Comment aller chercher un débris dans l’espace ? Des start-ups se sont positionnées sur la question afin de proposer des solutions de nettoyage. Nous avons échangé avec l’une des plus avancées, la suisse ClearSpace. Interview de sa cofondatrice, Muriel Richard-Noca.
Les débris spatiaux peuvent causer de graves dégâts dans l’espace et leur nombre pose problème pour les futures missions en orbite. Des start-ups travaillent alors depuis des années sur des solutions de nettoyage. C’est le cas de la suisse ClearSpace qui va réaliser sa première mission de retrait d’un débris de plus de 110 kg. Le lancement est prévu pour le second semestre 2026 à bord du lanceur Vega C d’Arianespace. Pour comprendre le fonctionnement d’une telle technologie, nous avons échangé avec Muriel Richard-Noca, ingénieure en cheffe et cofondatrice de la start-up suisse ClearSpace.
Techniques de l’ingénieur : Pouvez-vous nous raconter comment a débuté l’aventure de ClearSpace ?
Muriel Richard-Noca : Tout a commencé à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en Suisse. Le centre spatial de l’EPFL – eSpace Center – avait initié et encadrait, avec l’aide des Hautes écoles spécialisées (HES), un projet étudiant de création d’un petit satellite, le Cubesat SwissCube. Nous avons réalisé ce projet entre 2006 et 2009. À l’issue de ces trois ans, nous avons lancé notre Cubesat, embarqué sur une fusée indienne, à une altitude d’environ 720 km de la surface de la Terre. Une altitude proche, et l’une des plus fréquentées. Mais à l’époque, nous n’avions pas à notre connaissance les problèmes que posent les débris. Nous l’avons découvert et vécu en opération, lorsque nous avons reçu de nombreuses notifications de l’Air Force américaine sur les collisions à venir. La fréquence des messages était telle que nous avons pris conscience du problème. D’autant plus que nous étions dans une région qui avait vécu deux collisions peu de temps avant. Aujourd’hui, on évite de sélectionner ces orbites.
Grâce à cette prise de conscience, vous avez alors décidé de travailler sur une solution…
Effectivement. À l’EPFL, nous avons créé un programme de recherche et développement pour définir la façon dont nous allions enlever ces débris. Nous l’avons fait notamment à travers des projets étudiants, en réalisant des prototypes et des tests, qui nous ont permis d’augmenter notre compréhension. Nous avons étudié les bras robotiques, les surfaces adhésives type gecko, l’envoi de filet… Au bout d’un moment, une solution nous est apparue, la plus logique et la plus simple : un système de bras robotiques simplifiés, comme des tentacules, avec un volume fermé dans lequel on enferme le débris. Et au-delà de la solution technique robotique, il nous tenait à cœur de considérer un système global et une offre de service incluant la conception du satellite robot, du segment sol et des opérations en vol.
C’est d’ailleurs pour développer et commercialiser cette solution que nous avons créé ClearSpace. Au départ, nous avions à l’université un petit budget de 10 000 euros par an pour créer des prototypes et des systèmes de tests. Nous n’arrivions pas à trouver de financements plus importants, car il nous fallait montrer un modèle d’affaires (commercial) intéressant. Les laboratoires et le centre spatial de l’EPFL ont continué de nous aider sur des points technologiques sensibles et complexes.
Aujourd’hui, votre technologie a été sélectionnée par l’ESA pour aller chercher un débris dans l’espace. À partir de quel moment avez-vous perçu l’intérêt des acteurs du spatial ?
C’était en 2016, avec l’arrivée des « mégaconstellations » : plusieurs entreprises ont reçu les licences pour lancer plusieurs milliers de satellites en orbite afin d’apporter un service d’internet global. Ce sont ces constellations de satellites [et la question de leur fin de vie, ndlr] qui ont ouvert la voie à un modèle économique pour l’enlèvement des débris dans l’espace. Et en effet, ClearSpace a été sélectionnée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA) pour aller enlever un de leur débris. Cette démonstration va permettre de créer le démonstrateur de notre dépanneuse. Et une fois démontré à un coût viable – un point hyper important –, il sera alors possible d’envisager d’être appelés pour ce service.
Comment fonctionne cette dépanneuse spatiale ?
Il s’agit d’un robot spatial – un satellite robot – autonome conçu pour intercepter un débris en rotation incontrôlée dans l’espace à une certaine vitesse de la Terre. Comment faire pour l’attraper avant l’impact ? C’est le défi de notre système de capture et de navigation, basé sur la reconnaissance d’image et de mouvement, ainsi qu’un système de guidage pour l’approche. En fait, il nous faut un système autonome dans l’espace qui puisse reconstruire le mouvement de l’objet, s’approcher et reconstituer ce mouvement. À partir de ce moment-là, il détermine une trajectoire, initie son propre mouvement pour capturer et stabiliser le débris. Une fois stabilisé, l’objet peut être ramené dans l’atmosphère terrestre.
Et pour notre première mission, nous avons délibérément planifié un processus qui prend du temps. Notre objectif est de valider toutes les hypothèses en amont et de progresser par étape. Nous allons intégrer différentes technologies de capteur, comme les caméras infrarouges ou lidars, afin de définir la meilleure approche. Nous allons prendre notre temps pour nous assurer une compréhension complète de chaque étape et confirmer la solidité de notre design.
Est-ce que ce robot aura sa propre mission ou sera-t-il intégré à une autre mission spatiale ?
C’est un mélange des deux. Le robot pourrait être intégré à une mission existante, par exemple, à une fusée qui pourra aller chercher un débris s’il lui reste de l’énergie. Mais a priori, pour sa première mission, il sera spécifiquement conçu pour récupérer un seul objet. Nous collaborons également avec l’Agence spatiale de Grande-Bretagne pour une mission visant cette fois-ci à récupérer deux débris. Chacune de ces missions est une démonstration qui accroît la capacité technologique et l’assurance de la mise en œuvre. En somme, nous démontrons la qualité et la fiabilité de notre technologie. Les missions sont prévues en 2026 et nous pourrons lancer la version commerciale une fois la première mission réalisée.
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