Alors que les entreprises sont confrontées à une crise historique du coût de l’électricité et du gaz, et doivent décarboner leur approvisionnement en énergie, il est une filière d’excellence qui peut apporter une solution dans l’industrie, celle de la récupération de chaleur fatale. Toutes les conditions semblent réunies pour la développer : le gisement est immense, des technologies sont déjà commercialisées et de nouvelles émergent, le soutien financier de l’État existe.
En France, le gisement de ces rejets thermiques perdus a été estimé par une étude de l’Ademe en 2017. Tous process confondus, la chaleur fatale dans l’industrie représente près de 110 TWh dont un tiers dans l’agroalimentaire, un cinquième dans les industries de la chimie et du plastique, et une part de 11-13 % pour chacune des trois filières suivantes : matériaux non métalliques (ciment, verre), métaux (dont sidérurgie) et papier carton. Un plus petit gisement de 8 TWh est contenu dans les data centers et dans les usines d’incinération des ordures ménagères.
Une ressource pour les réseaux de chaleur
Il est notable que plus de la moitié du gisement dans l’industrie est à des températures inférieures à 100°C. Cette source pourrait en partie être captée et réutilisée pour des usages simples (préchauffage d’un process, chauffage des locaux, eau chaude sanitaire, etc.) ou pour alimenter un réseau de chaleur urbain à proximité, en particulier si la température est supérieure à 60°C. Mais même en dessous de 60°C, l’utilisation de boucles tempérées avec rehausse de la température par des pompes à chaleur est tout à fait envisageable.
L’intérêt est néanmoins encore plus grand pour les 53 TWh du gisement présentant des températures supérieures à 100°C. À eux seuls, les intervalles de 100 à 200°C et de 200 à 300°C représentent respectivement 26,4 et 17,4 TWh. Et chez certains industriels, il n’est pas rare que les fumées des fours dépassent les 300-400°C. C’est le cas par exemple à Ugine en Savoie, où l’usine d’Ugitech (fabricant d’acier inoxydable) a mis en place une récupération de la chaleur par prélèvement dans les fumées. En étant prudent sur le niveau de pression et en vérifiant que cela n’avait pas d’impacts sur ses fours, l’industriel fournit ainsi gratuitement 4 500 à 5 000 MWh par an au réseau de chauffage urbain depuis novembre 2021. Par ce biais, la ville n’a quasiment plus besoin d’apport gaz et évite l’émission de 1 100 tonnes de CO2 par an. En retour, l’usine se connecte au réseau de chaleur pour le chauffage de ses bâtiments administratifs et économise 200 tCO2/an en n’utilisant plus ses chaudières gaz. L’investissement de 1,7 million d’euros a été porté par la ville avec le soutien d’aides publiques.
Multiplication des soutiens publics
Bien d’autres pistes sont à l’œuvre ou déjà à l’essai. Dans une des usines de Cristal Union (fabrication de sucre) sur le site de Sainte-Emilie dans la Somme, le séchage des pulpes de betteraves était fait par une centrale à charbon. Un projet est en cours pour récupérer de la vapeur d’eau surchauffée sur un autre process de l’usine afin de réaliser le séchage directement. Environ 40 000 tCO2/an seront économisés, au prix néanmoins d’un investissement de 25 millions d’euros, largement subventionné dans le cadre du Plan de relance et des soutiens apportés par le Fonds Chaleur et par les Certificats d’économies d’énergie.
Selon l’Ademe, entre 2015 et 2020, les soutiens publics ont permis de construire des projets valorisant 18 TWh/an de chaleur fatale. Ce sont notamment le Fonds Chaleur (178 projets, dont 95 dans l’industrie) et le Fonds décarbonation des procédés et des utilités pour l’industrie (45 projets lauréats) qui ont fourni le plus gros de la valorisation. Le potentiel est encore immense. Il doit être notamment mobilisé pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui prévoit entre 2,5 et 3 TWh de chaleur fatale valorisée dans les réseaux de chaleur urbains. Aujourd’hui, avec 0,5 TWh, on en est encore loin…
Vu les prix élevés du gaz et de l’électricité en ce moment, les industriels ont intérêt à passer à l’acte. Afin de les inciter à accélérer, un renforcement des soutiens existants a déjà été effectué en 2022 (Fonds Chaleur, Décarbonation de l’industrie). Un nouvel appel d’offres nommé Decarb Flash vise particulièrement les entreprises de moins de 500 salariés ayant un projet entre 100 000 et 3 millions d’euros. Il y a urgence, mais les options techniques sont nombreuses, et les professionnels de l’offre et de la demande disposent désormais d’une plate-forme, « Je décarbone », où se retrouver. Il n’y a plus d’excuse pour ne pas valoriser la chaleur fatale.
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