VAL. Trois lettres derrière lesquelles se cache une véritable technologie de rupture, un procédé innovant au service du traitement de l’eau, protégé par deux brevets : le Vacuum AirLift. Aujourd’hui portée par l’entreprise montpelliéraine Coldep, l’innovation est née il y a une douzaine d’années de l’intuition de Julien Jacquety et de Bertrand Barrut, alors respectivement étudiant ingénieur et doctorant. Flairant la possibilité de traiter et de recycler l’eau utilisée en circuit fermé dans le domaine de l’aquaculture via un système de colonne d’extraction particulaire à dépression, les deux scientifiques se lancent dans des essais, qu’ils mènent en collaboration avec deux enseignants-chercheurs d’instituts de renom, l’INSA Lyon et l’Ifremer. « Rapidement, ils se sont rendu compte que cela fonctionnait ! », retrace celui qui a rejoint l’aventure Coldep en juin dernier pour en devenir le directeur général, Sébastien Latz. « Bertrand Barrut s’est alors chargé de corédiger les brevets, pendant que Julien Jacquety s’attelait à la création de la société », poursuit le DG de Coldep. S’ensuivent des travaux de prototypage et de test, qui aboutissent quelques années plus tard – il y a huit ans environ – à l’industrialisation de la solution. « Un partenariat stratégique a alors été noué avec la société marocaine Omega chargée de produire l’élément central du système : la colonne », dévoile Sébastien Latz.
Coldep multiplie depuis lors les installations, tant et si bien qu’elle a aujourd’hui franchi le cap de la centaine de sites – majoritairement aquacoles – équipés de sa technologie aux multiples vertus.
Une technologie vertueuse… et trois-en-un
Peu gourmand en énergie et en foncier – grâce à ses colonnes d’une hauteur de quatre à six mètres pour une emprise au sol de seulement un à quatre mètres carrés –, le Vacuum AirLift assure en outre à lui seul trois fonctions clés du traitement de l’eau « historiquement assurées par trois technologies distinctes », comme le note Sébastien Latz.
La première d’entre elles est l’extraction particulaire, qui permet d’ôter les matières minérales présentes en suspension dans l’eau, au même titre que les particules organiques : virus, bactéries et autres microalgues. La deuxième concerne le rééquilibrage des gaz dissous dans l’eau, assurant au passage son oxygénation. La troisième, enfin, est quant à elle d’ordre mécanique : par la mise en mouvement des masses d’eau qu’elle implique, la technologie VAL permet de se passer d’une bonne partie des pompes jusqu’alors indispensables aux installations de traitement de l’eau. Son principe de base consiste en effet en une mise sous vide partielle de la pièce maîtresse de la technologie – la colonne – associée à une injection d’air. Des conditions qui vont alors mécaniquement entraîner une mise en circulation hydraulique. Le VAL permet ainsi, selon les chiffres avancés par Coldep, de diminuer de trois à cinq fois (en fonction de la configuration et des objectifs de traitement visés) la consommation électrique liée à la mise en mouvement de l’eau à traiter, par rapport à des équipements de pompage conventionnels. Le tout, avec des débits pouvant atteindre plusieurs centaines de m3/h.
Les particules indésirables concentrées dans une écume
L’injection d’air comprimé entraîne également la formation de microbulles d’air, capturant sur leur passage les particules en suspension dans l’eau pour les amener finalement jusqu’au sommet de la colonne. Une écume s’y forme alors progressivement, sous l’action de ce procédé dit de « moussage-écumage ». « Cette fonction est probablement l’une des plus intéressantes de notre technologie. Elle permet en effet l’obtention d’une matière résiduelle très concentrée, que nous extrayons par aspiration grâce, encore une fois, à la mise sous vide de la colonne », explique Bertrand Barrut lui-même, aujourd’hui directeur R&D de Coldep. Le vide remplace ainsi les opérations de raclage qu’impliquent les approches conventionnelles de moussage-écumage. « L’intérêt est double : cela permet d’une part d’extraire un concentrat fortement déshydraté, qui occupe donc un volume moins important, mais aussi d’assurer d’autre part une extraction totale du concentrat, sans aucune stagnation », ajoute Bertrand Barrut.
Ceci, de surcroît, sans utiliser le moindre filtre ou autre consommable et avec une efficacité record : « Il est possible de filtrer l’eau avec un résultat inférieur à trois SDI[1] (indice de colmatage de l’eau) en quelques heures, de concentrer les particules en suspension jusqu’à cent fois, et d’éliminer plus de 99 % des particules présentes dans l’eau, y compris la majorité de la matière organique dissoute, les huiles et les hydrocarbures, le tout sans l’utilisation d’additifs chimiques », fait en effet valoir Coldep dans son dossier de presse.
Un concentrat valorisable
Évoqué plus haut par Bertrand Barrut, la très faible hydratation du concentrat représente en outre un avantage non négligeable sur le plan de sa valorisation. « Son indice de siccité, qui reflète son niveau de déshydratation, est près de deux fois plus important que celui d’un concentrat obtenu via des approches de moussage-écumage plus conventionnelles », assure Sébastien Latz. Riche en matière organique, la matière extraite de l’eau grâce au procédé VAL de Coldep peut ainsi facilement être valorisée, par exemple en méthanisation. Cette possibilité reste toutefois difficilement envisageable dans le cadre du marché historique de déploiement de la technologie de Coldep qu’est l’aquaculture, comme le concède Sébastien Latz.
Outre le traitement de l’eau de fermes conchylicoles et autres installations de pisciculture, l’entreprise montpelliéraine a cependant choisi il y a peu d’explorer également, en parallèle, la voie du traitement des effluents industriels. Un domaine dans lequel les matières extraites peuvent cette fois bel et bien être valorisées, notamment par méthanisation. « Nous avons par exemple équipé avec notre technologie le site de production d’un industriel de l’agroalimentaire, avec l’objectif de traiter les eaux issues de la transformation des aliments en plats préparés. Cela lui a permis d’obtenir une nouvelle matière valorisable, à hauteur d’environ 300 tonnes par an », se félicite Sébastien Latz. « Alors qu’elle n’était qu’un centre de coûts pour les industriels, la gestion de leurs effluents peut ainsi devenir, si ce n’est profitable, en tout cas beaucoup moins coûteuse qu’auparavant », ajoute le DG de Coldep.
En matière de coûts, justement, si la mise de départ est peu ou prou comparable à celle d’installations de traitement plus conventionnelles, les montants nécessaires à l’exploitation de la solution de Coldep se révèlent quant à eux moins élevés selon l’entreprise : moins énergivore, sa technologie VAL ne nécessite en outre ni changements de filtres, ni remplacement de pièces d’usures, ce qui implique des temps de maintenance eux aussi moins importants. « Notre technologie est aussi très automatisée, et nécessite donc moins d’interventions humaines », souligne Sébastien Latz.
De nombreuses perspectives d’avenir
Au-delà de l’aquaculture et désormais des effluents de l’industrie, Coldep envisage également d’explorer la voie de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), comme le dévoile son directeur général : « Nous avons déjà mené un projet à la Fondation Luma, qui visait à traiter toutes les eaux grises et jaunes du site, en vue de les réutiliser pour des besoins d’irrigation ».
De manière plus prospective encore, Coldep s’intéresse également au sujet du pré-traitement d’eau de mer avant désalinisation, ou encore à une approche innovante de lutte contre les émissions de CO₂ : l’algo-bioremédiation. « Cela désigne le fait de capter le CO₂ issu de fumées industrielles par le biais d’algues, dont le dioxyde de carbone booste la croissance », éclaire Sébastien Latz. Coldep est ainsi impliquée sur ce plan dans la série de projets VASCO, dont la troisième itération a été lancée en 2022. « Nous figurons parmi les six partenaires du projet VASCO3, qui vise à faire passer à une échelle plus industrielle les tests que nous menons en la matière », explique le DG de Coldep. L’entreprise montpelliéraine figure également parmi les acteurs du projet portugais REDWine, qui vise quant à lui à capter, toujours grâce à la culture d’algues, le CO₂ issu du processus de fermentation alcoolique.
Pour mener à bien tous ces projets, Coldep peut compter sur les fonds qu’elle a récemment levés : 1 M€, comme elle l’a annoncé le 6 novembre dernier. Une somme que l’entreprise aujourd’hui forte d’une équipe de onze salariés compte également mettre à profit pour recruter, mais aussi pour développer des démonstrateurs mobiles qui pourront être amenés sur site afin de démontrer la pertinence de la technologie auprès de potentiels clients industriels. « Notre levée de fonds vise également à rendre notre technologie VAL la plus autonome possible, en développant les possibilités de pilotage à distance, notamment par le biais d’une application très facile d’accès qui constituera une sorte de jumeau numérique de chaque installation », projette finalement Sébastien Latz.
Très confiant dans sa technologie, le DG des Coldep assure que l’entreprise ne fait que commencer l’exploration des nouveaux marchés qu’elle vise… La cleantech montpelliéraine compte ainsi sur des « ingénieurs qui veulent changer le monde » pour l’aider à faire perdurer son esprit pionnier, à renforcer son engagement environnemental dans le domaine du traitement de l’eau, mais aussi à lutter contre le changement climatique.
[1] Silt density index.
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