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Concevoir et déployer une démarche « signaux faibles » : l’exemple d’un site nucléaire

Posté le par La rédaction dans Environnement

Sous l’impulsion d’organismes internationaux de gestion des risques, les industriels sont amenés à développer des démarches "Signaux Faibles", complétant leurs dispositifs de retour d’expérience. C’est dans ce cadre que depuis 2002, le centre nucléaire de production d’électricité du Tricastin (EDF) déploie cette démarche dont voici les principaux enseignements.

Les auteurs de l’article ci-dessous ont reçu le prix ‘’Lambda Mu d’or Méthode et Industrie’’ pour la meilleure ‘’communication conférence’’ lors du seizième congrès de maîtrise des risques et de sûreté de fonctionnement qui s’est tenu au Palais des Papes d’Avignon en octobre 2008. Le lecteur pourra retrouver l’intégralité de la communication dans le recueil des actes du congrès publié par l’IMdR ainsi que dans le CD-ROM du congrès qui contiennent chacun d’autres articles relatifs à la même thématique.Commandité par la Direction du site et piloté par le responsable du Retour d’Expérience (REX) et l’antenne Facteur Humain (FH) de la Mission Sûreté Qualité (MSQ), ce projet a été conduit de manière participative en étant soutenu par un réseau de correspondants FH dans les services et les équipes de travail. Trois jalons ont rythmé la conduite de ce projet. Dans un premier temps, à partir d’un diagnostic de l’existant sur le site et de l’enseignement des accidents industriels dont nous avons connaissance, il s’agissait de construire collectivement et de partager sur le site le sens de la démarche « Signaux Faibles ». Un accord sur la définition des signaux faibles a ainsi été trouvé. Par « Signaux Faibles », nous entendons « un ensemble d’éléments, de faits, d’anomalies, de dysfonctionnements, de petits écarts, qui individuellement n’ont pas forcément d’impact sur les performances (sûreté, sécurité…), mais dont les récurrences, les accumulations, les agencements, peuvent conduire à des évènements plus graves ». Ensuite, de manière itérative avec les utilisateurs, nous avons conçu un outil répondant à la finalité identifiée (voir figure 1).

 La finalité  Comment ?
  • Identifier les problématiques « signaux faibles » à partir d’un ensemble de faits
  • Collecter des faits
  • Caractériser des situations de travail
  • Classer – traiter statistiquement
  • Analyser (objectiver, croiser) et partager collectivement
  • Hiérarchiser, décider d’actions
  • Mémoriser
Figure 1 : Fonctions de l’outil pour répondre à la démarche Signaux FaiblesPuis est venue l’étape des premières utilisations comme test du dispositif « Signaux Faibles ». Nous avons toujours considéré comme indissociable le système de détection et de collecte du système d’analyse et de traitement des données. Les premières utilisations du dispositif mis en place ont donc associé la phase de détection et la phase d’analyse des dysfonctionnements mémorisés.

Les facteurs de réussite du projet « Signaux Faibles »
Le dispositif mis en place lie à la fois des aspects technique (utilisation d’un outil), organisationnel (l’organisation définie pour mettre en œuvre la démarche « Signaux Faibles ») et managérial (l’animation du dispositif). La réussite du déploiement de ce dispositif repose selon nous sur quatre points principaux :
  • la nature de la collecte des données (caractérisation FH),
  • la possibilité qu’offre le dispositif mis en place de réaliser des analyses globales,
  • l’accompagnement du déploiement de la démarche dans les services et équipes,
  • l’apport de la démarche au management de la sûreté.
Une grille qui a été suivie point à point dans le cas du centre nucléaire de production d’électricité du Triscastin. En voici les principales étapes et enseignements.

La caractérisation factuelle de la situation de travail
Lors de la phase de diagnostic initial, les décideurs ont exprimé le besoin de disposer grâce à la démarche « Signaux Faibles » d’une compréhension affinée des dysfonctionnements. Pour répondre à cette attente, nous avons développé une caractérisation FH et organisationnelle ancrée sur les situations de travail. L’analyse globale de ces données a enrichi la compréhension que le site avait des dysfonctionnements.Par caractérisation FH, nous entendons la mémorisation d’éléments qui rendent compte de la situation de travail vécue par les personnes engagées dans l’histoire du dysfonctionnement. Une situation de travail se caractérise par l’existence d’un lien entre un système technique, physique et documentaire, une organisation du travail et des hommes évoluant dans des équipes de travail. Ainsi, pour un dysfonctionnement donné, la caractérisation FH consiste à recueillir à la fois des informations techniques, organisationnelles et relatives aux hommes et équipes : système technique concerné, environnement de travail au moment où le dysfonctionnement s’est produit (facteurs physiques, contexte d’activité, gestion du temps, gestion de l’équipe…) et des informations relatives aux acteurs (métier, fonction, expérience dans le poste). Ce sont ces données ainsi caractérisées qui vont alimenter l’analyse globale.D’autre part, l’approche proposée permet de faire remonter des problèmes indépendamment d’un questionnement relatif au respect ou non d’un référentiel de production. Pour une démarche de retour d’expérience, c’est assez nouveau. Parce qu’il est professionnel, l’intervenant choisit de faire remonter des données relatives à ce que lui trouve être un dysfonctionnement dans la situation d’intervention qu’il vit. Pour illustrer ce point, prenons l’exemple d’un lignage.Un agent de terrain choisit de mémoriser un problème pour d’autres raisons que la non atteinte d’un seuil physique lors de la réalisation de l’activité. Bien que le résultat du lignage soit conforme à l’attendu, l’agent de terrain va faire un retour d’expérience car il a été confronté à plusieurs désordres organisationnels : une succession d’interruptions et de reprises de l’activité, des consignes contradictoires provenant de donneurs d’ordre différents, un accès au matériel difficile… La démarche mise en place a l’avantage d’élargir le spectre du recueil d’informations ; ce qui est un atout pour accroître la vigilance organisationnelle au sein d’une industrie à risque.

Un dispositif permettant la réalisation d’analyses globales
De fait, la démarche « Signaux Faibles » vient enrichir l’analyse de bon nombre de dysfonctionnements grâce à l’introduction de données FH. Mais en même temps qu’elle augmente le nombre de dysfonctionnements mis en mémoire, elle permet également d’élargir le périmètre des analyses globales produites. Car grâce à la caractérisation FH, commune et ciblée (menus déroulants guidant le choix des items), la réalisation d’analyses globales est possible. En effet, supportée par un outil de comptage de données, la recherche de récurrences et de tendances que permet l’analyse globale n’est envisageable qu’à partir du moment où l’on dispose d’un nombre suffisant de données homogènes. Or c’est précisément ce que permet le dispositif mis en place.

L’accompagnement du déploiement de la démarche dans les services et équipes
L’accompagnement du déploiement de la démarche « Signaux Faibles » dans les services et équipes est un facteur de succès. Dans les services et équipes de conduite, les correspondants du réseau FH sont devenus des relais du déploiement de la démarche. Leur rôle a été multiple : accompagnement de la collecte auprès des techniciens et des managers, participation à la phase d’analyse des données… Ajoutons que le partage entre le relais FH du service ou de l’équipe et l’intervenant au sujet des situations de travail est précieux en terme de retour d’expérience et de culture de sûreté.

Les apports de la démarche « Signaux Faibles » au management de la sûreté
L’intégration de la démarche « Signaux Faibles » dans le système de management de la sûreté est sans conteste un élément positif. Les diagnostics qui sont réalisés pour une activité opérationnelle à enjeu de sûreté ou un domaine donné (Sûreté …) intègrent plusieurs sources de retour d’expérience (analyses d’évènements, analyses Signaux Faibles, résultats d’audits, indicateurs …). En produisant une vision globale, organisée et cohérente du REX, cette intégration permet d’améliorer la pertinence des diagnostics et de construire ainsi une compréhension affinée des problématiques à travailler. De plus, en tant qu’éléments de diagnostic des activités pilotées, les analyses « Signaux Faibles » orientent le manager responsable de l’activité / domaine quant au traitement des problématiques mises en lumière.Figure 2 : Principe d’élaboration collective du diagnostic du domaine SûretéD’autre part, l’intérêt que le management des services et du site a porté au mode de fonctionnement collectif mis en place pour animer la démarche « Signaux Faibles » est un atout. Dans le cadre du management de la sûreté, nous avons défini un lieu de pilotage intermédiaire entre les métiers et la direction (comité sûreté transverse). Cette instance permet un croisement entre les différentes analyses produites par les appuis fonctionnels du site (appuis sûreté, consultants FH…) et les points de vue des managers et appuis opérationnels de service. Cet espace-temps d’échange, de partage et de confrontation de points de vue, est le socle de l’élaboration collective du diagnostic périodique du domaine sûreté. Hors temps réel, cette instance permet une délibération sur les questions de sûreté à l’issue de laquelle les responsables statuent sur les problématiques à travailler. Ce dispositif d’échange permet à chacun de prendre du recul et il alimente la culture de sûreté. Enfin, il a l’avantage de bâtir un équilibre entre les ingénieries du site (Sûreté, FH, REX) et le management : les appuis apportent une connaissance argumentée et transverse des problèmes et participent aux échanges qui conduiront aux arbitrages du management.

Que retenir ?
Quelles sont, pour finir, les principaux points sur lesquels se positionner dans la perspective de la mise en œuvre d’un dispositif « Signaux Faibles » dans une entité industrielle ?
  • Bien sûr, il n’y a pas de transposition à l’identique possible. Chaque démarche est à intégrer dans les organisations de chaque entité en identifiant l’originalité que le dispositif peut apporter dans un système plus global de veille et en construisant le projet avec les acteurs concernés.
  • En terme de méthode, au delà de la nature des données recueillies, il nous semble important de s’interroger sur le type de caractérisation des données à utiliser. Cette caractérisation oriente la vision du réel : quel éclairage de la réalité est le plus pertinent dans le dispositif de veille considéré ?
  • Concernant l’animation et le management du dispositif, il est utile d’interroger la manière dont cette démarche peut s’intégrer dans les dispositifs de pilotage des performances du site. Il est tout autant nécessaire d’envisager une animation de la collecte, de l’analyse et du traitement des données aux différents niveaux de management : équipe de travail, services, site.
Violaine Bringaud (EDF/R&D) et Pascal Verges (EDF/CNPE du Tricastin), membres du réseau IMdR

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