La Politique énergétique de l’Union Européenne repose notamment sur le développement d’un marché intérieur de l’électricité et sur le « paquet climat-énergie » adopté en 2008. Ce dernier pose des objectifs ambitieux (le 3×20) en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables.
Entre temps, la crise est passée par là et le marché se retrouve en situation critique. Il est en surcapacité, c’est-à-dire qu’il existe trop de moyens de production en Europe pour répondre à la demande électrique. Dans une économie de marché, lorsque l’offre excède la demande, les prix baissent ! Il y a deux raisons principales à cette surcapacité : la crise économique a fait baisser la demande électrique bien en-deçà des prévisions (alors que l’on continuait à construire de nouvelles capacités) et les énergies renouvelables intermittentes se sont développées rapidement. Ces énergies étant subventionnées « hors marché » et bénéficiant d’un accès prioritaire sur le réseau électrique, il y a une décorrélation entre leur développement et les besoins réels.
Le développement des énergies renouvelables amplifiant le problème de surcapacité, cela entraîne une chute du prix de gros de l’électricité et une mise sous « cocon », voire une fermeture, d’un grand nombre de centrales thermiques, devenues non rentables. Des dizaines de gigawatts de centrales thermiques neuves ferment ainsi en Europe. Le paradoxe ultime est qu’il faudrait en fermer encore davantage, mais que cela n’est pas possible, car il faut les garder pour répondre à l’intermittence ! Si le prix du marché de gros est à la baisse, le prix du détail est à la hausse et la compétitivité des centrales thermiques prend un sacré coup !
En parallèle, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre en Europe est mise à mal par la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis. Le prix du gaz y étant désormais trois fois moins élevé qu’en Europe, le pays exporte son charbon sur le « Vieux Continent ». Le charbon l’emporte alors sur le gaz dans les centrales thermiques qui restent en activité et les émissions de gaz à effet de serre augmentent.
Priorité aux baisses d’émissions
Dans son rapport « La crise du système électrique européen », le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) formule plusieurs recommandations pour sortir le marché de l’électricité européen de cette crise. Le CGSP et les industriels se rejoignent sur trois points fondamentaux : faire de la baisse des émissions de gaz à effet de serre l’objectif principal du paquet climat-énergie (sinon le seul), repenser les aides aux énergies renouvelables et créer un vrai marché européen du carbone.
Après le 3×20 en 2020, de nouveaux objectifs vont être débattus cette année au Parlement européen pour 2030. En particulier, la Commission a proposé aux États membres de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre européennes. Il pourrait également y avoir un objectif contraignant de développement d’énergies renouvelables. Mais rajouter un tel objectif à l’horizon 2030 est une « folie » dans la situation actuelle, selon Philippe Torrion, Directeur Optimisation Amont-Aval & Trading d’EDF. « Je crois que c’est le seul exemple de secteur économique dans l’Histoire en situation de surcapacité massive où l’on continue d’ajouter de nouvelles capacités », regrette-t-il à l’occasion du colloque du Club Energie & Développement. Pour dépasser cet état de fait, « a minima, il faudrait maîtriser le développement des nouvelles capacités d’énergies renouvelables en se calant, autant que possible, sur ce qui est juste nécessaire pour développer leur efficacité […] lorsqu’il s’agira de remplacer les équipements existants en fin de vie aux horizons 2035-2040 », analyse-t-il. « Les moindres dépenses mis dans ces moindres volumes d’ENR permettraient d’investir massivement dans la recherche et développement pour avoir des énergies plus compétitives lorsque nous aurons besoin de plus de capacités », conclut-il.
En parallèle, il faudrait tout de même faire de la réduction des émissions de gaz à effet de serre le principal objectif à atteindre pour lutter contre le réchauffement climatique. Si le développement des énergies renouvelables s’accompagne d’une hausse des émissions de gaz à effet de serre, comme cela semble être le cas actuellement en Allemagne avec le recours au charbon, on se trompe effectivement d’objectif.
Repenser le soutien aux énergies renouvelables
Puisque les politiques de soutien aux énergies renouvelables creusent les budgets nationaux et des ménages et amplifient le problème de surcapacité, il semblerait bon de les repenser. Notamment, le CGSP recommande de remplacer les tarifs d’achat pour les technologies qui ont atteint la maturité technologique par des mécanismes de type « marché + prime » et par des appels d’offres portant sur des quantités limitées. Dans ce cadre, les énergies renouvelables seraient soumis aux mêmes responsabilités que les énergies conventionnelles et mettraient fin au paiement des tarifs d’achat lorsque les prix de gros sont négatifs ou lorsque les lignes sont saturées. Le Club Energie & Développement fait des recommandations similaires.
Pour que tout cela fonctionne, il faut un marché du carbone dissuasif, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les prix sont aujourd’hui à 5 euros la tonne de CO2. Le CGSP recommande donc de réformer en profondeur ce marché afin de donner un signal-prix clair pour les investissements de long terme et de créer une banque centrale du carbone afin de disposer d’une certaine marge d’ajustement.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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