Si tous les secteurs s’intéressent à l’IA pour améliorer leurs process, cette technologie touche aussi le domaine du sport de haut niveau. Directeur du laboratoire Sport Expertise Performance à l’INSEP, Gaël Guilhem revient sur les apports de l’IA pour la recherche dans le sport, et sur ses limites.
Analyse prédictive, stratégies de jeu personnalisées, suivi en temps réel des performances… L’intelligence artificielle a fait son entrée dans le domaine du sport de haut niveau et transforme peu à peu les pratiques. A l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP), l’IA facilite certaines recherches et permet de gagner du temps.
Biologiste et biomécanicien de formation, Gaël Guilhem a intégré l’INSEP comme chercheur en 2009, et est devenu directeur du laboratoire Sport Expertise Performance en 2016. Pour Techniques de l’ingénieur, il explique comment l’IA a fait son entrée dans les laboratoires, pour quels sujets elle est utile, et comment elle peut aider les athlètes à devenir plus performants.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce que l’INSEP et sur quoi travaillez-vous avec le laboratoire Sport Expertise Performance ?
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Gaël Guilhem : L’Institut national du sport est un institut public qui a vocation à accueillir les sportifs de haut niveau qui se préparent pour les grandes échéances internationales, en particulier les Jeux Olympiques, les championnats du monde et les championnats d’Europe. L’objectif de l’INSEP est de créer les conditions optimales de l’émergence de la performance, c’est-à-dire amener aux acteurs tout ce qui va leur permettre d’être performant, et de se construire le meilleur projet de vie possible, d’un point de vue sportif et personnel. Dans cette pépinière, le rôle du laboratoire est de développer de la connaissance originale dans des domaines divers depuis les sciences humaines aux sciences de la vie, et que ces connaissances soient mobilisables le plus rapidement possible par les athlètes et leurs entraîneurs. Ce qui nous distingue des laboratoires académiques, c’est ce lien très étroit avec les encadrements techniques, les staffs et les athlètes.
Comment l’IA vous aide-t-elle dans vos recherches sur le sport de haut niveau ?
Dans notre métier de chercheur, les domaines d’application de l’IA sont très riches et les champs infinis, donc je vais donner trois exemples. D’abord, l’IA nous aide à accélérer notre capacité à réaliser des recherches bibliographiques. En rassemblant les documents utiles, elle nous permet de gagner du temps pour faire l’état de l’art dans un domaine précis. Ensuite, l’IA nous sert à croiser les informations et à en extraire des modèles. Dans notre travail avec les sportifs, l’objectif est de comprendre les facteurs internes qui font qu’ils sont performants dans leur discipline ou qu’ils sont exposés à des risques de blessure. Par exemple, connaître la force musculaire d’un athlète est importante en sprint mais pour savoir s’il va se blesser, il faut ajouter d’autres variables comme la charge et les conditions d’entraînement, son comportement etc. Grâce au machine learning, nous pouvons aller vers des modèles statistiques plus évolués.
Enfin, l’IA nous permet d’avoir des informations sur le sportif en train de performer, sans avoir besoin de l’équiper. Avec les techniques classiques, il faut équiper l’athlète de capteurs, aller repérer ses marqueurs, faire du traitement de données, ce qui est très lourd et long. Aujourd’hui, les outils d’intelligence artificielle commencent à proposer des solutions pertinentes pour accéder à cette information, sans avoir besoin d’équiper le sportif, ce qui évite toute contrainte pour lui. En prenant une vidéo de l’athlète et en la couplant avec de l’imagerie médicale que nous avons de lui, nous pouvons connaître sa vitesse de déplacement, les vitesses de rotation de ses bras, de ses jambes. Cela est nécessaire pour individualiser les conseils.
Mais dans tous les cas, nous ne nous arrêtons pas à ce que propose l’IA et nous repassons systématiquement derrière pour valider les résultats. Les modèles ne sont pas encore assez fiables donc nous corrigeons et réentrainons les IA pour qu’elles soient plus performantes.
Comment se passe l’intégration de l’IA dans les laboratoires ?
Tout ce que je viens d’énoncer existe déjà à l’INSEP mais nos outils sont encore perfectibles. Nous développons nos propres outils et nous essayons de ne pas nous appuyer sur des outils commercialisés car nous ne savons pas de manière transparente comment les données sont utilisées. En parallèle, nous travaillons avec des experts spécialisés dans l’IA. A l’INSEP, l’intelligence artificielle génère aussi beaucoup de discussions et de questionnements autour des bonnes pratiques, des écueils, de l’éthique, des limites juridiques. Ça me rassure de travailler avec des personnes qui se posent beaucoup de questions et qui ne plongent pas dans l’IA sans réfléchir.
Quels types de données recueillez-vous ?
La nature des données est infinie, il peut s’agir d’informations dans des questionnaires, de mesures de force, de données GPS, de données sur l’hydratation ou la réponse à la chaleur, d’imagerie médicale… Le champ est vaste et le nombre de solutions est très diversifié. Concernant ces données, nous suivons bien sûr le RGPD mais aussi la loi Jardé relative à la recherche biomédicale sur l’être humain. Nous respectons donc certaines exigences comme le respect du consentement des participants et le devoir d’informations, où nous précisons les tenants et aboutissants des recherches et qui aura accès à ces données.
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Avez-vous des exemples concrets de comment l’IA est aujourd’hui utilisée pour améliorer la performance des athlètes ?
Le fait d’accéder aux volumes musculaire des athlètes permet d’identifier les équilibres au sein d’un groupe musculaire, et ainsi prévenir les blessures. Par exemple, dans l’ischio-jambier, vous avez quatre chefs musculaires. Si vous avez des déséquilibres de volumétrie entre ces quatre muscles, vous allez accélérer la survenue d’une fatigue et donc le risque de blessure. En revanche, si vous avez accès à cette information, vous pouvez faire des suggestions très individuelles des muscles que l’athlète devra travailler en priorité. Sans l’IA, il est très difficile de proposer ces recommandations précises dans une temporalité qui respecte les besoins des athlètes de haut niveau.
Avec les Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024, avez-vous noté une hausse de l’intérêt pour l’IA ?
Dans le domaine scientifique, incontestablement. Les laboratoires s’y intéressent beaucoup pour l’efficacité énoncée plus tôt, et du point de vue des acteurs sportifs, les référents scientifiques ont conscience de ces projets. Si la question est de savoir si l’IA a procuré un avantage concurrentiel aux sportifs et aux entraîneurs dans le cadre des JO de Paris, je pense que oui. En revanche, je ne pense pas que les athlètes ou entraîneurs en aient vraiment conscience pour le moment. Nous sommes dans un processus où l’IA fait avancer la recherche, mais le niveau d’appropriation se fait surtout au niveau des acteurs scientifiques. Il y a des enquêtes sociologiques après les JO pour savoir quelles questions, enjeux et problématiques ont émergé à chaque Olympiade. Nous verrons si l’IA en fait partie.
D’un point de vue éthique, pensez-vous qu’il soit souhaitable de viser l’optimisation totale des athlètes ?
C’est une question qu’on se pose aussi de notre côté. Déjà, il ne faut pas oublier que nous sommes encore loin du fantasme de l’optimisation maximale. Nous aurions besoin de ressources humaines et de moyens très conséquents pour réussir à optimiser tous les athlètes de toutes les disciplines. Prenons un exemple simple : nos athlètes n’ont pas toujours une hygiène de vie exemplaire car ce sont de jeunes adultes qui vivent leur vie en parallèle. Beaucoup de choses peuvent donc être optimisées de manière simple, sans passer par l’IA.
Ensuite, l’optimisation ne concerne pas que la performance, mais aussi la santé des athlètes, ce qui est un net avantage pour eux. Enfin, les recherches sur le haut niveau ont des répercussions sur la population et répondent à des questions de santé. Actuellement, avec la fin des Jeux Olympiques, les financements liés à la haute performance sont en réduction. Une des voies de poursuite de nos travaux serait de tourner nos recherches vers la santé. Par exemple, nous avons divers projets qui visent à comprendre l’impact du stress environnemental comme la chaleur ou l’altitude sur la santé musculo-squelettique. Ce sont des questions de santé avant de toucher au sport.
Comment imaginez-vous le futur de l’IA dans la recherche à court et long terme ?
Ce que je vois très clairement, c’est que l’IA va nous permettre et nous permet déjà de gagner du temps. La prochaine étape maintenant est de faire en sorte qu’il y ait suffisamment de données validées humainement. Dans le domaine du sport, une de nos problématiques est d’avoir assez de données qualitatives pour avoir des banques de données conséquentes et des modèles performants. L’étape ultime sera la transformation des métiers mais nous en sommes loin. Je pense que les métiers de chercheurs vont devenir plus productifs : nous pourrons nous attaquer à certains défis qui nous paraissaient comme des Everest, que nous n’entreprenions pas par manque de temps ou de ressources. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’IA n’est pas indispensable pour tout. Beaucoup de nos recherches nous permettent aussi d’aider les athlètes très simplement, en organisant mieux leur journée par exemple, et pour cela nous n’avons besoin ni d’IA, ni de capteurs, ni de modèles mathématiques. Dans tous les cas, l’important sera de rester dans un cadre éthique et de s’interroger tout le long du process.
Propos recueillis par Alexandra Vépierre
Crédit photo de Une : INSEP
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