Alors que la filière des cimentiers a du mal à réduire fortement ses émissions de CO2 malgré ses recherches, la société Hoffmann met sur le marché un nouveau type de ciment très décarboné. Réalisé sans clinker, il s’appuie sur une rupture technologique. Une première usine est sortie de terre en Vendée.
Le monde du ciment vit une révolution qui se passe actuellement en Vendée. Ce matériau, devenu essentiel dans le secteur de la construction, peut en effet désormais être fabriqué sans clinker[1] grâce à une rupture technologique portée par la société Hoffmann Green Cement. Non content de créer un produit cinq fois moins carboné que le ciment classique Portland, elle a aussi repensé totalement le modèle industriel, avec une usine verticale alimentant elle-même 50 % de sa consommation d’énergie.
L’histoire de la start-up industrielle commence il y a plus d’une dizaine d’années avec une innovation de David Hoffmann qu’il expérimente seul. Il arrive à remplacer le clinker par un mélange à froid de laitiers de hauts-fourneaux (liquide silicaté fondu, sous forme de sable après refroidissement) et d’activateurs afin d’obtenir des liants hydrauliques pouvant réagir avec de l’eau pour faire du ciment. La proportion est d’environ 85 % de déchets en poudre (laitiers de hauts-fourneaux ou argiles du lavage des sables de carrières ou désulfogypses) et 15 % d’activateurs, également sous forme de poudre. L’approche est à l’époque trop innovante pour les cimentiers et les banquiers, qui refusent de le soutenir dans ses travaux. La rencontre en 2014 avec Julien Blanchard et le microcosme des entrepreneurs vendéens va tout changer : ils lèvent une centaine de millions d’euros pour construire une usine pilote. « Il a fallu neuf mois pour arriver à reproduire industriellement ce qui n’avait été fait qu’en laboratoire jusque-là. Avec 6 000 m2 au sol, pas de combustion donc pas de cheminée, peu de déchets, cette première usine peut déjà produire 50 000 tonnes de ciment par an », raconte François Simon, prescripteur Île-de-France pour le cimentier Hoffmann.
Une filière qui a besoin de se décarboner
Cette première étape est une goutte d’eau par rapport à la production française de ciment, qui était de 16,5 millions de tonnes en 2018. Mais elle montre une nouvelle direction très prometteuse. La filière ciment émet en effet environ 10 Mt CO2eq chaque année, soit 12,5 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie en France. Elle doit donc fournir un effort conséquent pour arriver à se décarboner. Elle imagine le faire en modernisant ses usines, en verdissant le mix thermique de ses fours, en réduisant le taux de clinker, et en appliquant de manière incrémentale d’autres technologies de décarbonation. Mais, comme l’a montré l’Ademe dans son plan de transition sectoriel, ces solutions de référence conduiraient encore à l’émission de 6 Mt CO2eq en 2050, alors qu’il faudrait les réduire à 2 Mt CO2eq. Même en utilisant des technologies de capture et stockage de carbone (CSC), les émissions des cimentiers seraient encore de près de 5 Mt CO2eq. Pour arriver au bon résultat, l’Ademe a modélisé deux autres scénarios, l’un poussant plus fortement le curseur de la sobriété, et l’autre maximisant les solutions technologiques, en particulier le CSC.
La solution proposée par Hoffmann, en supprimant l’étape de fabrication du clinker, rend la perspective beaucoup plus abordable. C’est pourquoi elle a été progressivement reconnue, et a d’ailleurs récemment reçu le prix du Low Carbon Cement remis par l’Association mondiale du ciment, tandis que Julien Blanchard était distingué par l’Académie d’Architecture. Il faut noter tout de même que cette reconnaissance a pris du temps. « Comme les cimentiers traditionnels ont verrouillé la réglementation en imposant un taux minimum de clinker de 5 % dans le ciment, la solution Hoffmann a dû batailler pour obtenir des homologations. Après plus de quatre années et 6 millions d’euros dépensés pour mener des essais physiques, chimiques et mécaniques avec le CSTB, notre ciment H-UKR a notamment obtenu une appréciation technique ATEx A[2] » explique François Simon. En validant une durée d’utilisation pour 100 ans, et en le qualifiant comme une technique courante pour les assureurs et contrôleurs techniques, ce ciment va pouvoir servir aux bétons utilisés dans les ouvrages d’art et plus globalement à toute superstructure (poteaux, poutres, voiles, dalles).
Une usine verticale 4.0
Hoffmann a aussi été lauréat du prix Usine RSE lors des Trophées des Usines 2023, pour saluer sa deuxième unité de production. Cette usine, inaugurée le 12 mai en Vendée et nommée H2, a la particularité d’être la première cimenterie verticale du monde ! Elle a été construite avec le béton Hoffmann Green pour montrer son efficacité à réaliser une tour de 70 m de haut et environ 25 m de large. La partie haute de la tour contient 19 cellules verticales remplies des matières premières et produits chimiques – jusqu’à une douzaine d’activateurs, parfois dosés en très petite quantité – nécessaires à la production de ciment. Ils sont assemblés à froid par gravité dans la partie basse de la tour, minimisant ainsi le besoin d’énergie et de maintenance. Un choix qui renforce la résilience de l’entreprise face à une crise énergétique : l’énergie ne compte que pour 2 % de ses coûts structurels, soit dix fois moins que les cimentiers traditionnels. Douze trackers solaires et des panneaux photovoltaïques sur le toit des bâtiments annexes fourniront la moitié de la consommation d’électricité nécessaire au site.
Avec cette deuxième usine, Hoffmann élève sa capacité de production à 250 000 tonnes de ciment par an. D’autres usines devraient voir le jour dans les prochaines années. Car la demande va forcément augmenter, et certains grands acheteurs, comme Spie Batignolles, commencent à sécuriser les volumes qu’Hoffmann pourra leur livrer. Même si les ciments Hoffmann sont pour l’instant plus chers que leurs concurrents, il est probable que cela ne va pas durer. En augmentant son volume de production, l’entreprise devrait réduire ses coûts, tandis que les cimentiers traditionnels vont inexorablement voir les leurs augmenter : les évaluations de l’Ademe montrent que, sans effort de décarbonation, la filière classique verrait un triplement du coût de production (avec une tonne de CO2 à seulement 180 euros), mais que la mise en œuvre d’efforts – en gardant le clinker – conduira tout de même à un doublement des coûts…
[1] Pour rappel, depuis 200 ans, le clinker est le principal actif du ciment. Il est obtenu par cuisson d’un mélange de calcaire (80 %) et d’argile (20 %) à 1 450°C dans un four rotatif. Cette étape représente la quasi-totalité des émissions de gaz à effet de serre des cimentiers : elles sont dues à la fois à la consommation d’énergie thermique (un tiers des émissions) pour la cuisson, et à la réaction chimique de calcination qui transforme le calcaire en chaux et en CO2 (deux tiers des émissions).
[2] Appréciation Technique d’Expérimentation
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