Artémis, la petit sœur du programme Apollo est sur les rails
« Les Américains (re)demandent la Lune. Qu’on la leur donne », a décidé Donald Trump. Cinquante ans après le premier homme sur la Lune, les Etats-Unis ont officiellement relancé un programme d’envergure pour s’installer durablement sur notre satellite.
C’est donc parti pour le programme désormais baptisé Artémis (jumelle du dieu Apollon dans la mythologie grecque). Ce programme de 5 ans (2019-2024) vise à « affirmer le leadership américain pour la conquête de la Lune et à emmener la première femme sur la Lune », selon le gouvernement américain. En réalité, 2024 ne marquerait que le début du retour de l’homme sur la Lune. Quatre autres missions habitées étant prévues par la suite entre 2024 et 2028.
Passé l’effet d’annonce de la fin mars 2019, où Mike Pence, vice-président américain, annonçait cet ambitieux programme, la Nasa a dû revoir ses plans pour raccourcir les délais – elle visait plutôt un premier alunissage humain vers 2028. Sur le papier, tout est désormais prêt et va fonctionner comme sur des roulettes. Dans la réalité, les difficultés techniques, logistiques et financières sont loin d’être résolues. Il n’empêche que symboliquement, la conquête de la Lune est bien repartie outre-Atlantique. Et pas question que les Chinois les battent au poteau.
Quatre équipements clés
Un des buts de ce retour sur la lune est de préparer une installation durable visant à la fois des objectifs scientifiques, des objectifs commerciaux (à terme exploitation des ressources) et une base de départ pour des voyages interplanétaires plus ambitieux, notamment vers mars.
Concrètement, le programme Artémis, pour fonctionner doit s’appuyer sur plusieurs équipements en cours de développement :
- un lanceur lourd, le Space Launch System (SLS), dont Boeing assure le développement depuis plus de 8 ans, accumulant les retards, et dont la gestion a été vertement critiqué par plusieurs rapports. Son premier vol, initialement prévu en 2017 est espéré à présent fin 2020 (dans une version optimiste) ou de manière plus réaliste vers mi-2021. Ce lanceur doit sortir de l’attraction terrestre différents composants constituant la base d’Artémis ;
- les différents modules de la station orbitale lunaire, Gateway. L’ambitieuse station spatiale prévue initialement a été réduite à son strict minimum dans les nouveaux plans avec seulement deux modules (le module PPE produisant l’énergie et comprenant le système propulsif et le module d’habitation I-HAB). Un troisième module de sas pourrait être ajouté selon la solution choisie au final pour le module lunaire ;
- le vaisseau interplanétaire Orion qui doit transporter les astronautes entre la Terre et la station spatiale, à l’aller comme au retour. Cette capsule de transport est désormais bien avancée et son premier exemplaire doit voler lors du premier vol du SLS pour un test sans astronaute autour de la Lune. C’est la phase Artémis 1 ;
- et enfin un module lunaire chargé d’assurer la descente et la remontée des astronautes.
Trois phases de développement
- Artemis 1 constitue donc la phase de test du SLS et de la capsule Orion. Programmée pour 2020, tout laisse à penser que le premier vol n’interviendra pas avant 2021.
- Artemis 2 sera constitué de nouveaux vols du SLS et d’Orion mais cette fois en embarquant des astronautes pour des vols cislunaires. Le nouveau programme prévoit cette phase en 2022.
- Artemis 3 en 2024 avec les premiers équipages à destination de la station orbitale lunaire puis de la surface. L’alunissage étant prévu près du pôle sud, où gisent normalement des stocks d’eau utiles pour une implantation temporaire ou permanente.
En parallèle de ces trois phases qui résument succinctement le contenu du programme Artemis, il est prévu l’envoi, via des sociétés privées, d’atterrisseurs embarquant du matériel scientifique permettant de mieux préparer l’arrivée et l’installation de robots, rovers et astronautes, l’envoi et l’assemblage de la station orbitale et de son module lunaire ainsi que l’envoi de rovers scientifiques à la surface.
Un budget encore très flou
Pour marquer la volonté du gouvernement d’allouer les moyens nécessaires à la réussite de ses objectifs, à la mi-mai 2019, une enveloppe supplémentaire de 1,6 milliard de dollars a été débloquée au titre de l’année budgétaire 2020. Aussitôt cette annonce faite, le débat sur le financement du projet Artémis s’est beaucoup animé. L’évaluation du coût supplémentaire pour raccourcir les délais du programme lunaire est évalué entre 20 et 40 milliards de dollars. Le milliard et demi débloqué ressemble alors à une goutte d’eau. D’autant que pour le moment, le gouvernement parle de prendre l’argent sur des surplus d’un fonds d’aide à l’accès à l’enseignement supérieur pour les plus pauvres. Un symbole qui a du mal à passer. L’incertitude est déjà donc de mise sur la validation par le congrès de cette première rallonge. Le budget total final du programme est en plus impossible à évaluer car de nombreux choix techniques n’ont pas encore été faits. Et si de substantielles économies sont prévues en faisant appel au secteur privé, cela ne suffira peut-être pas à trouver les fonds. D’autant qu’à l’incertitude budgétaire, s’ajoute une incertitude politique. Les élections présidentielles américaines doivent se tenir fin 2020 et le programme dans son ensemble pourrait alors même être revu à la baisse ou retardé.
Le rôle clé du secteur privé et commercial
Pour accélérer le calendrier et limiter les coûts, la conception, la fabrication et l’exploitation du module lunaire sont désormais ouvertes à toutes les participations privées. Jim Bridenstine, administrateur de la Nasa, l’affirmait ainsi clairement en mai 2019 dans une interview de The Verge : « Nous nous tournons vers le secteur commercial pour nous fournir ses idées et ses visions afin d’aller de la station Gateway à la surface de la Lune. L’industrie privée fournira un service pour les astronautes américains et nous attendons d’elle qu’elle fasse ses propres investissements dans l’atterrisseur. Avec l’objectif pour elle d’avoir d’autres clients que la Nasa, notamment internationaux ». Le 17 mai dernier la Nasa a donc présélectionné 11 entreprises qui ont six mois pour développer des concepts et des prototypes pour le module lunaire. L’enveloppe totale pour l’ensemble de ces lauréats s’élève à 45,5 millions de dollars. Les entreprises sont de toutes sortes, des géants comme Boeing ou Lockheed Martin, aux grands outsiders comme SpaceX et Blue Origin ou de petites sociétés comme Masten Space Systems. Le concours ne porte que sur les solutions de descente et de transfert. Pas sur le système de retour vers Gateway.
D’autres avancées concrètes ont été annoncées en cette fin de premier semestre 2019. En effet, la Nasa a aussi signé trois premiers contrats pour emporter ses chargements sur la lune dès 2020 et 2021. Notons au passage que la nouvelle feuille de route prévoyait ces envois dès 2019… Il s’agit pour la Nasa (et l’Amérique) de marquer le coup en se posant de nouveau sur la Lune avec du matériel technologique de pointe permettant de préparer l’arrivée des astronautes. Les trois entreprises choisies sont Astrobiotic de Pittsburg pour 14 chargements à destination de Lacus Mortis, un large cratère sur la face visible de la Lune avec un vol prévu en juillet 2021. Intuitive Machines de Houston pour cinq chargements à destination d’Oceanus Procellarum, une tâche sombre mystérieuse en juillet 2021. Et le dernier, Orbit Beyond d’Edison dans le New Jersey avec quatre chargements en direction de Mare imbrium, une plaine de lave dans un cratère, avec un lancement dès septembre 2020. Un retour technologique américain sur la Lune qui pourrait donc être rapide et qui porte en lui plusieurs symboliques : la collaboration poussée avec le secteur commercial, y compris avec de petites entreprises et la démonstration de la (suprématie de la) technologie spatiale américaine.
Calendrier à marche forcée, une bonne idée ?
La pression mise sur la Nasa et sur ses contractants pour tenir des délais, que la plupart des experts trouvent insensés, fait cependant peser un autre risque sur ce programme. Celui d’un échec ou d’une défaillance technique, humaine ou organisationnelle, qui, dans le cadre de vols habités, prendrait encore une fois la forme d’un drame national voire international. Ce calendrier à marche forcée n’est en effet pas sans rappeler les écueils du programme de la navette Challenger et sa catastrophe humaine finale ; les acteurs de la sécurité l’étudie encore. Espérons que tous les enseignements en aient été tirés.
Cet article se trouve dans le dossier :
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