Elles disent être engagées pour la lutte contre le changement climatique, et le répètent à longueur de publicité et de rapports annuels. Mais dans le même temps, de nombreuses entreprises européennes unissent leurs forces au sein de structures de lobbying dont les visées sur le changement climatique s’avèrent opposées.
Le Policy Studies Institute, de l’université de Westminster, s’est penché sur ce paradoxe, au travers d’un rapport publié le 30 mars.
Il ressort que 77 % des 500 plus grosses sociétés dans le monde sont membres de lobbys intéressés par le changement climatique. Au sein de ces groupes d’intérêt, les industries gourmandes en énergie, les lobbys des énergies fossiles ainsi que Business Europe, le Medef européen, tentent d’affaiblir le marché européen du carbone, mais aussi les mesures d’efficacité énergétique ou le soutien aux énergies renouvelables.
Ainsi, Business Europe a tenté de s’opposer aux projets de ranimation du marché du carbone ou backloading, comme le montre ce communiqué, plaidant pour une refonte plus profonde et donc plus longue du système.
Parmi les entreprises prises entre deux chaises, on retrouve aussi BASF ou Solvay : les deux entreprises de chimie membres du groupement défendant les intérêts de la chimie, le CEFIC sont tiraillés entre plusieurs impératifs. Avoir accès à une énergie moins chère est crucial pour ces industries très gourmandes en énergie ; la chimie penche milite donc pour l’exploitation du gaz de schiste. Les groupes de chimie se disent par ailleurs de fervents acteurs de la lutte contre le changement climatique.
Dans une réponse à la Commission sur ses propositions de paquet climat, CEFIC proposait ainsi une approche « réaliste » à la question du changement climatique, dont l’ambition soit conditionnée au partage de l’effort avec les autres économies occidentales.
Solvay et BASF sont par ailleurs membres du World Business Council for Sustainable Development, une organisation destinée à encourage les initiatives pour l’environnement.
Contactés par EurActiv, ni Business Europe ni Cefic n’ont répondu sur ce sujet.
Des modes d’influence bien huilés
L’institut s’est aussi penché sur les modes d’influence des lobbyistes. Selon le rapport, un « lobbying efficace peut représenter l’impact le plus important qu’une société aura sur le climat », en positif ou en négatif. Ainsi en 2013, l’industrie chimique avait réuni ses PDG pour rencontrer le commissaire européen au climat, et lui expliquer que l’objectif de réduction des émissions de CO2 de – 30 % d’ici 2030 accélérerait la désindustrialisation du continent. Des termes qui ont été repris par Gunther Oettinger, qui était à l’époque commissaire à l’énergie, quelques jours plus tard.
Les groupes d’intérêt ont aussi recours à leurs membres qu’ils mandatent pour rencontrer les eurodéputés en local, ce qui influence leur position. Même si tous les eurodéputés n’ont pas le même poids sur les questions climatiques. Selon un lobbyiste cité dans le rapport, seulement un dixième des eurodéputés connaît vraiment les enjeux, et sur ce lot seuls un tiers ont une réelle influence.
Des conflits d’intérêts plus ou moins gérés
Plusieurs sociétés, sensibles aux paradoxes de leurs soutiens, se sont récemment retirées d’organisations peu motivées par l’environnement. A l’automne, Microsoft, Google, Yahoo puis Facebook se sont retirés de l’American Legislative Exchange Council (ALEC), qui est ouvertement opposé aux énergies renouvelables. De même, Unilever a quitté BASF en aout 2014, en raison de son positionnement sur les questions environnementales.
Responsabilité des politiques
Ce conflit d’intérêt perpétuel ne s’arrête pas aux portes des entreprises. La nouvelle Commission européenne est elle-même en proie aux mêmes paradoxes dans son projet d’Union de l’Energie.
Un programme censé concilier trois objectifs : réduction des émissions de CO2, compétitivité des entreprises et sécurité d’approvisionnement. Trois projets a priori contradictoires. Le premier plaide pour le recours aux énergies renouvelables, le second pour le charbon, et le troisième pour des investissements massifs dans des gazoducs. Le malaise des entreprises par rapport au climat reflète aussi le manque de hiérarchie dans les priorités politiques de l’UE entre ces trois contraintes.
Source : Euractiv
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