », regrette Christophe Kervevan, chercheur au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). « Notre approche qui consiste à stocker le CO2 sous forme préalablement dissoute dans la saumure, tout en récupérant l’énergie géothermique, permet ainsi d’ajouter un bénéfice économique au bénéfice environnemental, ce qui nous semble susceptible de plus motiver les industriels », se félicite-t-il.
Le projet CO2-DISSOLVED s’est intéressé au stockage de CO2 sous forme dissoute dans des aquifères profonds salés, typiquement situés entre 1.500 et 2.000 m de profondeur. Si l’injection de CO2 supercritique permet de stocker plusieurs millions de tonnes par an, un doublet géothermique unique ne permettrait de dissoudre qu’un maximum de 150 000 t/an de CO2 (limite physique due à la solubilité du CO2 dans la saumure pour les débits d’eau généralement obtenus dans les doublets géothermiques). Cette option constitue donc une solution pour les petits émetteurs industriels jusqu’ici non considérés dans les projets classiques de stockage géologique du CO2. L’idée est donc d’appliquer ce nouveau concept de stockage à de tels sites industriels, à condition qu’ils soient situés au-dessus d’aquifères salins profonds. Ainsi, il n’y aurait pas à construire de longs pipelines pour transporter le CO2 jusqu’à son lieu d’injection.
Le projet a constitué un inventaire des sites industriels potentiellement compatibles avec cette technologie, c’est-à-dire émettant moins de 150 000 t/an de CO2 et situés au droit de ressources géothermales avérées. Sur les 800 émetteurs recensés en France, plus de 650 sites industriels compatibles ont pu être identifiés, notamment dans les bassins Parisien et Aquitain. Cela représente un total de 25 millions de tonnes de CO2/ an, soit tout de même l’équivalent de près de 17% des émissions industrielles nationales de CO2 (données 2011 du registre français des émissions polluantes).
Quelle installation mettre en oeuvre ?
La technologie repose fondamentalement sur un doublet géothermique standard (ensemble de deux puits) qui permettra de récupérer la saumure chaude puis de la réinjecter après l’avoir chargée en CO2 dissous. Il est ainsi possible d’associer au stockage la récupération d’énergie géothermique, utilisable localement pour les besoins propres de l’industriel émetteur de CO2 et/ou pour alimenter un réseau de chaleur proche.
Le puits « producteur » pompe la saumure chaude d’un aquifère salin profond. En surface, la chaleur est récupérée via un échangeur. La saumure refroidie est ensuite réinjectée en profondeur via le puits « injecteur ». « Le diamètre intérieur du puits injecteur est typiquement de l’ordre de 20 cm, à l’intérieur duquel on ajoutera une ligne d’injection du CO2 d’environ 1 à 2 cm de diamètre, explique Christophe Kervevan. En fonction des conditions opérationnelles, ce système permettra de contrôler le diamètre des bulles, leur densité et leur flux pour assurer de toujours rester en dessous de la limite de solubilité du CO2 dans l’eau ».
Quels impacts sur l’aquifère?
Ce type de stockage est beaucoup plus simple à gérer que le CO2 sous forme supercritique. « Dans l’approche «classique», la bulle de gaz a naturellement tendance à vouloir remonter à la surface du réservoir, car elle est plus légère que l’eau. Sa migration vers les couches géologiques supérieures est bloquée par la couverture imperméable qui surmonte le réservoir mais l’augmentation de la taille de cette bulle au-fur-et-à-mesure de l’injection aura tendance à repousser latéralement la saumure initialement en place ; les impacts au niveau de l’aquifère de l’injection peuvent ainsi potentiellement se faire sentir à plusieurs dizaines de kilomètres du lieu d’injection. Avec le CO2 sous forme dissoute et le système de doublet qui, par principe, réinjecte exactement le volume d’eau pompé, on s’affranchit de ce problème, car le CO2 reste piégé dans la saumure. » affirme Christophe Kervevan .
Par le biais de modèles et d’expérimentations en laboratoire, le projet s’est intéressé à l’impact de l’eau enrichie en CO2 sur la roche constitutive de l’aquifère. Des minéraux gréseux et carbonatés, caractéristiques des principaux aquifères profonds ciblés en France, ont été utilisés pour étudier les réactions chimiques induites par l’injection d’une saumure acidifiée par sa teneur élevée en CO2 dissous. « Dans le cas des roches carbonatées (typiques d’un aquifère comme le Dogger du bassin de Paris), les résultats montrent que l‘injection de CO2 ne va pas créer une dissolution catastrophique de la roche et une destruction du sous-sol. Les simulations les plus pessimistes ont tendance à montrer que les zones impactées par la dissolution complète ou partielle de la roche induite par la circulation de l’eau acidifiée seraient d’un diamètre de l’ordre de la dizaine de mètres. Les calculs qui ont ensuite été faits démontrent un risque extrêmement faible de perturbation mécanique induite qui pourrait être observable en surface », analyse Christophe Kervevan.
« Il n’y a rien de très dangereux : il s’agit d’un doublet géothermique basse température (T < 90°C) standard, dont la technologie est parfaitement connue et maitrisée, dans lequel l’eau a tendance à être plus agressive vis-à-vis du réservoir, en particulier si l’on travaille sur un réservoir carbonaté. La zone couverte par le panache d’eau froide et de CO2 dissous tient dans un cercle d’un diamètre de l’ordre de 2 ou 3 km maximum autour du point central d’injection. Et l’étendue de la zone impactée par ces phénomènes de dissolution est de quelques dizaines de mètres maximum », estime le chercheur.
Quelle durée d’exploitation ?
Un puits géothermique a généralement une durée d’exploitation d’une trentaine d’années, car à force de réinjecter de l’eau plus froide, l’aquifère a tendance à se refroidir. Le panache d’eau plus froide s’étale au cours du temps et finit par atteindre le puits de production, ce qui diminue l’intérêt de l’exploitation. Avec l’injection de CO2, on ajoute une complexité : le transfert de masse est en effet beaucoup plus rapide que le transfert thermique.
« Alors que cela prend généralement de 30 à 40 ans pour que l’eau froide commence à atteindre le puits de production, au bout de 2 à 10 ans, suivant les conditions d’exploitation, nos simulations montrent qu’on peut commencer à observer une augmentation significative de la concentration en CO2 au niveau du puits de production (de l’ordre du 1/10ème de la concentration injectée) », prévient Christophe Kervevan. La capacité d’injection du CO2 va donc avoir tendance à diminuer au cours du temps. « La stratégie pour améliorer la durée d’exploitation du puits géothermique et conserver le plus longtemps possible la capacité maximale d‘injection du CO2 est d’augmenter le plus possible la distance entre les deux puits au niveau du réservoir (alors qu’en surface, les têtes de puits sont distantes de quelques mètres). Pour ce faire, il est soit possible de jouer sur les angles de forage des puits pour atteindre jusqu’à 2.000 m d’éloignement à 1.500 m de profondeur. Dans les cas où l’aquifère est moins profond, on peut également envisager d’éloigner de 1 ou 2 km les têtes de puits en surface, ce qui nécessite alors de construire un pipeline entre la sortie de l’échangeur et le puits d’injection. Il est néanmoins probable que l’arrêt de l’injection de CO2 (faute de capacité d’injection suffisante) doive intervenir avant la fin de l’exploitation du doublet géothermique », précise le chercheur du BRGM.
La technologie est-elle compétitive ?
Une évaluation économique détaillée a été menée sur le cas-test de la sucrerie-distillerie d’Artenay (Loiret). L’implantation fictive d’un système « CO2-DISSOLVED » y apparait beaucoup plus intéressante qu’une technologie de captage-stockage de CO2 supercritique habituelle.
Pour cette usine dont les fumées issues du procédé de distillation sont à forte concentration de CO2 et ne nécessitent pas l’installation d’un système de séparation avant injection, le coût du système complet est estimé à une vingtaine de millions d’euros. Sur les 30 ans d’exploitation du doublet géothermique, la rentabilité est évidemment fortement dépendante du prix de la tonne de CO2. « Sur l’exemple d’Artenay, si la tonne de CO2 coûte plus de 30 €, il est ainsi toujours plus rentable d’associer l’exploitation géothermique à l’injection de CO2, plutôt que d’exploiter uniquement la géothermie», assure Christophe Kervevan. Suivant les scénarios d’opération sur 30 ans, le coût de la tonne de CO2 ainsi capturée et injectée varie entre 39 € dans le cas le plus favorable et 72 € avec les options les plus pessimistes, avec une moyenne à 51 €. Ces calculs économIques ne pourront néanmoins être validés que lorsqu’un pilote aura été mis en oeuvre. Dans un projet précédent, le coût de la tonne de CO2 stockée par injection à l’état supercritique avait été estimée à 89 €.
La phase suivante du projet, déjà sélectionnée pour un financement du groupement d’intérêt scientifique Géodénergies, permettra notamment de compléter les travaux scientifiques sur les interactions entre le CO2 dissous, l’eau et la roche et sur les méthodes de monitoring de l’aquifère. L’intégration d’une pompe à chaleur installée en surface en vue d’améliorer le rendement énergétique global du système sera également évaluée. L’acceptabilité sociétale et les aspects juridiques d’un tel projet seront par ailleurs étudiés. Le principal défi est désormais de trouver un site industriel pour l’implantation future d’un pilote de démonstration d’ici 2020. L’appel est lancé !
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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