Pour les entreprises, qu’elles soient industrielles ou non, améliorer la communication entre collègues et éviter les conflits sont des enjeux et des défis quotidiens. Pour relever ces défis, un nombre croissant d’entreprises font appel à des professionnels. L’une de ces professionnelles, Julie FAU, a accepté de répondre à nos questions au sujet de cette thématique passionnante.
Julie Fau est formatrice professionnelle, coach et psychopraticienne diplômée. Après avoir travaillé pendant 12 années dans l’univers du luxe où elle a occupé des fonctions commerciales et managériales, Julie Fau utilise aujourd’hui son parcours personnel et son passé dans les entreprises pour offrir une écoute professionnelle à toutes celles et tous ceux qui décident d’être accompagnés.
Techniques de l’Ingénieur : Vous avez occupé des fonctions managériales et commerciales en entreprise pendant de nombreuses années. Qu’est-ce qui vous a amené à vous réorienter ?
Julie Fau : Comme beaucoup de personnes, je crois, j’ai d’abord vécu une première partie de vie qui, sans forcément m’en rendre compte, n’était pas tout à fait la mienne, car elle répondait finalement plus aux attentes que les autres avaient pour moi. Par « les autres », j’entends : mon éducation, la société, la culture, etc.
Bien que les fonctions que j’ai occupées et les entreprises dans lesquelles j’ai œuvré soient des éléments tout à fait « vendeurs » sur un CV, je ne me suis jamais sentie à ma place ni très heureuse. C’est en allant questionner tout cela à travers un long travail d’analyse que j’ai pu me reconnecter avec mon souhait d’aider et de replacer l’humain au centre de mes préoccupations.
Vous travaillez avec les particuliers comme avec les professionnels. Les entreprises industrielles vous sollicitent-elles pour améliorer la communication relationnelle en interne ?
Bien sûr ! Et de plus en plus ! Je pense que c’est très positif, car cela traduit à mon sens une volonté pour ces entreprises de repenser une approche managériale et organisationnelle plus actuelle.
Aujourd’hui, certains comportements qui étaient considérés sans importance, pour ne pas dire normaux il y a encore 10 ou 15 ans, ne sont plus tolérés par bon nombre de collaborateurs. Beaucoup de travailleurs espèrent ne jamais avoir à subir ce que leurs parents ont subi et, de ce fait, certaines entreprises – peut-être encore un peu trop souvent imprégnées d’un management directif et patriarcal – notamment dans le secteur industriel, me font des demandes pour être accompagnées dans une réflexion sur leur manière d’être en relation et de communiquer les uns avec les autres.
Ce sont souvent des entreprises qui prennent au sérieux les questions de souffrance au travail. Ce type de démarche leur permet ainsi, petit à petit, de faire bouger les choses sur une plus grande échelle.
Sans communication il n’y a pas de lien, sans lien il n’y a pas de collectif ; or, il est toujours dommageable, mais jamais innocent pour une entreprise, de ne pas s’appuyer sur le groupe qu’elle constitue pourtant.
En effet, aujourd’hui le mot d’ordre est souvent à la performance individuelle et forcément, face à cela, la coopération se défait, créant ainsi de plus en plus de tension relationnelle au niveau des individus. En effaçant ces liens, l’entreprise installe un sentiment de solitude et de peur, qui annonce souvent la fin d’une entraide et du savoir-vivre ensemble.
J’observe dans ces entreprises un fonctionnement de « loi de la jungle » où le plus fort l’emportera, où le chacun pour soi et la compétition font rage et où la méfiance de l’autre plane souvent. Pas besoin d’en dire plus, je crois, pour comprendre aisément que dans une telle atmosphère il y ait une explosion de la souffrance des individus, entraînant naturellement un affaiblissement des capacités de résistance des travailleurs.
Il me paraît fondamental et urgent d’y penser et d’agir pour redonner forme à une organisation du travail plus vivante et plus humaine, dont l’enjeu est double : revaloriser l’individu en lui redonnant sa juste place d’une part, se recentrer sur un collectif revigorant d’autre part.
Quelles sont les clés pour mieux communiquer entre collègues et éviter les conflits ?
Cela me paraît intéressant de revenir à l’étymologie du mot « Communiquer ».
En effet, à la racine du mot, on retrouve « le fait de mettre en commun, de partager ». Le dictionnaire Larousse nous indique aussi l’action « d’entrer en contact avec quelqu’un, d’être en relation ».
Une vision générale et simpliste voudrait que la communication soit uniquement le fait de savoir bien parler, d’être un bon orateur, d’avoir la bonne forme dans le discours, les bons mots, etc.
En réalité, communiquer c’est beaucoup plus engageant que cela : il s’agit avant tout d’arriver à établir une relation à l’autre et de savoir ensuite comment la maintenir.
Or, c’est là que ça se complique ! D’une part, établir des relations comme je l’ai dit précédemment n’est pas toujours, et loin de là, la stratégie que les entreprises privilégient pour leurs salariés. D’autre part, sans parler forcément du contexte professionnel, mais plutôt de chaque individu dans sa singularité, y arriver est loin d’être évident, et ce pour deux raisons.
La première concerne notre habileté à la relation, une aptitude toujours délicate, car elle dépend de la façon dont elle s’est construite, et notamment du style d’éducation que l’on a reçu, de comment nos parents nous ont enseigné et montré – ou pas, justement – quel comportement adopter dans les situations difficiles pour nous.
Ensuite, il y a le poids que représente toujours l’altérité, peu importe l’adulte que nous sommes aujourd’hui. Être en présence d’un autre nécessite toujours une adaptation à cet autre, ce qui requiert souvent une capacité de flexibilité pour supporter que cette personne soit bien différente de nous et possède ses opinions et des façons de faire parfois aux antipodes de ce que l’on voudrait.
J’estime important de sortir de la croyance qu’il y aurait d’un côté ceux qui ont naturellement un bon relationnel et les autres, condamnés à vivre comme des ours des cavernes indécrottables !
Ce n’est pas inné, et de ce fait, ce sont des compétences que n’importe qui, s’il le souhaite, peut développer en y réfléchissant et en s’entraînant ! Mais comme tout entraînement, cela nécessite de faire des efforts, que l’on n’a pas toujours envie de faire justement. Il s’agit donc à ce moment-là de faire un choix, que chacun et chacune peut faire. Il ne s’agit en aucun cas d’une fatalité.
Au vu de tous ces éléments, je crois que la première clé qu’il serait bon de développer serait notre capacité d’écoute.
Il me semble que c’est au travers de cette compétence que nous pouvons essayer de retrouver du lien. À chaque intervention en entreprise, je suis frappée par la prise de conscience qu’ont souvent les professionnels lorsqu’ils se rendent compte qu’en fait ils n’écoutent finalement pas grand-chose du discours de l’autre !
Certains l’expliquent très bien : lorsque leur interlocuteur s’adresse à eux, ils sont déjà en train de réfléchir à une solution ou à un argument pour le contrer. Comme beaucoup d’entre nous – et c’est très humain –, nous recherchons souvent le sentiment agréable d’avoir raison ou d’être reconnu dans nos idées, mais de ce fait, nous cherchons souvent alors à faire dire à l’autre ce que nous aimerions entendre plutôt que d’écouter vraiment ce qu’il nous dit.
Ce sont là les conditions optimales pour faire apparaître des tensions ou un conflit, car en face l’autre ne se sent pas du tout entendu, ni accueilli dans ses différentes opinions et forcement il se retrouve en train de devoir défendre bec et ongle son point de vue. C’est un cercle un peu vicieux que nous expérimentons tous dans de nombreux contextes de nos vies et dont nous ressortons souvent à la fin terriblement frustrés et agacés !
Pour éviter cela, je crois qu’il est très important d’envisager l’idée qu’écouter quelqu’un ne veut pas dire être d’accord avec lui ! Mony Elkaïm, célèbre psychothérapeute systémique familiale, disait que l’on peut avoir à 100 % raison sans considérer que l’autre ait tort. Je crois que c’est exactement là l’essence même de l’attitude d’écoute à développer.
Pour apprendre à écouter, il s’agit aussi – bien souvent et c’est très difficile – d’apprendre à se taire ! Le silence n’est généralement pas du tout quelque chose que les êtres humains affectionnent. Aujourd’hui, on parle à tout prix, on blablate, on meuble, mais surtout on ne laisse pas de place au silence nous permettant de réfléchir ! Le vieil adage de nos parents qui disait de « tourner 7 fois notre langue dans notre bouche avant de parler » avait finalement du bon.
Le principe de communication non violente est-il efficace ?
La Communication Non Violente (CNV), créée par Marshall Rosenberg, est un héritage direct des travaux de Carl Rogers, le père de l’écoute active, et en cela, de mon point de vue, c’est plus une excellente philosophie qu’une méthode ou une technique à appliquer.
La CNV offre l’occasion de réfléchir à la notion d’empathie. Or voilà bien un concept qui est loin d’être aussi facile qu’on le dit. L’empathie est la capacité à se représenter la souffrance que l’autre peut éprouver. Encore une fois, ceci est loin d’être quelque chose d’inné. L’empathie s’apprend avant tout par l’éducation, par exemple lorsque l’adulte nomme avec l’enfant les sentiments et les émotions qu’un animal serait amené à ressentir si on lui tire la queue trop fort, ou qu’un camarade ressentirait si on lui tape dessus ou qu’on se moque de lui.
Cette disposition d’esprit va alors développer notre intelligence émotionnelle par la même occasion et nous permettre de mieux cerner nos ressentis ainsi que celui des autres pour ne pas laisser celui-ci nous envahir en permanence.
Comment les soft skills peuvent-elles aider à gérer les conflits ? Comment ces aptitudes peuvent-elles être renforcées dans les entreprises ou dans l’enseignement supérieur ?
Il est certain que lorsque nous développons notre flexibilité, notre ouverture, notre écoute, notre empathie, cela ne peut naturellement que nous aider à être mieux armés pour affronter n’importe quel conflit.
Il y a également dans les soft skills un sujet essentiel à aborder puisque partie intégrante de notre humanité et donc de notre savoir être : notre rapport aux émotions.
Je crois sincèrement qu’il est urgent que les entreprises – mais aussi les écoles, bien sûr – se préoccupent et s’emparent vraiment de ce sujet.
Nous sommes passés d’une génération où il fallait bannir et enfouir nos émotions, à une société où au moindre problème tout le monde « dégueule » son émotion dans une animalité totalement absurde !
Les émotions ne servent pas à cela, justement. Pour reprendre le terme de Françoise Dolto, les émotions ont nécessairement besoin d’être « humanisées ». Et pour aider à cela, nous les humains nous avons une arme redoutable qui s’appelle la parole. Bien sûr, les mots peuvent être destructeurs quand ils sont dits sous le coup de l’émotion, mais ils peuvent aussi avoir un pouvoir réparateur si nous acceptons d’abord de les accueillir pour ensuite mieux les comprendre.
Je crois que toute action de formation professionnelle, d’intervention psychosociale, de mise en place de coaching, de co-développement ou de groupe de parole, par exemple en entreprise, permet inévitablement d’aborder et de faire évoluer ces sujets-là.
Le partage du savoir et l’apprentissage sont les premiers pas vers la démocratie, donc il me paraît essentiel que les entreprises et les écoles ouvrent l’accès au savoir à d’autres sujets que leurs technicités opérationnelles. Les sujets concernant le développement humain dans toute leur complexité deviennent aussi incontournables que le reste.
Le fantasme de remplacer l’humain par des robots semble être à notre porte, mais nous en sommes heureusement encore loin ! Il va donc bien falloir se résoudre à faire les efforts nécessaires pour se mettre à hauteur d’être humain, vous ne croyez pas ?
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