La crise du Covid-19 se poursuivant, entraînant la cessation d’une partie de l’activité, la consommation d’électricité demeure à un niveau bas. En outre, la météo favorable (avec un mois de mars chaud et venteux) booste les énergies renouvelables (éolien et solaire), alors que la demande est atone, voire faible, avec pour conséquence une chute des prix de l’électricité sur les marchés européens. Une deuxième conséquence est une fragilisation du système électrique alors même que l’électricité est devenue hautement nécessaire. Dans un « point de vue », France Stratégie, organisme rattaché au Premier ministre, passe en revue les impacts de la crise sur le système électrique.
Comme le rappellent les auteurs de la note, Etienne Beeker et Marie Dégremont, « les chiffres de consommation journalière d’électricité révèlent une forte baisse de la demande, de l’ordre de 15 % à 20 % en moyenne les deux premières semaines du confinement par rapport à un mois de mars ‘’classique’’ ». Un chiffre qui demeure à peu près constant à l’aune de la prolongation des mesures sanitaires, comme le montrent les derniers chiffres de RTE sur le sujet.
Ce recul de la demande entraîne un moindre recours aux centrales au gaz et au charbon. En effet, indiquent les auteurs, « en temps normal, pour répondre à la demande, les moyens de production sont appelés suivant des coûts marginaux croissants : d’abord les énergies renouvelables (hors hydraulique, géré pour optimiser le stockage et la flexibilité apportés au système), qui sont prioritaires sur le réseau, ensuite le nucléaire, enfin les centrales à gaz ou au charbon ». La consommation étant faible, les centrales gaz et charbon sont moins appelées, et les prix baissent sur les marchés qui sont « couplés » en Europe, c’est-à-dire qu’ils interagissent.
Pour les auteurs de la note, « les systèmes électriques des pays européens étant largement interconnectés et les marchés couplés, les baisses de prix se sont généralisées sur le continent au fil des ordres de confinement, y compris pour les contrats à terme en 2021 et 2022, preuve que le marché anticipe une crise assez longue ». En outre, ce mouvement a été amplifié par une chute concomitante du prix du carbone sur le marché européen des quotas (soit environ 40 %, passant de 25 €/tCO2 à 15 €/tCO2). Néanmoins, ce niveau est remonté un peu depuis, suite à l’annonce récente par EDF d’une baisse de la production nucléaire sur l’année autour de 300 TWh (contre 380-390 TWh prévus), « peut-être parce que le marché anticipe une reprise économique à base de fossiles très bon marché », indiquent les auteurs. Et d’ajouter que « néanmoins, la plus grande incertitude règne sur son évolution future, qui dépendra de la vigueur de la reprise et de sa nature. »
Impact de la baisse des prix sur tous les acteurs du système
Cette chute des prix, qui sont de plus en plus souvent « négatifs » notamment parce que les renouvelables, et plus particulièrement le solaire, produisent un maximum grâce à une météo favorable, impacte tous les acteurs du système. Les producteurs, d’abord, ceux qui ne bénéficient pas de conditions d’achat, comme Engie en France et EDF notamment, réduisent leurs productions, donc vendent moins. Les fournisseurs (tous), réalisent moins de vente, donc ont moins de rentrées. Et les réseaux, à la fois RTE, le gestionnaire du transport et Enedis, le distributeur (ainsi que les autres distributeurs en régie) dont la rémunération est fixée par le Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe) perçoivent une part par kWh qui transite sur les lignes, ce qui signifie que si moins de kWh sont transportés, les rentrées diminuent d’autant. Comme l’indiquent les auteurs de la note, « leurs dépenses étant essentiellement constituées d’investissements, le Turpe devra nécessairement augmenter en 2021 pour couvrir ces dépenses, faisant augmenter le prix du kWh au consommateur final. Le réseau comptant pour moitié environ de ce prix HT, une diminution de 10 % de la consommation d’électricité induirait en première approximation une augmentation du tarif de 5 %. »
EDF s’en sort un peu mieux malgré l’arrêt de plusieurs centrales nucléaires, car une partie de ses ventes sont réalisées au « tarif réglementé », et une autre partie via le mécanisme de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). « Ce mécanisme qui oblige EDF-producteur à alimenter les fournisseurs alternatifs en énergie nucléaire au prix régulé de 42 €/MWh (pour une quantité limitée à 100 TWh, soit un quart de la production nucléaire totale, sur la base de 400 TW par an) se retourne à l’avantage d’EDF avec la crise », indiquent les auteurs de France Stratégie. Les fournisseurs alternatifs (Total, mais aussi Engie et nombre d’autres), ont en effet réclamé en début d’année beaucoup d’Arenh (le maximum) alors que les prix de marché étaient à 50-55 €/MWh, mais désormais, ils sont tenus d’acheter à EDF les volumes demandés au prix de 42 €/MWh, soit bien au-dessus du prix du marché actuel, qui tourne autour de 20 €/MWh.
Comme le soulignent les auteurs de la note, « ils demandent aujourd’hui l’activation de la clause de « cas de force majeure » pour suspendre leurs contrats d’approvisionnement et opter pour le marché qui atteint en moyenne 20 €/MWh. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a opposé une fin de non-recevoir à cette demande. Le 6 avril, les fournisseurs alternatifs ont toutefois attaqué la CRE devant le Conseil d’État, qui a rejeté leur requête le 18 avril. Le différend portait sur des milliards d’euros, au vu des écarts de prix et des volumes en jeu. »
Les producteurs renouvelables ne sont pas non plus trop touchés par la crise, dans la mesure où leurs prix d’achat sont encore en règle générale très majoritairement garantis par un tarif d’achat fixé.
Un système électrique instable
Autre conséquence de la crise, quand la demande globale décroît, les moyens de production « non pilotables » (solaire et éolien, mais aussi certaines tranches nucléaires et au gaz non flexibles) voient leur part augmenter en proportion. À certains moments, la part de ces moyens non pilotables peut même dépasser la demande, insistent les auteurs. « Dans ce cas, la priorité d’injection sur le réseau des énergies renouvelables conduit les gestionnaires de ce réseau à arrêter des centrales conventionnelles – au charbon, gaz ou nucléaire –, pourtant par nature flexibles et permettant d’assurer l’équilibre offre-demande à court terme. À cela s’ajoute le fait que de nombreuses installations industrielles sont à l’arrêt, privant le système d’un levier important d’ajustement de la consommation (via l’effacement ou interruptibilité, NDLR). »
Et les deux auteurs d’insister : « Le mois de mars et la première période d’avril qui incluent la période de confinement ont été particulièrement ventés et ensoleillés et sont typiques d’une telle situation. La demande y a été si basse par moments, les week-ends en particulier, que plusieurs centrales nucléaires et conventionnelles ont été mises à l’arrêt en Europe, générant des épisodes de prix négatifs particulièrement longs. Les centrales à gaz dont le coût marginal de fonctionnement est généralement le plus élevé sont les premières à être arrêtées, alors que ce sont souvent les plus flexibles ». La sécurité d’approvisionnement s’en trouve ainsi affectée.
La conclusion de ce point de vue est loin « du monde d’après, radieux » que certains tentent aujourd’hui de dessiner. « En conclusion, les conséquences de la chute d’activité sur la consommation d’électricité invitent à réexaminer la robustesse des systèmes français et européen de production, de transport et de distribution d’électricité. Des évolutions importantes devront être étudiées pour que ces systèmes puissent répondre dans de bonnes conditions de sécurité aux défis des années à venir. La décarbonation de l’économie conduira en effet à une hausse marquée de la part de l’électricité dans la consommation d’énergie, et nos systèmes n’y sont pas prêts. »
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