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Catherine Viale : « L’évolution du domaine de la gestion des déchets est une opportunité dont nous devons nous saisir »

Posté le par Catherine VIALE dans Environnement

La gestion des déchets, dans un contexte environnemental toujours plus mis à mal, est un sujet crucial pour la protection des hommes et de nos sociétés. Les freins à une gestion efficace de nos produits en fin de vie sont pourtant nombreux. Catherine Viale, auteure pour les Techniques de l’Ingénieur, revient sur les nombreux défis, mais aussi les possibilités qu’offre ce secteur en pleine mutation.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre expertise dans le domaine de la gestion des déchets ?

Catherine Viale : Je conseille, depuis une trentaine d’années, les entreprises dans leur gouvernance et leurs pratiques, pour répondre au mieux à leurs enjeux environnementaux, à travers la certification de leurs systèmes de management environnemental selon la norme ISO14001. J’interviens plus particulièrement sur la prévention et l’optimisation de la gestion de leurs déchets.

Mon expertise dans ce domaine s’est nourrie de divers travaux pour les organismes publics, allant de la validation de la méthodologie des « Études déchets » portée par le ministère de l’Environnement – qui préfigurait les démarches de transition vers l’économie circulaire aujourd’hui normalisées –, à l’accompagnement ciblé des PME pour la prévention des déchets lors de l’opération pilote « 50 €ntreprises témoins » lancée par l’ADEME.

J’ai acquis, au fil des années, une bonne connaissance des métiers du déchet grâce à mon poste de responsable QSE (Qualité Sécurité Environnement) au sein d’une PME spécialisée dans la valorisation agronomique de boues industrielles et aux nombreuses missions d’audits qui me sont confiées, dans le cadre de démarches de conformité réglementaire ou de certification.

Mon approche des problématiques associées aux déchets des activités économiques bénéficie aujourd’hui d’un regard transverse, nourri par mon rôle de formatrice et modératrice du réseau A3P © (Animateurs de Plans et Programmes de Prévention des déchets ménagers et assimilés) auprès des collectivités pionnières, porté pendant dix ans par l’ADEME.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux actuels liés à la gestion des déchets, notamment au niveau local et global ? Quels sont les défis majeurs à venir ?

On assiste à une prise de conscience, dans les pays occidentaux, de la relation mécanique entre, d’une part, l’augmentation de la production et de la consommation de biens transformés, d’autre part l’explosion de la production de déchets de plus en plus complexes. En effet, quel que soit le traitement choisi, il sera générateur de pollutions et de gaz à effet de serre, car il intervient toujours en bout de chaîne.

Cependant, cette réflexion reste contrebalancée par le phénomène communément appelé « NIMBY » (not in my backyard). Celui-ci se traduit, aussi bien pour le citoyen que pour nombre de décideurs, par un double rejet : celui de la proximité avec des activités de traitement potentiellement polluantes et celui de leur juste rémunération pourtant nécessaire pour limiter leurs impacts sur l’eau, l’air, la santé et bien sûr le climat.

La réglementation pèse aujourd’hui fortement sur les installations d’incinération et de stockage de déchets, notamment en raison de la présence de polluants de plus en plus persistants et résistants dans les produits de consommation courante, comme les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées appelés « polluants éternels »). C’est un exemple frappant de la difficulté à faire bouger les lignes en amont, puisqu’il s’agirait de remettre en question l’ensemble du modèle économique linéaire persistant, lequel définit encore aujourd’hui le développement de nombreux pays.

Cette difficulté est en outre accentuée par la croyance tenace selon laquelle le recyclage des déchets serait générateur de revenus pour celui qui « vendra » le produit qui en est issu. Ce raisonnement est d’ailleurs marqué par la méconnaissance totale des coûts d’exploitation et de la main-d’œuvre nécessaires afin d’assurer la qualité et l’innocuité du résultat, tant en termes d’environnement que de santé.

Ainsi je vois deux défis majeurs à relever à l’échelle planétaire, car le choix des solutions de traitement (incinération, enfouissement, recyclage, compostage) doit être adapté aux contextes locaux et respecter les normes environnementales.

En premier lieu, une coopération renforcée entre les États est indispensable, car la gestion des déchets est une problématique transfrontalière. Dans cette optique, la France doit assumer son rôle de prescripteur en jouant le jeu de la multiplication et de la relocalisation des filières de valorisation sur son territoire. Elle doit également encourager les financements nécessaires afin de limiter notre dépendance aux pays tiers vers lesquels nous exportons beaucoup de déchets « recyclables » à bas prix et dans des conditions souvent indignes, aussi bien au niveau environnemental qu’humain.

L’autre défi reste le changement durable et profond des comportements des acteurs publics, privés et citoyens, dans le cadre de politiques globales et intégrées incitant à plus de « sobriété ». Cette sobriété permettrait mécaniquement de « prévenir » la production de déchets et, ainsi, d’anticiper la pénurie annoncée des installations de stockage autorisées qui arrivent à saturation, une variable d’ajustement encore très utilisée pour l’élimination de nombreux déchets, qu’ils soient dangereux ou non.

Comment définiriez-vous l’économie circulaire et en quoi est-elle étroitement liée à la gestion des déchets ?

L’économie circulaire (EC) s’oppose à l’économie linéaire qui inclut le « jeter » dans son modèle comme une fatalité. L’EC se traduit par l’incitation de tous les acteurs, de la production et de la consommation, à devenir un maillon d’une boucle continue où les produits seraient conçus pour être utilisés, réutilisés et recyclés.

Le lien avec la gestion des déchets reste étroit. En effet, si l’économie circulaire met l’accent sur la prévention des déchets plutôt que sur leur traitement, elle envisage leur gestion comme un élément clé de la création de valeur afin de « boucler la boucle ». Ce processus passe par la transformation des déchets en ressources et l’intégration facilitée de cette dernière étape dès la conception de produits durables et recyclables.

Le recyclage joue un rôle clé dans la gestion des déchets. Quels progrès ont été réalisés dans ce domaine, et quelles sont les limites actuelles à surmonter ?

Depuis les années 90, les réglementations européennes tendent à coordonner les acteurs de la chaîne de gestion et à favoriser le recyclage par rapport à l’élimination. Elles imposent des objectifs de collecte et de recyclage déclinés dans chaque pays, soit par matériau, soit par secteur. Le tri sélectif est devenu une pratique courante, aussi bien pour les citoyens que pour les entreprises. Par ailleurs, les avancées technologiques ont permis de développer des solutions innovantes à l’échelle industrielle, qui permettent par exemple d’utiliser l’intelligence artificielle pour le tri optique des emballages. Ces progrès ont également contribué à réintroduire nombre de matériaux plastiques dans la chaîne de fabrication de tissus « techniques », ou encore à assurer la conversion des résidus de tri en combustibles de substitution.

Cependant, les résultats restent en deçà des attentes. En effet, la complexité croissante des matières premières et l’insertion de nombreux composés électroniques dans les produits de consommation courante rendent le tri et le recyclage toujours plus difficiles et coûteux. De plus, on observe un manque de débouchés pour beaucoup de matériaux recyclés, notamment pour des raisons de qualité, de méconnaissance, de manque de confiance dans leur robustesse et surtout de prix comparé aux produits « neufs ».

Tous ces freins s’opposent à l’organisation homogène et pérenne de chaînes de recyclage à l’échelle mondiale. Ils se traduisent par un manque d’investissements dans des infrastructures adaptées et des chaînes logistiques efficaces et locales. Ils conduisent également à la fermeture de centres de tri et d’usines qui pratiquaient le recyclage, compte tenu d’un manque de compétitivité par rapport aux produits issus de ressources « naturelles » extraites et transformées à bas coût dans des pays peu respectueux des droits de l’homme et de l’environnement.

Quelles sont les réglementations ou incitations en vigueur pour encourager une meilleure gestion des déchets ? Sont-elles suffisantes ?

Depuis les années 2000, plusieurs règlements, directives et lois ont fait évoluer les balises et les objectifs de la gestion des déchets pour professionnaliser le secteur, limiter ses impacts négatifs sur l’environnement et la santé et faire évoluer les différentes filières de traitements. Le « Paquet économie circulaire » européen de 2008 fixe des objectifs ambitieux en matière de collecte de produits en fin de vie pour leur valorisation et de limite au recours à l’enfouissement.

En France, la loi sur la transition énergétique et la croissance verte (LTECV), parue en 2015, a défini la hiérarchisation des modes de traitement et introduit la prévention des déchets en préalable à toute recherche d’amélioration de la gestion d’un déchet, selon le leitmotiv « le meilleur déchet est celui que l‘on ne produit pas ».

La variété des points d’accroche de la loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire (LAGEC), adoptée en 2020, constitue un tournant majeur dans la gestion des déchets. En effet, elle harmonise enfin les objectifs et les règles applicables aux déchets ménagers et industriels, en imposant le tri « performant » pour tous au service de la production de matière et d’énergie comme point d’ancrage de la gestion des déchets.

Notons cependant qu’il a fallu attendre la sortie de la crise du COVID pour que ces principes puissent enfin se traduire par une série de mesures concrètes. Celles-ci visent à responsabiliser chaque acteur de notre société de (sur)consommation (citoyens et entreprises, acteurs privés et publics, économie sociale et solidaire) en matière de réduction du gaspillage, lutte contre l’obsolescence programmée, sortie du plastique jetable, développement des potentiels de réduction, réutilisation et/ou réparation et j’en passe.

Reste à faire adhérer et accompagner tous les acteurs concernés auxquels ce changement de paradigme demande un effort, qu’il soit technique, comportemental ou financier. Les chiffres clés du tri, de la production et du recyclage en France, publiés chaque année par l’ADEME, démontrent qu’il y a encore du chemin à faire pour atteindre les objectifs attendus.

La Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) est de plus en plus évoquée. Pouvez-vous expliquer en quoi elle consiste et pourquoi elle est importante ?

Ce principe, apparu dans les années 90 au niveau européen, impose aux producteurs, importateurs et distributeurs de nombreux produits (emballages, équipements électriques et électroniques, matériaux de construction, piles, etc.) de participer activement à la réduction des déchets issus des produits qu’ils mettent sur le marché. Cela inclut l’écoconception, la consigne, le soutien au réemploi et à la réparation, mais également le financement de structures de collecte et de transformation des déchets pour assurer le meilleur traitement possible, dans le respect de l’environnement et de la santé.

En 2025, on compte 19 filières REP, majoritairement pilotées par des éco-organismes à but non lucratif. Ils sont chargés par leurs adhérents (producteurs concernés par une famille de produits réglementée) de développer et mutualiser les moyens nécessaires pour répondre aux exigences de la réglementation en matière de prévention, information, collecte et valorisation des produits en fin de vie. Ils doivent également rendre compte aux pouvoirs publics des résultats conjugués de tous ces efforts.

La REP est le meilleur moyen de sensibiliser tous les métiers – de la conception à la distribution d’un produit – aux enjeux environnementaux associés aux étapes de production, de logistique et d’utilisation, en les rendant responsables de la « bonne » gestion dudit produit tout au long de son cycle de vie, notamment lorsqu’il arrive à la fin.

Quels conseils donneriez-vous à un étudiant ou ingénieur désirant s’orienter dans le domaine de la gestion des déchets ?

En premier lieu, je pense qu’il faut identifier ses motivations, en fonction de sa sensibilité aux aspects environnementaux et sociaux, nombreux et complexes, du secteur. Gaspillage de ressources naturelles, atteinte aux écosystèmes, émergence de nouvelles maladies, développement des incivilités, dégradation du cadre de vie, conditions de travail indignes, exploitation des inégalités, favorisation des trafics sont quelques-uns de ces aspects.

Ensuite, on s’orientera vers tel ou tel métier selon son appétence pour les procédés industriels, la recherche, la logistique, la gestion de projet, la planification, la communication.

Ce secteur aux nombreuses facettes et en constante mutation est porteur de nombreux défis et opportunités offertes aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Il intéresse ainsi de grands groupes leaders du marché, des sociétés à l’ancrage local, des bureaux d’études spécialisés dans l’optimisation du management environnemental, des collectivités, l’économie sociale et solidaire…

Que vous apporte la collaboration avec Techniques de l’Ingénieur ?

De formation d’ingénieure en Génie des Procédés Industriels à l’INSA de Toulouse (Institut National des Sciences Appliquées), j’ai toujours considéré les Techniques de l’Ingénieur comme une ressource documentaire technique et scientifique de référence, voire « incontournable » pour les étudiants et les professionnels de l’ingénierie et de la recherche en France.

Publier dans cette institution renommée que sont les Techniques de l’ingénieur représente pour moi un honneur rendu à mon expertise dans le domaine de la prévention et de la gestion des déchets qui me passionne depuis tant d’années. C’est aussi et surtout l’occasion de partager mes connaissances et mon retour d’expérience avec un public plus ou moins averti de professionnels et d’étudiants qui, je l’espère, trouveront matière à réflexion en lisant mes articles. Peut-être auront-ils envie d’aller plus loin par le dialogue ainsi enclenché.

Les contributions de Catherine Viale aux Techniques de l’Ingénieur

Catherine Viale collabore avec Techniques de l’Ingénieur en tant qu’auteur dans l’offre « Environnement » depuis une douzaine d’années.

Ses domaines d’expertise portent sur la gestion des déchets et leur valorisation économique, dans le cadre d’une démarche de développement durable.

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Articles
– G250 Enjeux et repères de la gestion des déchets pour une activité économique

– G251 Principes de la gestion opérationnelle des déchets d’une activité économique

Pour aller plus loin

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