Suite à la COP28, Judith Lachnitt, chargée de plaidoyer international Climat et Souveraineté alimentaire au Secours catholique – Caritas France, explique à Techniques de l'Ingénieur les limites de la compensation carbone.
Fin octobre, le Secours catholique, le CCFD-Terre solidaire et la commission diocésaine justice et paix (CDJP) publiaient le rapport « La compensation carbone au prix des droits humains ». À travers l’étude du projet BaCaSi de plantation d’arbres de TotalEnergies au Congo-Brazzaville, ce rapport examine les impacts de la compensation carbone sur les droits des populations locales. Au-delà de cet exemple, Judith Lachnitt, chargée de plaidoyer international Climat et souveraineté alimentaire au Secours catholique – Caritas France, nous explique les limites de la compensation carbone.
Techniques de l’ingénieur : La compensation carbone est un mécanisme qui montre des limites inquiétantes. Plantations d’arbres victimes d’incendies, crédits fantômes, surestimation de la captation de carbone… Quelles sont les limites actuelles du système ?
Judith Lachnitt : Le marché volontaire de la compensation carbone est assez décrié. Il y a eu plusieurs scandales concernant notamment des crédits carbone fantômes et des atteintes aux peuples autochtones. L’article 6.4 de l’accord de Paris créera un marché mondial du carbone supervisé par une entité des Nations unies. Dans ce marché, des pays, des entreprises ou même des particuliers pourront acheter des crédits. Par effet ricochet, on s’attend à ce qu’il influence le cadre du marché carbone volontaire. Mais le cadre réglementaire est toujours en cours de négociations et la COP28 n’a abouti à aucune évolution sur ce point.
Nous avons réalisé récemment une enquête sur un projet de TotalEnergies au Congo-Brazzaville. L’entreprise dit mettre en place les meilleurs standards sociaux et environnementaux. Mais en allant sur le terrain, on voit qu’il y a des propriétaires expropriés de leurs terres, des agriculteurs et agricultrices qui ont perdu l’accès aux terres pour leurs ressources alimentaires, et des populations autochtones qui n’ont plus accès à la forêt. D’autres atteintes au droit des peuples autochtones ont été documentées.
On voit certaines limites, mais êtes-vous contre le principe même de compensation ?
La compensation carbone est un sujet qui est très controversé par la nature même du mécanisme. Celui-ci permet à des entreprises ou des États de compenser leurs émissions en finançant des projets de réduction de gaz à effet de serre ou de séquestration de carbone. C’est en quelque sorte un droit à polluer.
Certes, tous les projets ne se valent pas. Ceux que l’on critique le plus sont les projets de conservation qui accordent des crédits sur la base d’émissions évitées. Par exemple, en luttant contre le braconnage ou la déforestation. Il est très difficile d’évaluer l’intérêt de tels projets par rapport au statu quo.
Il faut des sources de financement innovantes pour l’adaptation et les pertes et les dommages. Pourquoi ne pas taxer les entreprises polluantes par exemple, mais les crédits carbone ne nous semblent pas être la bonne solution tels qu’ils sont déployés aujourd’hui. Le risque est d’avoir des projets qui ne diminuent pas réellement les émissions ou qui ont des impacts sur les populations.
Les partisans de la compensation carbone disent qu’elle reste aujourd’hui indispensable, pour financer des initiatives écologiques qui ne se feraient pas sans elle. Vous n’êtes pas de cet avis ?
C’est faux. Il y a d’abord un problème mathématique. Une étude d’Oxfam a montré que pour éliminer les émissions de carbone dans le monde afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 à partir de la seule utilisation des terres, il faudrait planter au moins 1,6 milliard d’hectares de forêts, soit l’équivalent de cinq fois la superficie de l’Inde ou plus que la totalité des terres arables de la planète.
En plus, les projets de plantation d’arbres à grande échelle doivent être développés dans une approche intégrale pour qu’ils aient un impact intéressant en matière de biodiversité, car il n’y a pas que l’intérêt carbone. Souvent, il s’agit de projets de monoculture à croissance rapide – acacias ou eucalyptus – qui peuvent être très gourmands en eau. Enfin, il y a un risque incendie sur les forêts de plus en plus élevé. Avec le réchauffement climatique, les forêts sont aussi moins capables de stocker du carbone qu’avant.
Il faut toutefois protéger les puits de carbone. S’il devait y avoir des projets d’afforestation ou de boisement déployés pour revaloriser certains puits de carbone, ils devraient se faire sur la base de la contribution et non de la compensation. Car lorsqu’il s’agit de compensation, les entreprises se défaussent de leurs obligations de réduction d’émissions à la source. Il faut bien d’abord réduire. Et si des entreprises veulent avoir un impact positif sur les puits de carbone et reforester, qu’elles contribuent, mais qu’elles n’avancent pas d’allégations mensongères sur la neutralité en 2050 grâce à ce soutien.
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