Selon le rapport « Planète vivante » publié par le WWF le 10 septembre dernier, 68 % des vertébrés ont disparu de la planète durant ces cinquante dernières années. Ce chiffre s’ajoute aux nombreux autres faisant état du déclin de la biodiversité. En parallèle, la population mondiale augmente, et pourrait atteindre, selon l’ONU, dix milliards d’individus d’ici 2050. De fait, les besoins en nourriture augmenteront dans les prochaines années. Or, cela a été rappelé durant la plénière de la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité (IPBES) qui avait eu lieu à Paris au printemps 2019, l’alimentation est la première cause de déclin de la biodiversité.
Dans le but de trouver une issue à ce paradoxe auquel l’humanité devra faire face à moyen terme, un groupe de 58 chercheurs ont établi plusieurs scénarios par modélisation informatique. « Le simple fait de nourrir la population humaine croissante sera un défi », affirme David Leclère, docteur en sciences environnementales, chercheur à l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) situé à Laxenbourg en Autriche, à la tête de cette équipe de recherche. Les résultats de leurs travaux ont fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Nature, également le 10 septembre.
Agriculture et nature « sur une trajectoire de collision »
« La première cause de la perte de biodiversité est le changement d’usage des sols, au profit d’une agriculture de plus en plus industrialisée et financiarisée, pour satisfaire un régime alimentaire de plus en plus mondialisé, de plus en plus carné, gras et sucré », constatait en 2019 Yann Laurans, directeur du programme Biodiversité et écosystèmes à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (Iddri). Si rien n’est changé dans les comportements alimentaires mondiaux, cette tendance sera accentuée par l’accroissement de la population et des richesses. Pourtant, rien n’indique que la proportion de terres agraires et de pâturages augmentera.
« Essayer d’équilibrer cette demande en augmentation rapide avec la quantité limitée de terres disponibles pour les cultures et les pâturages place l’agriculture et la nature sur une trajectoire de collision », constatent Brett Bryan et Carla Archibald, chercheurs au Centre for Integrative Ecology à l’Université Deakin de Melbourne (Australie), après lecture de l’étude publiée dans Nature. Ainsi, les différents modèles d’utilisation des terres réalisés par David Leclère et ses confrères sont autant de propositions pour dépasser ce blocage. Pour ce faire, trois projections ont été faites par rapport à un scénario de référence, dans lequel aucune action de sauvegarde n’est entreprise.
Jusqu’à 90 % de pertes de biodiversité évitées
Afin de préserver la biodiversité, les pistes avancées par David Leclère et son équipe sont les suivantes : l’extension du nombre de réserves naturelles protégées, la restauration des terres dégradées, une stratégie mondiale de la préservation des paysages. Si de telles mesures étaient mises en œuvre, 58 % des pertes de biodiversité seraient évitées. Néanmoins, si les pratiques alimentaires restent similaires à celles d’aujourd’hui, un tel modèle impliquerait inexorablement une hausse des prix. C’est pourquoi les scientifiques préconisent de combiner ces actions de conservations à des interventions sur le système alimentaire.
Ainsi, deux scénarios intègrent tout ou partie des idées suivantes : la régulation de l’offre et de la demande alimentaire, l’augmentation des rendements agricoles, la mondialisation du commerce de nourriture, la réduction de moitié de la consommation de viande, et la division par deux du gaspillage alimentaire. Dans le cas où toutes ces mesures seraient associées, l’étude affirme qu’entre 66 % et 90 % des pertes de biodiversité pourraient être évitées. De plus, l’application de mesures conjointes de conservation de la biodiversité et de régulation du système alimentaire permettrait d’endiguer la hausse des prix de la nourriture.
Des affirmations « excessivement optimistes » ?
Cependant, les projections effectuées par David Leclère et son équipe comportent des biais. Le plus grand est qu’elles ne tiennent pas compte des effets du réchauffement climatique sur la biodiversité. « Cela soulève une incohérence interne car le scénario de référence considère l’utilisation des terres, les changements sociaux et économiques sous environ quatre degrés de réchauffement climatique d’ici 2100. Mais, d’un autre côté, il ne tient pas compte de l’effet profond du réchauffement sur les populations végétales et animales et les écosystèmes qu’elles composent », déplorent Brett Bryan et Carla Archibald. Les conséquences liées aux espèces invasives et à la chasse ne sont pas prises en compte non plus.
De son côté, David Leclère reconnaît ces limites, et affirme que ces points doivent rapidement faire l’objet de prochaines recherches. Mais pour Brett Bryan et Carla Archibald, ces lacunes permettent de remettre en question certains points. « Malheureusement, pour nous tous, l’omission de ces menaces clés signifie probablement que les estimations des auteurs sur le sort de la biodiversité et l’efficacité de la conservation mondiale intégrée et de l’action du système alimentaire sont excessivement optimistes » déclarent-ils.
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