A partir de juillet, Techniques de l’Ingénieur vous propose de suivre notre feuilleton de l’été : chaque semaine, découvrez les nouvelles de science-fiction sélectionnées dans le cadre de notre concours « Comment la science et les techniques façonneront le monde en 2086 ? ». Pour ce premier épisode, plongez au coeur de la procréation du futur, anticipée par M. Pégeot.
Huit minutes depuis les dernières contractions, huit minutes et quinze secondes entre les deux précédentes. Et ainsi de suite depuis trente minutes. D’après l’application Sherlock (Family Édition) de ma minitab, le travail a commencé et l’accouchement est pour bientôt : il est grand temps que j’aille à la maternité.
Malgré l’excitation (et un brin d’appréhension), mon cerveau reptilien a pris les choses en main, soutenu par les hormones émises par le diffuseur que je porte à l’épaule, relié à une aiguille qui s’insère sous mon aisselle droite. Je pianote donc fébrilement sur ma minitab pour commander un taxi : le système me répond en m’invitant à patienter quelques instants – j’en profite pour indiquer l’adresse de la maternité. Je saisis les deux livres papier que j’avais mis de côté pour l’occasion : un roman policier islandais du début du siècle, avec une élégante couverture noir mat, à l’exception du titre, en lettres bleues brillantes, et un ouvrage de sociologie assez austère. Je lance également le recycleur, afin que les eaux usagées de mon bain et du lave-vaisselle soient propres à mon retour, d’autant plus que je n’aurai sans doute pas la tête à ça puisqu’un un petit être sera là et que je n’aurai plus le loisir de tout faire à la dernière minute.
Ces rapides préparatifs accomplis, je mets mes écouteurs et me dirige vers la porte d’entrée qui s’ouvre automatiquement. Ma minitab, qui a détecté les écouteurs maintenant en place, commence à diffuser une musique adaptée à mon humeur du moment. Sa première sélection, Poème Symphonique pour 100 métronomes de Ligeti me conduit à m’interroger sur la pertinence de sa configuration. Ma valise, appariée à ma minitab, a compris que le signal du départ est donné et se met en route docilement, me suivant à 50 cm, calant sa vitesse sur mon pas déjà fatigué. À peine en bas, j’aperçois le taxi qui s’arrête à ma hauteur. La porte s’ouvre, là encore automatiquement, et je m’installe maladroitement. Malgré la petite taille du véhicule, l’intérieur est spacieux et ma valise autonome se hisse sans problème dans l’habitacle – je note ironiquement qu’elle est plus agile que moi. Elle semble lire dans mes pensées et émet un petit bip narquois. L’écran du taxi indique déjà mon nom, ‘’CAMILLE PAVILLE’’, en grosses lettres vertes, ainsi que la destination que j’ai entrée auparavant : je vérifie systématiquement, même si, depuis que les taxis sans chauffeur ont été rendus obligatoires il y a bientôt 15 ans, je n’ai jamais vu d’erreur de destination. Mais on ne sait jamais, ça ne serait vraiment pas le bon moment…
Je profite du trajet pour reprendre les exercices : je souffle lentement, comme j’ai pu l’apprendre lors des cours de préparation. L’application Sherlock m’aide par ailleurs à cadencer mes inspirations : je dois reconnaître que le programme est agaçant mais efficace. Pendant ce temps, le taxi a terminé l’import de mes préférences et met en place les réglages associés : le plafond s’illumine, diffusant en temps réel une réplique du ciel de Séville. Le début de soirée dans la capitale Andalouse offre une lumière très agréable, plus intense et plus chaude que celle de Paris – le contraste est par ailleurs accentué par le fait que le taxi décide d’emprunter une petite ruelle, sans doute afin d’éviter un embouteillage… La climatisation, qui se met également en route, est la bienvenue en ce mois d’avril où il fait déjà près de vingt-neuf degrés Celsius en journée.
Après un trajet d’une trentaine de minutes, j’arrive devant l’entrée de la maternité. L’édifice est neuf, mais il a l’air plus sinistre que lors de mes visites précédentes, la luminosité ou le stress sans doute… Je descends gauchement du véhicule, toujours suivi de ma valise, et pénètre dans le bâtiment. Je me retrouve en terrain connu : la lumière, très blanche, et le mobilier, neuf et fonctionnel, paradoxalement, me rassurent. Une fois à l’accueil, je présente mon bracelet ID au lecteur de la réception. Après un coup d’œil rapide sur mon appareil de suivi de grossesse, l’infirmière, une jeune femme dotée d’un chignon disproportionné, m’invite à patienter dans la salle d’attente.
– Un partenaire se joindra ?
Bien que la science ait depuis un certain temps permis de se passer de partenaire, je ressens tout de même l’espace d’un instant le besoin de me justifier, avant de me reprendre et de me contenter d’un non laconique. Une sage-femme me prend en charge, me conduit en salle d’accouchement et me demande de patienter un moment.
Je m’installe et note que les contractions se sont arrêtées, temporairement sans doute. Je profite de ce moment de répit pour jeter un œil au livre de sociologie que j’ai emmené, Impact de la disparition du salariat dans l’industrie papetière française (2032-2046). Caressant la couverture du bout des doigts, je songe que j’ai pris cet ouvrage pour une raison assez narcissique au final, puisqu’il cite en effet en bonne place plusieurs de mes travaux, à commencer par mon premier livre, dérivé de ma thèse : Le salariat, une idée morte avant d’être vieille (je n’aimais pas le titre mais l’éditeur trouvait que mon titre de thèse original, Bifurcations du statut de travailleur : la socio-histoire de l’industrie française à travers une étude de rapports sociaux spatialisés dans l’Allier, n’était pas très vendeur).
À peine ai-je débuté la lecture de la préface que les contractions reviennent, annonçant que le bébé semble pressé de sortir. J’appelle la sage-femme qui ne tarde pas à venir et me pose un appareil de contrôle sur le ventre, une sorte de gros mollusque caoutchouteux. Ce dernier affiche une série de courbes, se fend d’un bip sibyllin et affiche 3 lumières vertes, ce qui me semble plutôt bon signe. La sage-femme, une dame d’âge mûr, trapue, mais aux traits doux, est visiblement du même avis :
– On va pouvoir commencer ! indique-t-elle un sourire vaguement rassurant aux lèvres.
J’avoue ne pas ressentir la même sérénité. Le mollusque caoutchouteux doit s’en rendre compte : la jolie courbe verte représentant mon pouls vient de grimper sérieusement et vire au rose.
Je suis en nage, la courbe rose a carrément viré au rouge durant l’accouchement, mais le bébé est maintenant là. La sage-femme le dépose sur mon ventre semi-artificiel :
– Alors Monsieur, heureux ?
Marc Pégeot
aha excellent la fin !
merci pour cette nouvelle qui se lit facilement, rapidement et avec plaisir
Bonjour,
J’ai lu avec délectation votre nouvelle… jusqu’à la fin que je n’ai pas vu venir !
Quelques petites remarques malgré tout. Je vends des objets connectés et je sais que pour être adoptées, les nouvelles technologies doivent être le moins invasives possible… donc le diffuseur d’hormones à aiguille, je ne suis pas certain que cela sera un grand succès commercial. Pourquoi pas un patch transcutané ou encore un collier qui diffuse les hormones en un léger brouillard à hauteur du nez…
Quant au fait de taper sur sa tablette, c’est tellement 20ème siècle ! Avec Google Home, Siri d’Apple ou Amazon Alexa, tout se passe à la voix.
Enfin, Google Now aurait trés certainement vu venir le moment fatidique du départ à la maternité grâce au rapprochement des contractions,, et lorsque la valise serait descendue chercher son propriétaire pour partir, le taxi arriverait au coin de la rue dans même avoir eu besoin de songer à l’appeler 😉
Merci encore pour ce
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