Jusqu’ici, les gestionnaires de milieux aquatiques avaient le choix entre deux solutions pour suivre le recouvrement des herbiers dans l’eau. Équiper des avions ou des drones de capteurs aéroportés afin de photographier les cours d’eau, puis demander à un opérateur de dessiner manuellement les contours des herbiers sur les relevés photographiques. Ou alors, se déplacer sur le terrain afin de réaliser les observations directement sur place. Des chercheurs du laboratoire d’Écologie Fonctionnelle et Environnement (Université de Toulouse, CNRS) et leurs collègues de la société Adict Solutions, du G.E.T. (Toulouse) et de DYNAFOR (Université de Toulouse, INRAE) ont réussi à cartographier automatiquement les plantes aquatiques grâce à des images satellites à très haute résolution spatiale associées à des algorithmes d’apprentissage automatique. Ces travaux viennent d’être publiés dans la revue Water Research.
Pour parvenir à ce résultat, les scientifiques ont utilisé les données des satellites Pléiades, conçus par le CNES (Centre national d’étude spatiale), et qui fournissent des images avec une résolution 50 cm. Et pour paramétrer l’algorithme d’intelligence artificielle, ils ont réalisé des relevés de végétation sur un site de la Garonne. « Nous avons disposé 60 placettes d’échantillonnage de trois mètres de côté sur le cours d’eau afin de mesurer le niveau de recouvrement des herbiers. Nous ne savions pas quelle était la surface pertinente pour réaliser les mesures. Alors, nous avons divisé ces placettes en quatre, puis encore en quatre », explique Arnaud Elger, maître de conférences à l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et responsable de l’équipe Écotoxicologie intégrative au Laboratoire d’Écologie Fonctionnelle et Environnement.
Utiliser un algorithme de régression linéaire
Ces mesures de végétation observées sur le terrain ont été données à l’algorithme, qui a appris à les associer aux caractéristiques spectrales des pixels sur les images satellites. Au final, sur les 880 placettes d’échantillonnage, seuls 100 à 200 ont été suffisantes pour paramétrer l’algorithme. L’application QGIS, un système d’information géographique en open-source, a été utilisée pour visualiser et analyser les données géospatiales. Tandis que le logiciel R, lui aussi en accès libre, a permis le traitement des données. Les chercheurs ont fait le choix d’utiliser un algorithme de régression linéaire qui, grâce aux informations obtenues à partir de chaque pixel présent sur les images satellitaires, est capable de prédire une valeur quantitative d’abondance de végétation. « Nous avons préféré utiliser cet algorithme qui nous permet d’obtenir un taux de recouvrement des plantes plutôt qu’utiliser un algorithme de classification, qui ne donne pas une valeur chiffrée mais une classe comprise par exemple entre 0 et 25%, puis entre 25 et 50%, etc. », ajoute le chercheur.
L’étude démontre que l’algorithme est capable d’estimer la biomasse totale de la végétation aquatique avec une marge d’erreur de 20 % en moyenne. Un chiffre qui peut paraître important, mais à l’échelle d’un tronçon de rivière, certaines erreurs s’annulent entre elles et au final la marge d’erreur se limite à 11 %. « La précision est moins importante que l’observation sur le terrain mais notre système présente l’avantage d’être capable de couvrir de très grandes surfaces de manière automatisée, analyse Arnaud Elger. Les gestionnaires de milieux aquatiques ont besoin de faire la différence entre des zones où il n’y a pas d’herbiers et celles où ils sont présents en abondance. Ils n’ont pas besoin de connaître très précisément le taux de couverture végétale ». Pour les chercheurs à présent, toute la difficulté est de réussir à faire fonctionner l’algorithme sur d’autres images que le site expérimenté ou alors à des dates futures. Car en milieu fluvial, les conditions de profondeur et de turbidité de l’eau varient beaucoup au cours du temps. En quelques jours, de fortes pluies peuvent faire remonter le niveau de l’eau et modifier fortement la réponse spectrale des images captées depuis l’espace. « Nous souhaitons donc coupler notre approche avec un modèle physique qui va corriger le signal du spectre des images en fonction de la profondeur de l’eau et sa turbidité, ceci afin d’évaluer de manière optimale la présence des herbiers. Il s’agit là d’une perspective de travail. »
Une prolifération excessive d’herbiers en milieux fluviaux
Rappelons que les herbiers représentent un maillon important des écosystèmes aquatiques, servant à la fois d’abri, de sources de nourriture, et de support de ponte pour de nombreux organismes. Ils contribuent également à maintenir une eau limpide en piégeant les sédiments fins. Par contre, les gestionnaires de milieux aquatiques sont souvent confrontés à leur prolifération excessive dans les milieux fluviaux.
Des mesures d’arrachage de ces plantes sont alors prises par des moyens mécanisés sur des barges ou alors de manière artisanale par des personnes, les pieds dans l’eau. Le développement excessif de ces herbiers peut en effet gêner certaines activités humaines récréatives telles que l’aviron, le kayak ou la baignade. « Dans certains cas extrêmes, il peut aussi provoquer des problèmes sur des ouvrages de production électrique, alerte Arnaud Elger. En 2009 par exemple, un arrachage massif d’herbiers occasionné par un épisode de crue a provoqué un colmatage et entraîné une insuffisance d’alimentation en eau de la centrale nucléaire de Cruas. Il y a donc un réel besoin de suivre régulièrement l’évolution de ces plantes dans l’eau. »
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