Créée en 2006, l’entreprise iséroise CCB Greentech est parvenue à industrialiser, après pas moins de quinze années de R&D, une technologie vertueuse de construction préfabriquée : TimberROC®. Basée sur un matériau biosourcé aux multiples vertus – le béton de bois –, elle permet de donner vie à des murs et des dalles préfabriqués bénéficiant, entre autres atouts techniques et écologiques, d’un bilan carbone particulièrement favorable.
De l’eau, du ciment, des granulats[1]. Tels sont, depuis des décennies, les trois ingrédients de base d’un matériau ancestral aujourd’hui réputé pour être le plus utilisé au monde : le béton. Il y a un peu moins de vingt ans, deux passionnés du monde de la construction entrevoient toutefois une possibilité nouvelle : remplacer les granulats du béton par… des déchets de bois. Une idée pour le moins surprenante, issue de l’expérience professionnelle de l’un d’eux, comme le retrace Caroline Gérard, directrice marketing et du développement commercial de l’entreprise née de cette intuition, CCB[2] Greentech : « Le président fondateur de l’entreprise, François Cochet, a fait toute sa carrière dans le domaine de l’exploitation forestière. Bûcheron à ses débuts, il a fini par prendre les rênes d’une scierie, Bois du Dauphiné. Il s’est ainsi trouvé confronté à une problématique majeure : celle de la gestion des déchets de cette scierie. En moyenne, ce type de site génère en effet près de 40 % de résidus. Outre celle du bois, sa passion pour la construction l’a amené à échanger avec un autre passionné de ce domaine, Laurent Noca, diplômé de l’École nationale supérieure d’Arts et Métiers. Ils ont ainsi tous les deux décidé d’explorer cette voie d’un béton dans lequel les granulats seraient remplacés par des déchets de bois ».
Quinze ans de R&D
Les deux hommes se lancent ainsi en 2006 dans l’aventure CCB Greentech. Le matériau sur lequel ils travaillent alors n’est, en tant que tel, pas tout à fait nouveau : du béton additionné de bois était déjà utilisé pour la fabrication de murs antibruit érigés en bordure d’autoroutes. Un matériau présentant toutefois un inconvénient majeur : son instabilité dimensionnelle. Pendant pas moins de quinze ans, le duo s’est ainsi attelé à d’importants travaux de R&D, portant tout d’abord sur la formulation de ce futur béton de bois. « Ils ont misé sur la substitution intégrale du sable et des graviers par des déchets de bois. Ils ont pour cela cherché à définir quels types de bois seraient les plus appropriés, quelle granulométrie serait la plus adaptée, et quel dosage ciment-eau-bois donnerait au matériau les meilleures propriétés », explique Caroline Gérard.
Explorant naturellement, en premier lieu, la piste des déchets de scieries, les cofondateurs de CCB Greentech finissent finalement par se tourner vers un autre coproduit de la filière forêt-bois : le bois de trituration. « Il s’agit de coproduits de forêt, et plus précisément de tous les arbres qui n’ont pas les caractéristiques nécessaires pour faire du bois d’œuvre, parce que trop courts, trop courbés, ou présentant trop de nœuds, par exemple », éclaire Caroline Gérard. Des arbres destinés jusqu’alors à la fabrication de pâte à papier ou au bois énergie…
Pour pouvoir en faire du béton, François Cochet et Laurent Noca ont ainsi imaginé un procédé consistant à broyer ce bois de trituration pour en faire un « granulat », ensuite additivé d’un liant minéral, avant d’être mélangé à de l’eau et du ciment pour finalement donner naissance à un béton de bois aux multiples vertus écologiques (lire en encadré ci-dessous). Contenant ainsi plus de 80 % de bois en volume, le matériau se révèle trois fois plus léger[3], à volume égal, que le béton, mais aussi – et surtout – très stable sur le plan dimensionnel.
Outre ce travail de dosage et de formulation, les deux hommes se sont également penchés sur un second pan de leurs travaux de R&D, celui de la mise en œuvre du matériau. « Une fois la formulation mise au point, ils ont cherché à déterminer le principe constructif le plus adapté à la mise en œuvre de ce béton de bois », explique Caroline Gérard. Une approche leur apparaît alors rapidement comme la plus pertinente : la préfabrication. « On n’en parlait pourtant pas beaucoup à l’époque », souligne la directrice marketing.
Visionnaires sur tous les plans, les deux cofondateurs finissent ainsi par aboutir, en 2021, à l’industrialisation de leur solution, qu’ils baptisent alors TimberRoc[4], une technologie protégée par pas moins de dix brevets. « Ils ont, au cours de ces quinze années de R&D, donné naissance à une cinquantaine de réalisations concrètes, qui ont ainsi permis de mettre à l’épreuve le matériau et son principe constructif », note Caroline Gérard.
Une production industrielle
Au cours de cette période, CCB Greentech décroche également, en 2010, un premier avis technique du CSTB[5], préalable indispensable à la mise sur le marché d’un procédé de construction innovant. Un premier aboutissement suivi, à l’issue de la phase d’industrialisation lancée en 2021, de l’obtention par CCB Greentech d’une série « d’ATEx[6] de cas “a”[7] » portant sur les différents principes constructifs développés par l’entreprise : mur porteur à chaînage béton, façade non porteuse ou encore prédalle nervurée[8]. « Notre béton de bois permet aujourd’hui de préfabriquer des murs porteurs jusqu’en R+3, voire R+3+attique[9]. Il peut aussi être utilisé en tant que mur non porteur, en remplissage de structures poteau-poutre béton, et permet dans ce cas de monter jusqu’en R+10. C’est l’un de ses gros avantages par rapport à d’autres matériaux biosourcés. Quant aux prédalles nervurées, dont l’ATEx est en cours d’obtention, leur portée pourra atteindre 7 m », fait valoir Caroline Gérard, qui souligne au passage un autre avantage technique majeur de cette préfabrication : sa résistance au feu.
Pour assurer la production de l’ensemble de ces éléments préfabriqués, CCB Greentech a concédé à deux industriels partenaires une licence d’exploitation de sa technologie TimberROC® : Spurgin Leonhart – spécialiste alsacien de la préfabrication-béton, qui dispose notamment d’une usine dédiée au béton de bois implantée à La-Roque-d’Anthéron dans les Bouches-du-Rhône, et compte en ouvrir une seconde en mai prochain dans la région de Chartres – et R-Technologies, entreprise haut-savoyarde, filiale du groupe Cheminal, qui rayonne sur toute la région Auvergne-Rhône-Alpes. « Notre objectif est de multiplier les partenariats de ce type pour mettre en place un maillage national de préfabricants d’ici 5 ans », dévoile Caroline Gérard.
Des préfabricants à qui CCB Greentech fournit cette matière première qu’est le granulat de bois additivé qu’elle produit – à partir de bois issu uniquement de forêts françaises et majoritairement d’exploitants certifiés PEFC – dans une usine de 2 000 m2 implantée sur son site de Beaurepaire, en Isère, ex-friche industrielle de 5 ha reconvertie entre 2021 et 2022 par l’entreprise. « Nous disposons pour l’heure d’une capacité de production annuelle permettant la préfabrication d’un million de m2 de murs », précise la directrice du Marketing et du développement commercial de l’entreprise qui dispose également, sur ce même site, d’une seconde usine – pilote quant à elle – implantée sur 12 000 m2 aux côtés d’un showroom et de démonstrateurs à taille réelle.
De quoi accompagner la montée en puissance vécue ces derniers mois par l’entreprise iséroise, visiblement pas prête de s’essouffler… Comme le souligne en effet finalement Caroline Gérard, « avec plus d’une quarantaine de projets dans les tuyaux, nous connaissons aujourd’hui une véritable accélération ». Comptant pour l’heure 14 salariés, la PME compte à terme recruter pas moins de 48 personnes sur son site isérois de Beaurepaire, et table sur une croissance de son chiffre d’affaires de 1,5 M€ en 2023 à 27,95 M€ d’ici à 2026.
Le béton de bois : un matériau aux multiples vertus
Composé à 80 % de bois en volume, le béton de bois TimberROC® développé par CCB Greentech bénéficie ainsi, en premier lieu, d’un bilan carbone particulièrement favorable, très « négatif », au sens où il permet de stocker bien plus de carbone qu’il n’en émet dans l’atmosphère tout au long de son cycle de vie. « Ce bilan carbone est attesté par cinq FDES pour chacun de nos principes constructifs, réalisées par un laboratoire indépendant », souligne Caroline Gérard. « Une tonne de bois stocke environ 1,8 tonne de CO₂. Du carbone qui n’est à aucun moment relargué une fois encapsulé dans la matrice cimentaire de notre matériau », ajoute-t-elle. De quoi offrir aux projets de construction une forme de « crédit carbone » dès leur lancement…
Hormis ce point central, le TimberROC® de CCB Greentech présente également des performances thermiques remarquables : un R de 1,9 pour une épaisseur de 30 cm, un taux d’amortissement thermique maximum de 98 % et un déphasage thermique de 17 h sur un mur brut de cette même épaisseur. « Notre béton de bois se distingue également sur le plan hygrothermique grâce à sa perspirance[10] élevée », ajoute la directrice marketing. De quoi offrir aux occupants d’un bâtiment en béton de bois un confort « hors-norme », selon l’entreprise.
Imputrescible et insensible aux attaques d’insectes xylophages, le béton de bois est aussi résistant au feu et très stable sur le plan dimensionnel, avec une variation inférieure à 1 mm par mètre linéaire entre états extrêmes.
Enfin côté coûts, CCB Greentech avance un prix de l’ordre de 180 à 200 € par m² pour un mur brut livré et posé. « Si l’on prend en compte un projet dans son ensemble, avec un accent mis sur l’écoconception, l’utilisation de notre béton de bois n’entraîne un surcoût que de 2 à 5 % environ », assure Caroline Gérard, qui met en avant trois grands facteurs pour expliquer cela, à commencer par le faible poids du matériau : trois fois moins dense que le béton, il autorise en effet la mise en place de fondations plus légères elles aussi et donc moins coûteuses. « Nos principes de construction permettent également de se passer, dans 90 % des cas, de rupteurs de pont thermiques », ajoute la directrice marketing, avant de dévoiler le troisième et ultime argument en matière de coût du matériau : son bilan carbone particulièrement négatif évoqué plus haut, qui permet ainsi à lui seul de répondre aux exigences du RE2020, sans avoir à recourir à d’autres matériaux biosourcés. Une autre source potentielle d’économies, conjuguées ainsi, en outre, à l’écologie.
- [1] Fragments minéraux de nature et taille variées, cf. en détail.
- [2] Carbon Capture Buildings.
- [3] Sa masse volumique est de 800 kg/m3.
- [4] La technologie TimberROC® est constituée par le matériau béton de bois et ses différents principes constructifs de préfabrication.
- [5] Centre scientifique et technique du bâtiment.
- [6] Appréciation Technique d’Expérimentation : procédure rapide d’évaluation technique formulée par un groupe d’experts sur tout produit ou procédé innovant. Cette évaluation permet des premiers retours d’expérience sur la mise en œuvre de produits ou procédés en préalable à un Avis Technique (source).
- [7] L’ATEx de cas « a » vise un produit ou un procédé appliqué sur différents chantiers pendant une durée limitée déterminée (source).
- [8] ATEx de cas « a » attendu pour le 2d trimestre de cette année.
- [9] Niveau supérieur d’un bâtiment, de dimensions réduites par rapport aux autres étages, délimité par une corniche (source).
- [10] Coefficient de résistance à la diffusion de vapeur d’eau (μ) de 10, contre 80 à 130 par exemple pour le béton armé conventionnel (source).
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