Le boom spectaculaire de la surface de la banquise Arctique d’été en 2013 pourrait être le signe avant-coureur d’une inversion de tendance. La surface de la banquise Arctique va probablement augmenter dans les deux décennies à venir. Et la longue pause du réchauffement qui dure depuis plus d’une décennie et demie à l’échelle globale pourrait se prolonger jusqu’à 2030-2040. Ce sont les conclusions d’une étude scientifique qui vient d’être publiée dans la revue Climate Dynamics (online) par les climatologues Marcia Wyatt et Judith Curry. Un papier peer-reviewed incontournable dans le débat climatique actuel et qui suscite dès à présent des agitations dans la sphère climato-exagératrice.
Cette étude « changera la façon dont vous concevez la variabilité climatique naturelle » a estimé Judith Curry, Chaire de la School of Earth and Atmospheric Sciences au Georgia Institute of Technology (GIT), l’équivalent géorgien du MIT.
Roger Pielke (Sr), climatologue dont les travaux sont hautement cités selon l’indice ISI (Institute for Scientific Information), a déclaré que Dr Marcia Wyatt a fait preuve d’une « pensée innovante dans le cadre de son doctorat, et elle est parvenue ensuite à la faire mûrir jusqu’à un niveau de recherche de très haut niveau, de classe mondiale. ». Marcia Wyatt est une chercheuse indépendante.
L’un des 5 éditeurs en chef de la revue Climate Dynamics, Jean-Claude Duplessy, Membre de l’Académie des sciences et spécialiste du fonctionnement des océans, travaille dans le même laboratoire (LSCE) que la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, laboratoire dirigé par Jean Jouzel, Vice-Président du GIEC.
Quand les oscillations des océans Atlantique et Pacifique ont rendez-vous avec la banquise Arctique
Le GIEC, panel intergouvernemental des experts au service de la politique climatique de l’ONU, vient de publier son 5ème rapport (AR5). L’une des questions les plus controversées au sujet de l’AR5 est l’échec des modèles climatiques à prévoir la pause des températures globales de surface depuis 1998. Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer cette pause, y compris ce que le GIEC considère comme être une « variabilité climatique imprévisible », et qui est associée avec des régimes de circulation à grande échelle dans l’atmosphère et l’océan. Le plus connu de ces régimes est El Niño/La Niña, qui fait partie d’une oscillation du système océan-atmosphère à très court-terme. Mais à une échelle de temps multidécennale, il y a un réseau de régimes de circulation atmosphériques et océaniques, incluant l’Atlantic Multidecadal Oscillation (AMO) et la Pacific Decadal Oscillation (PDO).
Le nouveau papier publié dans le journal Climate Dynamics (online), suggère que « la variabilité climatique imprévisible » se comporte en réalité d’une manière plus prévisible que supposé auparavant. Les auteurs de l’étude, Marcia Wyatt et Judith Curry ont développé une théorie qu’elles ont baptisée l’hypothèse de l’onde de stade (The stadium wave hypothesis), en référence aux spectateurs qui se lèvent et applaudissent dans les gradins des stades sportifs, imitant une vague marine oscillatoire, la Ola ou mexican wave née au Mexique lors du mondial de football de 1986.
Le signal de l’onde de stade climatique se propage à travers l’hémisphère nord par l’intermédiaire d’un réseau océan-banquise-atmosphère interconnecté qui s’auto-organise dans un tempo collectif.
L’hypothèse de l’onde de stade fournit une explication plausible concernant la pause du réchauffement et aide à expliquer pourquoi les modèles informatiques actuels ne sont pas parvenus à prévoir la pause du réchauffement. En outre, la nouvelle hypothèse suggère combien de temps va durer cette pause.
L’oscillation multidécennale de l’Atlantique, un véritable chef d’orchestre du climat global
Wyatt et Curry ont identifié deux ingrédients clés pour la propagation et le maintien du signal de l’onde de stade : l’oscillation multidécennale de l’Atlantique (AMO) et la surface de la banquise dans les mers eurasiatiques de l’Arctique. Telle la grosse caisse d’une samba brésilienne, l’AMO (liée à la circulation thermohaline, le tapis roulant dont fait partie le fameux Gulf Stream) donne le tempo, et la banquise sert de trait d’union, de pont de communication entre l’océan et l’atmosphère. La nature oscillatoire du signal peut être pensée en termes de freinage/accélération, les rétroactions positives et négatives interagissent pour supporter l’inversion des régimes. Il en résulte que les régimes climatiques, des intervalles multi-décennaux de réchauffement et de refroidissement, évoluent d’une manière ordonnée tant sur le plan spatial que temporel.
Bien que non parfaitement périodiques, les répétitions sont très régulières, il y a bien une oscillation quasi-périodique. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Wyatt a démontré que l’onde de stade existe depuis au moins 300 ans.
La nouvelle étude analyse des indices dérivés de l’atmosphère, de l’océan et de la banquise depuis 1900. La tendance linéaire a été enlevée afin de mettre le focus sur la composante multidécennale de la variabilité naturelle. Une technique statistique multivariée appelée Multi-channel Singular Spectrum Analysis (MSSA) a été utilisée pour identifier les profils de variabilité partagés par tous les indices et qui caractérisent l’onde de stade. La suppression de la tendance linéaire à long-terme élimine de manière efficace les forçages climatiques tels que les gaz à effet de serre anthropiques.
Une hypothèse qui conduit à relativiser les prophéties du GIEC pour les deux décennies à venir
L’onde de stade renforce ou abaisse de manière périodique la tendance à long-terme de la hausse des températures, ce qui pourrait expliquer la pause récente du réchauffement global de surface. « Le signal d’onde de stade prédit que la pause actuelle du réchauffement global pourrait durer jusqu’à la décennie 2030 » a déclaré Marcia Wyatt. Judith Curry ajoute « cette prédiction est en contraste avec le récent rapport du GIEC qui projette une reprise imminente du réchauffement, et prévoit une hausse de la température globale de surface comprise probablement entre 0.3 et 0.7°C de 2016 à 2035. »
Des travaux antérieurs réalisés par Wyatt montrent que les modèles climatiques actuels échouent à capturer le signal de l’onde de stade. Le fait que ce signal ne soit pas vu dans les simulations des modèles peut expliquer en partie l’incapacité des modèles à prévoir la stagnation actuelle de la température global de surface.
« Les modèles actuels sont trop déterministes, focalisant sur les impacts des forçages externes plutôt que simulant la variabilité naturelle interne associée aux interactions non-linéaires du système couplé océan-atmosphère » a déclaré Judith Curry.
La banquise Arctique pourrait voir sa surface augmenter durant les deux décennies à venir
L’étude fournit aussi une explication à une tendance climatique a première vue incongrue, à savoir combien de temps la banquise Arctique continuera à décliner durant cette période de températures globales au point mort, et quand pourrait se produire une inversion de tendance.
Après le pic des températures à la fin de la décennie 90, la température de surface hémisphérique a commencé à décliner, mais les hautes latitudes de l’océan Atlantique nord ont continué à se réchauffer et la surface de la banquise a continué à décliner. D’après l’hypothèse de l’onde de stade, cette tendance marque une période de transition à l’issue de laquelle les futures décennies verront l’océan nord-Atlantique commencer à se refroidir et la banquise de la région eurasiatique de l’Arctique commencera a rebondir.
La plupart des interprétations concernant le déclin de la surface de la banquise Arctique ont focalisé sur le forçage des gaz à effet de serre, avec un peu d’indulgence vis à vis de la variabilité naturelle. Le déclin de la banquise durant la dernière décennie est cohérent avec le signal de l’onde de stade, et la poursuite de la propagation de cette onde permet de prévoir une inversion de cette tendance au déclin de la banquise. « L’onde de stade permet de prévoir que la banquise Arctique va se remettre de son minimum actuel, d’abord dans sa partie eurasiatique, puis ensuite dans la région sibérienne » a déclaré Wyatt. « Par conséquent, le minimum de banquise observé en 2012, suivi d’une augmentation de la banquise en 2013, est suggestif et cohérent avec le timing de l’évolution du signal de l’onde de stade ».
L’onde de stade porte la promesse de mettre en perspective de nombreuses observations concernant le comportement du climat, tels que les profils régionaux de la variabilité décennale de la sécheresse et de l’activité des ouragans ont déclaré les chercheuses. Mais une compréhension complète de la variabilité du climat passé et les projections pour le changement climatique futur requiert d’intégrer le signal d’onde de stade avec les forçages externes solaires, volcaniques et anthropiques.
« Comment les forçages externes se projettent dans l’onde de stade, et s’ils ont une influence sur le tempo du signal ou affectent le timing et la magnitude des changements de régimes est inconnu et requiert de futures recherches » a déclaré Wyatt. « Alors que les résultats de cette étude apparaissent comme avoir des implications concernant le hiatus du réchauffement, le signal d’onde de stade ne supporte pas, mais ne réfute pas non plus le réchauffement global anthropique. L’hypothèse de l’onde stade vise à expliquer la composante multidécennale de la variabilité climatique naturelle ».
Référence :
> M.G. Wyatt, et al., « Role for Eurasian Arctic shelf sea ice in a secularly varying hemispheric climate signal during the 20th century, » Climate Dynamics, 2013.
link.springer.com/article/10.1007/s00382-013-1950-2#page-1 (accès payant)
> Une version brute (sans mise en page) de l’article est disponible ici :
http://judithcurry.com/2013/10/10/the-stadium-wave/
http://curryja.files.wordpress.com/2013/10/stadium-wave.pdf
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