Les registres du cancer sont des structures qui compilent en continu les données relatives aux nouveaux diagnostics de cancers en France, au niveau départemental, dans le but de disposer d’une base de données fiable et standardisée.
A partir de ces bases de données établies au niveau départemental/régional, des méthodes d’estimation des cas de cancer au niveau national permettent de disposer de données et de suivre leur évolution au cours du temps. Ces chiffres sont indispensables pour progresser dans la compréhension et le traitement des différents types de cancers.
Aujourd’hui, les registres du cancer font face à de grosses difficultés, juridiques notamment, pour réaliser leurs missions.
Florence Molinié, directrice du registre du cancer Loire-Atlantique Vendée, a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur le fonctionnement du registre dont elle a la charge, ainsi que les contraintes actuelles qui compliquent la collecte continue et exhaustive des données, indispensable pour fournir des indicateurs de qualité.
Techniques de l’Ingénieur : A quels enjeux répondent les registres de cancers ?
Florence Molinié : Le système de santé actuel, malgré la multiplication des bases de données, ne permet pas, aujourd’hui, de compter précisément le nombre de nouveaux diagnostics qui sont posés tous les ans, que ce soit pour des maladies comme le cancer, les malformations congénitales, les maladies cardio-vasculaires… Ce constat n’est pas récent, et dans le cas des cancers, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a recommandé la mise en place de registres du cancer : ce sont des structures très particulières qui sont en capacité de dénombrer le nombre de nouveaux diagnostics tous les ans en suivant des règles d’enregistrement internationales. Les registres du cancer existent depuis plus de quarante ans, aujourd’hui sur le territoire français. Il en existe 30, qui couvrent 22% de la population adulte métropolitaine et les DROM, ainsi que deux registres spécialisés sur les cancers pédiatriques au niveau national.
Quel est le mode de fonctionnement des registres départementaux du cancer ?
Nous nous appuyons sur toutes les sources de données médicales disponibles pour obtenir l’exhaustivité du nombre de nouveaux diagnostics dans une population donnée. Cela est fait au niveau des départements (le plus souvent) par chaque registre, et il s’agit là de notre mission première. L’aspect exhaustif de cette mission nécessite de solliciter tous les établissements de santé, tous les laboratoires d’analyse, les médecins intervenant dans la prise en charge des cancers, l’assurance maladie, les centres de dépistage, … pour obtenir les données sur les diagnostics de cancers posés chaque jour par les professionnels de santé.
Nos sources médicales ne se situent pas forcément dans la zone géographique couverte par notre registre. En effet, le but étant de quantifier les nouveaux diagnostics de cancers des populations résidant dans le département, il nous faut récupérer les données de patients qui peuvent être traités pour leur cancer dans les départements voisins, voire plus loin comme à Paris. Par exemple, nous nous déplaçons régulièrement dans les grands centres parisiens pour compléter nos données. C’est un véritable travail de fourmi.
L’ensemble de ces données et la consultation des dossiers médicaux nous permettent pour chaque patient diagnostiqué de confirmer les critères d’inclusion, de compléter les informations et de les coder selon les critères internationaux, afin d’avoir des informations standardisées et donc comparables dans le temps et dans l’espace.
Comment ces données sont-elles mises en commun au niveau national ?
Chaque registre dispose de sa base de données identifiantes sur les cancers, et va envoyer une base de données non identifiantes, qui, compilée avec toutes celles des autres registres, constitue une base de données commune. Celle-ci permettra, notamment, de réaliser des études sur l’incidence des cancers en France. Le réseau Francim des registres français du cancer publie en partenariat avec Santé Publique France, l’Institut National du Cancer et les hospices civils de Lyon, des rapport ou articles (dont le dernier en date bulletin épidémiologique hebdomadaire national) contenant des informations sur l’incidence des cancers en France, l’estimation de la survie après cancer, la prévalence… et d’autres indicateurs de veille épidémiologique.
Parallèlement, nous menons des études sur les pratiques de prise en charge, sur l’évaluation de l’efficacité du dépistage, sur les facteurs de risque… Ces études spécifiques sont réalisées à partir de nos données enregistrées, avec parfois des données complémentaires dans le cadre de protocoles spécifiques.
Comment s’effectue la collecte des données ?
Nos sources médicales ne se situent pas forcément dans la zone géographique couverte par notre registre. En effet, le but étant de quantifier les nouveaux diagnostics de cancers des populations résidant dans le département, il nous faut chercher les données de patients qui peuvent être traités pour leur cancer dans les départements voisins, voire à Paris. Nous allons donc par exemple visiter régulièrement les grands centres parisiens pour compléter nos données. C’est un véritable travail de fourmi.
En termes de chiffres, combien de dossiers êtes-vous en mesure de traiter chaque année au niveau du registre Loire-Atlantique Vendée ?
Au niveau du registre Loire Atlantique Vendée, nous avons plus de 100 000 déclarations par an. Après croisement et traitement des données, cela il reste entre 35 000 et 40 000 cas de cancers potentiels à vérifier. Au final, nous en validons aux alentours de 17 000. Ce travail est réalisé par 10 personnes en ce qui concerne notre registre. Si on prend en compte les 30 registres français, cela fait à peu près 200 personnes, sur l’ensemble du territoire, ce qui est très peu quant à l’étendue du travail de collecte à réaliser. Le métier d’enquêteur, qui consiste à consulter ces données médicales pour confirmer et coder de façon standardisée les diagnostics de nouveaux cancers, est mal reconnu en France et peu valorisé, ce qui constitue selon moi une des principales raisons de nos difficultés actuelles. D’ailleurs devant ces difficultés de plus en plus d’enquêteurs nous quittent, ce qui complexifie d’autant plus notre tâche. En effet, il faut environ deux ans de pratique pour que l’enquêteur soit réellement opérationnel.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez pour collecter cette quantité de données en continu ?
Nos difficultés se situent à deux niveaux. D’abord, nous sommes, au registre du cancer Loire-Atlantique Vendée, 14 salariés. C’est peu, au vu de la quantité de données à récolter et de la multitude des sources médicales à consulter pour atteindre nos objectifs. Les registres font également face à des problèmes juridiques importants. Le règlement RGPD rend plus compliquée la collecte des données, puisque de nombreux établissements médicaux hésitent désormais à transmettre leurs données. Cela est aussi dû à l’abrogation, par des lois successives, des rares textes juridiques concernant le fonctionnement des registres. Cela complique notre mission et même nous empêche de la mener à bien (retard pour l’enregistrement des données, non atteinte de l’exhaustivité, perte d’efficience).
Nous avons alerté les autorités et nous agissons pour obtenir plus de moyens, notamment financiers, et surtout une réglementation adaptée et cohérente pour réaliser nos missions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Que pensez-vous de la volonté du gouvernement de mettre en place un registre national des cancers ?
L’organisation actuelle répond à la plupart des objectifs de surveillance du cancer sur le territoire. Une amélioration des conditions de travail et notamment du cadre réglementaire permettrait d’améliorer encore le service rendu à la population en terme de santé publique.
Avant d’envisager la mise en place d’un registre national des cancers, il est indispensable de définir le cadre réglementaire pour le fonctionnement des registres existants. Nous pourrions gagner en efficacité de plusieurs manières. Par exemple, en rendant obligatoire l’accès aux données pour les registres afin de clarifier les droits des sources médicales à transmettre des informations très sensibles aux registres, ou encore en ayant la possibilité d’utiliser les données issues du SNDS pour compléter certaines informations de manière plus efficiente. Par exemple, les données de mortalité, auxquelles nous avions accès avant qu’elles ne soient versées dans le SNDS, nous permettraient de mettre à jour le statut vital des patients dans notre base de données de manière beaucoup plus rapide. Actuellement la Loi ne le permet pas. Par ailleurs, nous ne disposons pas d’identifiant national, ce qui nous oblige en permanence à rechercher les doublons d’identité pour compléter nos informations. Avec un système plus performant, grâce à l’intelligence artificielle et des interactions régulières pour suivre l’évolution des règles d’enregistrement (qui évoluent avec les connaissances médicales), les registres pourraient « apprendre » au SNDS (système national des données de santé) à « faire » de l’incidence du cancer sur l’ensemble du territoire à une échelle géographique relativement fine avec une grande réactivité. L’évolution des conditions d’emploi et du cadre législatif rendrait ainsi le système de surveillance plus efficient et avec un service rendu supérieur pour la santé publique au service des citoyens.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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