Laurent Da Dalto est le fondateur et directeur de l’entreprise Mimbus, qui conçoit des mondes immersifs pour former aux métiers manuels. Les outils pédagogiques se basent sur la réalité virtuelle et la réalité augmentée pour former à une vingtaine de métiers tels que soudeur, électricien, menuisier, etc. Ces dispositifs sont destinés à remplir trois objectifs : sensibiliser le public aux métiers manuels en leur faisant essayer les professions lors de salons par exemple, faire tester virtuellement les métiers afin de détecter les talents et recruter, et enfin, former les apprenants à ces métiers.
Laurent Da Dalto est également auteur de ressources documentaires chez Techniques de l’Ingénieur à propos des environnements virtuels pour la formation : WOOD-ED TABLE : environnement virtuel pour la formation au geste du menuisier et CS WAVE : la réalité virtuelle pour la formation au soudage. Entretien.
Techniques de l’Ingénieur : Pourquoi vous êtes-vous concentré sur les métiers manuels ?
Comment créez-vous vos formations ?
Nous travaillons avec des experts de chaque métier. D’abord, nous rencontrons des formateurs de chaque métier pour comprendre à quels endroits les environnements virtuels pourraient être utiles. Pour prendre l’exemple du métier de soudeur, nous avons vu que le point le plus important sur lequel travailler était le positionnement corporel et la régularité des gestes, donc nous nous sommes concentrés là-dessus. Ainsi, nous avons travaillé les paramètres au millimètre près et fait appel à des ingénieurs, des développeurs, des psychopédagogues pour créer la formation. Ensuite, nous réalisons des tests progressifs, des expérimentations avec les élèves puis nous réévaluons la formation tous les 6 mois – 1 an pour opérer des ajustements si besoin.
Comment prenez-vous en compte l’environnement parfois difficile de certains métiers comme la chaleur, le bruit, les efforts physiques ?
Le bruit peut être reproduit facilement, en revanche ce qui est plus dérangeant dans l’apprentissage de métiers manuels via le numérique, c’est l’absence de toucher. On utilise des artifices pour compenser avec les autres sens. Par exemple, on peut intégrer des vibrations ou des informations visuelles : du texte en rouge, l’impossibilité d’attraper un objet s’il est trop lourd etc.
Quels sont les éléments favorables à la mise en place d’une formation virtuelle ?
Plusieurs paramètres entrent en jeu pour déterminer si le passage par le virtuel peut être préconisé. Nos technologies sont utiles pour former aux métiers dangereux, comme les menuisiers ou charpentiers qui utilisent des machines très risquées, ou pour les métiers qui ont lieu dans des environnements à risque. Mais aussi lorsqu’il est impossible de mettre en pratique un métier au cours de la formation. Par exemple, pour un laveur de glace sur les tours de la Défense, le virtuel permet de le mettre en situation et de vérifier s’il n’a pas peur. Enfin, un autre paramètre est le prix. Pour une formation de peintre, il existe des peintures automobiles très chères et qui ont un fort impact écologique. Pareillement, pour être soudeur, beaucoup de matière première est utilisée à perte durant la formation, uniquement pour l’apprentissage. Le virtuel permet d’éviter d’acheter des machines et des matières non nécessaires.
Quelle place donner aux apprentissages en réel par rapport aux apprentissages virtuels ?
Certains préféreraient tout transposer en virtuel mais je pense que l’apprentissage en réel reste nécessaire, il faut donc trouver la balance entre les deux. Pour donner un exemple, dans un CFA qui forme les opérateurs sur une ligne de production, j’ai pu voir qu’ils avaient le matériel pour réaliser des formations virtuellement, mais également une chaîne de fabrication physique. La clé vient aussi du formateur. Avec le numérique, le travail du formateur évolue et le pilotage de la formation est individualisé. Les formateurs ne sont plus forcément des experts de la discipline, mais plutôt des pédagogues. Un professeur de soudage n’a pas nécessairement besoin d’être lui-même soudeur pour bien former.
Quels sont les avantages à ce type de formation ?
Le virtuel permet de diviser au moins par deux le temps de formation. Les outils permettent de se concentrer sur l’apprentissage actif, ce qui fonctionne bien sur la nouvelle génération. A mon sens, il faudrait même intégrer ces outils très tôt, notamment pour orienter les jeunes vers les métiers manuels lorsqu’ils sont prédisposés à ces professions et pas intéressés par les apprentissages théoriques. Cependant, il ne faut pas oublier que la RV reste un outil, elle ne fait pas tout.
Que reste-t-il encore à améliorer ?
L’inconvénient aujourd’hui réside dans le matériel qui n’est pas encore parfaitement adapté : il est trop lourd et trop cher pour être développé en masse. Même si les prix baissent, il faut quand même un certain budget pour acheter les casques de réalité virtuelle et les ordinateurs adaptés. En outre, il faut apprendre à utiliser ces outils.
Selon vous, comment la pédagogie devrait évoluer ?
Je pense que la pédagogie de demain sera davantage individualisée et connectée. Elle pourrait passer par le téléphone portable car c’est maintenant une expansion de nous-même, et favoriser l’auto-apprentissage à travers des vidéos, des applis ou les réseaux sociaux. Dans ce cas, la place du professeur ou du formateur changerait totalement. Il serait davantage un animateur pédagogique chargé de s’assurer de la progression de l’apprentissage et de l’accès vers des débouchés.
Propos recueillis par Alexandra Vépierre
Retrouvez les ressources documentaires WOOD-ED TABLE : environnement virtuel pour la formation au geste du menuisier et CS WAVE : la réalité virtuelle pour la formation au soudage écrites par Laurent Da Dalto.
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