Positionnée en tant que « partenaire de confiance », ClimateSeed accompagne plus de 250 organisations dans le calcul de leurs émissions de gaz à effet de serre, la mise en place de stratégies de réduction, mais aussi la mise en œuvre de projets de compensation carbone. Ou plutôt de « contribution climatique »… Une approche qui vise notamment à maximiser les co-bénéfices des projets de compensation, et va ainsi bien au-delà du seul intérêt de la séquestration ou de l’évitement d’émissions de CO2.
Issue d’un projet « intrapreneurial » lancé fin 2017 au sein du groupe BNP Paribas, ClimateSeed vole de ses propres ailes depuis novembre 2018 et son lancement à l’occasion du Global Social Business Summit. Acquise par le fonds à impact d’AXA en 2021, l’entreprise plaide en faveur d’une émancipation des logiques volumiques de la compensation carbone. Ceci, notamment dans l’objectif de maximiser les « co-bénéfices » – sociaux, économiques ou encore environnementaux – des projets de compensation carbone. Un bon moyen de remédier à certaines limites de la pratique, comme nous l’explique Jessica Denoyelle, responsable contribution climatique et secrétaire générale de ClimateSeed, entreprise qui soutient aujourd’hui plus de 45 projets de contribution climatique répartis dans une vingtaine de pays du globe.
Techniques de l’Ingénieur : Que désigne précisément le terme de « compensation carbone » ? Comment définiriez-vous cette approche ?
Jessica Denoyelle : Il faut tout d’abord distinguer compensation carbone volontaire, et compensation carbone obligatoire. Cette seconde option s’illustre par exemple au travers des obligations auxquelles sont soumises les compagnies aériennes pour les vols intérieurs en France. Mais quand on parle de compensation carbone, il s’agit plutôt, généralement, de compensation carbone volontaire. Ce mécanisme est apparu parallèlement au développement du marché réglementé du carbone en Europe à partir de 2005, non pas au travers de standards onusiens, mais plutôt via la mise en place de standards privés, par des fondations notamment. En Europe, on peut par exemple citer le Gold Standard for the Global Goals, une fondation suisse développée sous l’impulsion du WWF. Aux États-Unis, on trouve par exemple l’organisme Verra ; en Écosse, Plan Vivo… Depuis quelques années, on voit également d’autres standards émerger, mais au travers cette fois de structures à but lucratif, comme Riverse, une entreprise basée en France. Enfin, on a aussi vu apparaître des standards nationaux, tels que le Label Bas Carbone en France, sous l’égide de la DGEC[1].
Ce mécanisme du marché volontaire du carbone est donc lié à cette multitude de standards, parmi lesquels se cachent malheureusement quelques brebis galeuses… C’est en effet ce qu’ont montré, début 2023, les enquêtes du Guardian et de Cash Investigation.
Il faut dire que ce mécanisme de compensation carbone volontaire repose sur un scénario contre-factuel : « que se serait-il passé en l’absence du projet ? ». Cela implique donc de travailler à partir d’hypothèses, qui se révèlent parfois difficilement vérifiables : par définition, lorsqu’un projet de compensation se fait, on ne peut pas être certain de ce qui se serait passé en son absence. Les porteurs de projets ont donc parfois tendance à « optimiser » ce scénario de référence – certains parlent même de « triche »… – afin d’obtenir le plus de crédits carbone possible.
Ces crédits carbone – qui correspondent à des tonnes de CO2 équivalent évitées ou séquestrées – sont en effet au centre de l’attention, alors qu’il faudrait aussi se focaliser sur d’autres indicateurs environnementaux : biodiversité, régénération des sols, protection des nappes d’eau souterraines et autres co-bénéfices socio-économiques…
Face à cela, des garde-fous n’existent-ils pas ?
Si, bien sûr… On peut tout d’abord noter que l’Ademe a rédigé un guide des bonnes pratiques pour la compensation carbone volontaire, dans lequel elle préconise entre autres un mélange entre projets locaux et projets dans les pays du Sud.
Par ailleurs, s’il n’existe pas véritablement de cadre réglementaire à proprement parler autour de cette pratique, les porteurs de projets de compensation carbone volontaire sont malgré tout soumis à des obligations en matière de reporting. La norme ESRS E1 sur le changement climatique de la CSRD[2] indique notamment que, si l’on utilise des crédits carbone, il faut le dévoiler, en précisant d’ailleurs s’il s’agit de projets de séquestration ou d’évitement, et en indiquant notamment quels sont les volumes mis en jeu, les standards de qualité adoptés…
L’un des écueils – que l’on observe heureusement de moins en moins – consiste en effet à mettre en place des projets de compensation sans faire, au préalable, les efforts nécessaires pour réduire ses émissions de GES… Les études montrent heureusement que la plupart des acheteurs de crédits carbone sont aussi ceux qui réduisent le plus leurs émissions. La compensation carbone est en effet un « plus », qui doit venir après un travail de réduction des émissions sur toute la chaîne de valeur. La SBTi[3] définit notamment le « zéro émission nette[4] » comme le fait de réduire de 90 % – pour la plupart des secteurs – ses émissions par rapport à une année de référence, et de n’acheter des crédits carbone que pour les 10 % d’émissions résiduelles, si possible via des projets de séquestration permanente.
Lorsque cela se fait au travers de projets de plantation d’arbres, il reste malgré tout toujours un risque que le carbone soit un jour relâché dans l’atmosphère : en cas d’incendie, de coupe illégale, de tempête, de présence de nuisibles… Cela est pris en compte par les standards que j’évoquais, qui donnent un score de risque dépendant de différents critères : contexte politique du pays, exposition aux risques naturels… Si je prends l’exemple d’un projet ayant permis la séquestration de 100 000 tonnes de carbone et auquel est associé un score de risque de 20 %, alors 20 000 crédits carbone ne sont pas émis sur le marché, mais réservés à un mécanisme assurantiel. En cas de problème sur un projet, cela permet de compenser les émissions de carbone imprévues.
ClimateSeed prône par ailleurs une approche dite de « contribution climatique »… Comment cela se traduit-il, concrètement ?
Il existe différentes approches de compensation carbone volontaire. Il peut tout d’abord s’agir d’une simple logique du type « une tonne émise, une tonne achetée ».
Mais certaines entreprises privilégient une autre approche, dite « money for ton » : elles fixent en interne un prix du carbone et définissent ainsi un budget dans lequel elles puisent pour acheter des crédits carbone, pas forcément, d’ailleurs, à hauteur de leurs émissions résiduelles, mais plutôt en cherchant à maximiser les co-bénéfices des projets de compensation liés à ces crédits. Cette logique est ainsi l’une des illustrations de cette notion de « contribution climatique » que nous promouvons chez ClimateSeed.
Enfin, il existe également une approche « money for money ». Dans ce cas, une entreprise fixe un pourcentage de son chiffre d’affaires dédié aux projets de compensation carbone. On n’est alors plus du tout focalisé sur les quantités d’équivalents CO2. C’est cette émancipation des logiques volumiques que nous prônons, même s’il reste encore, il est vrai, assez difficile de faire changer les mentalités.
Ces approches de « contribution climatique », ou plus simplement de compensation carbone volontaire, sont-elles, de votre point de vue, des pratiques accessibles à toutes les entreprises ?
Nos clients sont, il est vrai, plutôt des ETI et des grands groupes. Le coût de mise en place et le coût opérationnel des projets que nous soutenons nous ont en effet conduits à fixer un minimum de contribution de 10 000 € par projet, ce qui n’est, effectivement, pas à la portée de toutes les entreprises. Pour des petits volumes, l’achat de crédits carbone reste toutefois tout à fait accessible via, par exemple, la place de marché du Gold Standard. Le Label Bas Carbone est également adapté aux petites entreprises, à qui il propose de petits projets locaux, comme la reforestation d’une parcelle ayant subi un incendie. Rappelons aussi, enfin, que la réduction des émissions sur la chaîne de valeurs de l’entreprise reste la priorité et qu’elle est, quant à elle, accessible à toutes les structures, quelle que soit leur taille.
Pouvez-vous, pour terminer, nous citer quelques exemples parmi les quelque 45 projets de contribution climatique que vous soutenez ?
Nous soutenons par exemple un projet d’agroforesterie au Pendjab, en Inde, qui permet, évidemment, la séquestration de carbone, mais aussi la régénération des sols agricoles, la protection des nappes d’eau souterraines… Des co-bénéfices sociaux et environnementaux qui vont ainsi bien au-delà du seul enjeu climatique lié au carbone.
Nous avons aussi un projet de « réchaud amélioré », destiné aux pays en développement. L’objectif est de remplacer les moyens de cuisson rudimentaires – souvent un simple feu de bois – par une solution plus propre, émettant moins de particules et de gaz à effet de serre, et donc aussi moins nocives pour la santé des personnes qui l’utilisent, plus rapide et facile à utiliser. Là aussi, les enjeux vont bien au-delà du CO2 : scolarisation des enfants grâce au temps dégagé par l’absence de corvée de bois, amélioration de la santé des populations…
Autre exemple, enfin : nous soutenons un projet de protection de la mangrove au Mexique, qui passe par la mise en place d’une assurance paramétrique, en lien avec les populations mayas. Sur le moyen et le long terme, il est en effet préférable qu’un tel projet s’émancipe de la finance carbone – qui peut être soumise à une certaine volatilité des prix, ou d’autres aléas – et finisse par être porté par les populations locales. Cela se révèle en effet plus sain, et garantit la pérennité du projet.
La plupart des standards prévoient d’ailleurs, en amont des projets, des étapes de consultation des parties prenantes, qui visent à obtenir un consentement libre et éclairé des communautés locales, à les former, afin d’assurer la pérennité des projets, mais aussi à mettre en place des garde-fous, tels qu’un mécanisme de gestion des plaintes.
La compensation de nos émissions ne doit, en effet, pas se faire au détriment d’autrui. Au contraire ! Les co-bénéfices socio-économiques sont aussi primordiaux. Pour cela, le choix des projets et des prestataires se révèle crucial.
[1] Direction générale de l’énergie et du climat.
[2] Directive de l’Union européenne (UE) 2022/2464, communément appelée « CSRD » pour Corporate Sustainability Reporting Directive.
[3] Science-based Target Initiative.
[4] Voir aussi https://sciencebasedtargets.org/resources/files/Net-zero-deep-dive-webinar-slides.pdf
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