La prolifération des débris orbitant autour de la Terre, au premier plan desquels les débris et composants de fusées ou de satellites, est un problème pour le moins endémique qui pourrait non seulement générer des coûts vertigineux, mais pourrait aussi provoquer l’arrêt pur et simple de la conquête spatiale. Pour combattre ce fléau, le Centre Spatial Suisse a décidé de lancer, en collaboration avec l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), le projet « CleanSpace One », projet visant à développer l’installation d’une nouvelle famille de satellites « éboueurs » de l’espace, spécialement conçus pour nettoyer l’espace de ses débris.
Satellites abandonnés (près des deux tiers du parc actuel de 2 500 satellites), lanceurs de fusées égarés, débris de navettes spatiales ou encore fragments issus de la collision des trois premières catégories : l’orbite terrestre est une vraie poubelle flottante contenant des déchets circulant à très grande vitesse. D’après la NASA, le nombre de débris dépassant les dix centimètres de diamètre serait de l’ordre de 16 000 à 18 000, débris que l’agence américaine et le département américain de la défense essaient tant bien que mal de suivre à la trace, connaissant leur orbite. Lorsqu’une collision avec un satellite se produit, ce dernier est bien souvent détruit, générant de nouveaux débris par milliers.
On se souvient que l’équipage de la Station Spatiale Internationale (ISS) avait effectué au moins de janvier dernier une manœuvre d’évitement d’un débris menaçant la station (un des 600 débris provenant de la collision, en février 2009, entre les satellites Iridium-33 et Cosmos-2251), manœuvre effectuée pour la treizième fois en quinze ans – les trois pensionnaires de l’ISS avaient même dû évacuer temporairement la station à bord du vaisseau de secours Soyouz. « Il est devenu essentiel de prendre conscience de l’existence de ces débris, ainsi que des risques encourus par leur prolifération », souligne Claude Nicollier, astronaute et professeur à l’EPFL, pilier du projet « CleanSpace One ».
Ce futur « éboueur de l’espace » devra faire face à un certain nombre de challenges, nécessitant le développement de nouvelles technologies comme l’amélioration de technologies existantes. Le satellite nettoyeur devra tout d’abord ajuster sa trajectoire afin de se retrouver sur le même plan orbital que sa cible, à l’aide d’un nouveau moteur ultra-compact actuellement en développement dans les laboratoires de l’EPFL. Lorsque la cible se trouvera à sa portée, à la vitesse de plus de 28 000 km/h et à une altitude comprise entre 630 et 750 kilomètres, « CleanSpace One » attrapera et stabilisera celle-ci, opération particulièrement délicate à cette allure, notamment si le satellite est en rotation sur lui-même.
Pour ce faire, les scientifiques affiliés au projet devraient développer un mécanisme permettant d’attraper les déchets, mécanisme de « grip » inspiré à la fois du monde animal et végétal. Une fois l’accouplement entre les deux objets spatiaux réalisé, « ClearSpace One » devrait se charger de la désorbitation du débris indésirable en le poussant vers l’atmosphère terrestre, et donc vers sa désintégration (suivant sa taille). Bien que le premier modèle soit un modèle kamikaze destiné à être détruit dans l’espace en même temps que sa victime, « CleanSpace One » n’a pas pour vocation le développement de satellites à utilisation unique, chacun d’entre eux étant censé pouvoir désorbiter plusieurs débris indésirables du même type. Une spécialisation du satellite éboueur en fonction du type de débris est elle aussi à l’étude.
La mobilisation de la communauté scientifique est réelle, à l’instar de celle de l’équipe suisse, car la peur d’un effet boule de neige est désormais dans tous les esprits : le fameux syndrome Kessler, scénario catastrophe établi par l’ancien consultant de la NASA, Donald J. Kessler. L’astrophysicien américain est le premier a avoir émis l’hypothèse qu’un jour, le volume de débris spatiaux en orbite basse risquait d’être si élevé que leur nombre ne ferait qu’augmenter, de collisions en collisions, rendant l’utilisation des satellites ainsi que l’exploration spatiale totalement impossible pendant plusieurs générations.
« CleanSpace One » devrait coûter environ dix millions de francs suisses (près de 8,3 millions d’euros), pour un possible premier rendez-vous orbital dans les cinq années à venir, si les financements suivent. L’équipe suisse a d’ores et déjà choisi une première cible symbolique : l’un ou l’autre des deux satellites suisses actuellement en orbite, Swisscube ou TIsat.
Par Moonzur Rahman