Royal Dutch Shell annonçait, en Septembre 2013, en grandes pompes, accompagné du Gouverneur de Louisiane, qu’il allait investir à Bâton Rouge 12,5 milliards de dollars dans un projet de Gas-to-liquid (GTL) de taille mondiale (140 000 barils/jour), permettant de valoriser les ressources abondantes de gaz naturel américain sous forme de gazole, de kérosène et de naphta. Le projet semblait cohérent avec les ressources énergétiques disponibles et les besoins du marché.
Mais, moins de trois mois après, au mois de Décembre, Shell annonçait dans un communiqué laconique qu’il ne donnait plus suite à ce projet. Les différentiels de prix entre gaz et pétrole et la rigueur de gestion dans les investissements du Groupe justifiaient cette décision pour le moins surprenante de la part d’une Entreprise de cette taille.
Au mois de Septembre 2013, lors de la journée de présentation aux investisseurs, Total annonçait une baisse de ses investissements dès 2014 après une longue période d’investissements importants, accompagnée par une complexification et une forte inflation des prix des prestations de services dans l’amont (exploration et production).
Durant la même période, le Groupe BP annonçait vouloir privilégier les dividendes versés aux actionnaires quitte à réduire le flux des capitaux investis. Tout récemment, le groupe Exxon-Mobil vient d’annoncer à son tour une baisse de ses investissements dans le forage pétrolier. Les projections d’activité des sous-traitants en charge des forages pétroliers apparaissent pessimistes pour au-moins les dix-huit mois à venir, affirme Reuters.
En bref, la tendance dans le monde pétrolier, apparait être à la réduction des investissements dans l’exploration et la production de pétrole et à la distribution majorée de dividendes aux actionnaires.
Figure 1 : Investissements cumulés annuels des grands groupes pétroliers (BP, Exxon Mobil, Royal Dutch Shell, Total et Chevron) dans l’exploration-production en milliards de dollars courants (d’après l’OPEC Statistic Bulletin 2013)
L’abondance relative des ressources pétrolières mondiales constatée aujourd’hui n’est que la conséquence des énormes investissements dans l’exploration production de pétrole et de gaz non conventionnels réalisés depuis une décennie, en phase avec la montée des consommations ou mises en stock asiatiques et des cours associés du baril de pétrole.
Les grandes compagnies pétrolières (FIG.), souvent en association avec les compagnies nationales locales, ont investi dans l’amont (exploration-production) un total de 138 milliards de dollars en 2012 alors que leurs productions ne représentaient, au prorata de leur mise, que 12% des productions mondiales de pétrole brut. Mais les grands groupes, qui sont souvent leaders techniques et opérateurs de projets complexes qui ne seraient pas engagés sans leur participation, jouent dans les faits, un rôle dans ce domaine beaucoup plus important qu’il n’apparait par leur simple part de marché [1].
Il semble évident que cet état actuel, provisoire et fragile, de relative abondance des ressources pétrolières, devrait prendre fin en quelques années dans le cadre d’une décroissance des investissements pétroliers et des prises de risques de ces leaders dans l’exploration et la production.
L’adéquation du niveau de ressources pétrolières avec la demande dans le monde est aujourd’hui un problème de flux et donc de savoir faire et d’investissements des Groupes Pétroliers, nationaux ou internationaux, et non un problème de réserves qui sont encore abondantes et diverses, en contradiction avec les affirmations faussement simplificatrices des théories du peak-oil. Une baisse de ces investissements devrait naturellement conduire en quelques années le marché du pétrole vers une réduction des ressources mises sur le marché et, en conséquence, vers un accroissement des prix du baril, prix très sensibles à la marge du moment entre capacités de production et consommations, c’est-à-dire, reliés à l’aptitude (ou l’inaptitude) globale des opérateurs, détenteurs de réserves, à réagir rapidement devant une rupture locale des productions comme celle observée récemment en Lybie par exemple.
La profession doit investir pour satisfaire la demande mondiale croissante de « liquides » sortant des raffineries qui devrait augmenter annuellement d’un million de barils/jour, mais aussi et surtout pour lutter contre la fugacité de la ressource amont (déplétion) qui décline naturellement de 4% par an en moyenne ce qui représente, aujourd’hui, trois millions de barils de pétrole brut à renouveler chaque année. Ce paramètre est trop souvent oublié dans certaines analyses sommaires des marchés du pétrole, que conduisent des spécialistes financiers auto proclamés, les conduisant à prédire ex cathedra une décroissance des cours du brut, à mon avis fortement improbable à moyen-terme.
Le carburant de cette course à la ressource pétrolière, à la croissance des consommations mondiales et au maintient du flux par apport annuel de près de 4 millions de barils/jour de nouvelles ressources, est assuré par l’intelligence, le savoir-faire des professionnels de l’exploration- production et la somme des capitaux investis qui s’estiment en centaines de milliards de dollars (FIG.).
Il est évident, par ailleurs, que la contribution des biocarburants et des techniques de conversion de gaz naturel, de gaz carbonique, de biomasse ou de charbon en liquides, dans cette requête sera de plus-en-plus bienvenue et importante. Là encore, plusieurs conditions sont nécessaires : que les entreprises concernées investissent et que les hommes et femmes politiques européens refreinent leur phobie carbonique électorale. Il me semble à ce titre important de rappeler que le principal atout des biocarburants n’est surtout pas de réduire de quelques misérables tonnes les émissions mondiales de CO2, faisant l’objet de nombreuses études, publications et débats inutiles, mais que l’objet de ces biocarburants est de s’imposer, pour une part croissante, comme substituts aux ressources pétrolières mondiales et d’agir ainsi à la baisse ou à la modération de croissance des prix.
Condamner ou limiter l’utilisation des biocarburants comme l’a fait le parlement européen, me semble être une erreur évidente de bon sens. Cette industrie agricole, en association avec le monde paysan local, s’est largement imposée, malgré la fin des subventions, aux Etats-Unis et avec une adaptation naturelle en volumes et en prix des cultures de maïs à cette nouvelle demande bienvenue. Contrairement aux théories altermondialistes en vogue, une demande nouvelle ne crée pas la pénurie, elle stimule l’offre. C’est ce qui s’est passé sur le maïs américain et mondial.
La bonne santé de l’économie mondiale et donc la progression du monde vers moins d’injustices, de misères et plus de démocratie est beaucoup plus menacée par une pénurie de ressources énergétiques, devenues hors de prix, que par l’enfer climatique annoncé à grand bruit par certains. Pour l’instant, ni l’un ni l’autre ne semble être, à court terme, d’actualité. C’est une augmentation régulière et maîtrisée des prix du charbon, du gaz et du pétrole, en phase avec les progrès incessants réalisés dans l’efficacité énergétique des processus, qui limitera enfin le flux annuel des émissions anthropiques mondiales de gaz carbonique. A court-terme, une limitation réaliste et volontaire, par les seules grandes nations émettrices de ces rejets, vers les 40 milliards de tonnes de CO2 à l’horizon 2020 serait la bienvenue, après et seulement après, il faudra parler de réduction de ces émissions.
L’existence d’une relation entre accroissement progressif des prix des ressources énergétiques fossiles et réduction du flux des émissions mondiales de CO2 devrait bien un jour ou l’autre être constatée, et ceci n’a rien de métaphysique, puisqu’on l’observe déjà dans le monde hors Asie. L’accroissement du PIB mondial, grâce aux progrès dans l’efficacité énergétique des processus, se fera un jour à consommations énergétiques quasi stables ou décroissantes. Les pays de l’OCDE présentent dès à présent une croissance des consommations énergétiques très faibles (+0,5% par an en moyenne d’ici à 2040 prévoyait l’EIA en 2013) mais les contrées en fort développement n’en sont pas encore arrivées à ce point avec des prévisions de croissances de consommation énergétique des pays non OCDE de 2% par an selon la même source.
Par Raymond Bonaterre
[1] A partir de ces 140 milliards de dollars annuels investis dans l’amont par les grands groupes pétroliers internationaux pour assurer 12% de la ressource de pétrole brut, on peut estimer le montant global des investissements pétroliers dans l’exploration production, compte tenu de la complexité des projets gérés par ces Compagnies, à 6 à 7 fois cette somme. Ceci conduit à évaluer les investissements annuels globaux dans l’amont autour des 800 (+ ou – 100) milliards de dollars qui sont à rapprocher aux 4000 milliards estimés de chiffre d’affaire annuel consolidé de la filière des produits pétroliers (hors gaz naturel).
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