Des chercheurs de l'Ifremer et de l'Université de Lausanne ont développé un nouveau modèle de prédiction de la biodiversité des espèces terrestres et marines qui prend en considération leur potentiel de préadaptation à l'évolution du climat. Dans les zones tropicales, la perte de diversité des espèces terrestres pourrait être moins importante que prévu.
Le rapport du GIEC de 2022 est sans ambiguïté : le climat évolue de manière inévitable et rapide. Dans ce contexte, prédire les réponses des espèces terrestres et marines à ce changement est capital pour limiter la perte future de biodiversité et mettre en place des stratégies de conservation efficaces. Actuellement, les modèles de prédiction traditionnels d’estimation de la diversité des espèces ne prennent pas en considération leur potentiel de préadaptation. Des chercheurs de l’Ifremer et de l’Université de Lausanne ont développé un nouveau modèle qui tient compte de ce phénomène et révèlent que certaines espèces pourraient mieux tolérer le changement climatique que prévu. Leurs travaux sont publiés dans la revue Nature Ecology and Evolution.
Aujourd’hui, les températures sur la terre varient entre environ -70 degrés en Antarctique à +48 degrés à l’équateur, mais ces limites ont de tout temps évolué. Par exemple, il y a 130 000 ans, au cours de la dernière ère interglaciaire, le climat était plus chaud et semblable à celui que l’on pourrait connaître d’ici à la fin du siècle. Les espèces qui ont évolué à cette période pourraient donc être « pré-adaptées » aux changements à venir. Or, jusqu’ici, les modèles statistiques prévoyant la réponse des espèces au changement climatique ne considèrent pas ce potentiel de préadaptation, ce qui pouvait fausser leurs prédictions.
« Prenons l’exemple d’une espèce tropicale marine ou terrestre : les modèles statistiques traditionnels prédisent qu’elle disparaîtra dans les endroits où la température dépassera la limite chaude actuelle de 48 degrés, explique Mathieu Chevalier, chercheur en écologie marine à l’Ifremer. Mais cette vision pourrait être trop restrictive, car notre connaissance est limitée par l’étude des conditions climatiques actuelles. Selon Antoine Guisan, professeur d’écologie spatiale à l’Université de Lausanne : « lorsqu’une espèce est « marquée » par des conditions climatiques, elle garde en effet une préadaptation à ces conditions qui peut perdurer sur des milliers, voire des millions d’années. Si son habitat évolue vers un climat que l’espèce a déjà connu par le passé, cette préadaptation lui offrira alors une tolérance à ces nouvelles conditions climatiques. »
Pour prendre en compte ce facteur, les scientifiques ont développé un nouveau modèle et l’ont appliqué à près de 25 000 espèces terrestres et marines, incluant des animaux et des plantes, et pour lesquelles l’UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature) fournit des cartes de distribution géographiques. Ils ont ensuite croisé ces données avec des scénarios d’évolution future du climat du GIEC et du CMIP (Coupled Model Intercomparison Project : Projet d’intercomparaison de modèles couplés du programme mondial de recherche sur le climat).
Le nouveau modèle prédit une perte de 39 % au lieu de 54 %
Bilan : 49 % de ces espèces vivent actuellement dans des niches climatiques, c’est-à-dire dans des conditions climatiques dans lesquelles l’espèce peut prospérer, et qui sont contiguës (collées) aux limites des conditions climatiques actuelles. Les chercheurs ont également calculé que 86 % d’entre elles pourraient avoir une niche susceptible de s’étendre au-delà des limites climatiques actuelles, un chiffre qui grimpe même à 92 % pour les espèces marines. Le résultat le plus frappant concerne les zones tropicales, puisque le nouveau modèle prédit une diminution de 39 % de la diversité des espèces tropicales terrestres d’ici à 2041-2060, alors que les modèles traditionnels estiment sa disparition à 54 %.
« Notre étude montre qu’il est important d’affiner sans cesse nos modèles, de prendre en compte de nouvelles hypothèses sur la réponse possible de certaines espèces. Si cela vaut pour les espèces tropicales qui pourraient mieux tolérer le changement climatique que prévu, les anciennes estimations restent valides pour les espèces des régions froides, alpines et polaires, et dans une large mesure, pour les espèces des zones tempérées, car le climat qui règne actuellement à ces endroits n’existera plus d’ici à 2041. Ces espèces vivent déjà à la limite de leur niche climatique et ne seront pas en mesure de tolérer des températures significativement plus chaudes. Ça, c’est une certitude ! », prévient Olivier Broennimann, chercheur en écologie spatiale à l’Université de Lausanne.
Même si la perte de diversité des espèces terrestres dans les zones tropicales pourrait être moins importante que prévu, les chercheurs alertent sur le fait qu’elle reste à un niveau très important. De plus, il s’agit d’une estimation et le climat n’est pas la seule variable à prendre en compte pour avoir une prédiction réaliste du risque d’extinction des espèces. Il faut en effet considérer d’autres pressions anthropiques, comme la perte d’habitats, la pollution, la surexploitation ou encore les invasions biologiques.
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