Créée en 2021 à l’initiative de deux entreprises, Fermentalg et Suez, CarbonWorks est ainsi le fruit de leurs savoir-faire industriels respectifs. La jeune société s’attelle au développement de photobioréacteurs permettant d’apporter de manière optimale aux microalgues les photons dont elles ont besoin, au bon moment, de la bonne manière, avec le bon spectre, sans pour autant les inhiber. Après avoir installé un premier démonstrateur en septembre dernier à Cestas, en Gironde, CarbonWorks a annoncé le 1er mars 2022 une levée de fonds de 11 millions d’euros, qui va notamment lui permettre de poursuivre son parcours vers une phase d’industrialisation dont le lancement pourrait avoir lieu en 2024, comme le prévoit le Président de l’entreprise, Guillaume Charpy.
Techniques de l’Ingénieur : Comment CarbonWorks a-t-elle vu le jour ?
Guillaume Charpy : Le projet remonte à 2015 et résulte de la collaboration entre deux entreprises, à savoir, Fermentalg, société spécialisée dans les techniques de fermentation de microalgues, et Suez, que je présenterais dans ce cadre comme un « acteur de l’évolution de la ville ». Cette collaboration a débuté sur la base d’une question : comment les microalgues peuvent-elles être utilisées de manière à dépolluer la ville ? La réalisation la plus emblématique est celle qui a été faite carrefour Alésia à Paris en 2017. Il s’agissait d’une colonne Morris, dont l’objet était de capter l’air ambiant de cette place et de le dépolluer à l’aide des microalgues. On parlait alors de capture de pollution au sens large, et non pas spécifiquement de CO2. Suez a ensuite poursuivi ses recherches avec l’appui de Fermentalg et les deux entreprises ont fini par se demander si, au fond, il ne pouvait pas y avoir autre chose. C’est cet « autre chose » qui est à l’origine de la création de CarbonWorks : non plus la capture de pollution, mais la capture de CO2. Une orientation s’est fait jour assez rapidement, celle de la capture de gros volumes, sans laquelle cette brique ne pourrait constituer une solution viable pour lutter contre le changement climatique. La réflexion s’est donc axée sur les quantités de CO2 que peuvent capturer les microalgues photosynthétiques, et la façon d’intensifier cette capture. Autrement dit, quelle rupture, quelle révolution technologique doit-on apporter pour permettre une capture digne de ce nom, capable de piéger des volumes de CO2 très importants ? CarbonWorks a ainsi été créée au mois de juillet 2021, en héritant de l’ensemble des travaux menés précédemment par Suez et Fermentalg, et de la propriété industrielle qui en a résulté.
Quelles ont été les principales étapes qui vous ont menés au développement de cette technologie de capture de CO2 ?
Durant les cinq années de développement conjoint, un certain nombre de systèmes différents ont été construits et testés. On appelait cela, à l’époque, des puits de carbone, mais lors de la création de CarbonWorks, nous avons tout de suite abandonné ce terme. Nous ne sommes en effet pas dans l’idée d’un « puits de carbone », mais plutôt dans la « CCU¹ » : le captage et la valorisation du carbone, qui n’est en aucun cas de la séquestration, à laquelle s’attache beaucoup plus un puits de carbone. Au-delà de ces aspects sémantiques, qui ont leur importance, nous avons axé nos développements technologiques autour de la compacité de nos installations – que l’on appelle photobioréacteurs – ainsi que de leur productivité élevée, obtenue grâce à une maîtrise aussi précise que possible de la lumière. La réaction de photosynthèse dépend en effet de l’énergie photonique. Tout l’enjeu consiste donc à apporter à la microalgue les photons dont elle a besoin, au bon moment, de la bonne manière, avec le bon spectre, sans pour autant l’inhiber, et le tout sans perte de photons, afin d’obtenir une très bonne productivité des microalgues et une maîtrise aussi parfaite que possible de la consommation d’énergie. Tous nos travaux tournent autour de cette question de la distribution et de la diffusion de la lumière, ainsi que de l’accès de l’algue à cette lumière.
Hormis ce travail autour de la lumière, les algues en tant que telles ont-elles également fait l’objet de travaux de R&D ?
Oui, mais avec une approche très différente de celle que je viens d’exposer… Bien sûr, toutes les algues photosynthétiques sont capables de capturer du carbone. Mais la capture du carbone ne fait pas tout, il faut également avoir un modèle économique qui permette de faire de cette capture quelque chose de robuste. La question qui se pose est donc la suivante : que fait-on de la microalgue une fois qu’on l’a produite ? La réponse que nous y avons apportée a consisté à choisir telle ou telle microalgue de manière à répondre aux besoins des industriels en matières premières naturelles, afin de fournir à ces industriels de la matière première produite à partir des microalgues. Le choix de la microalgue est donc moins lié à une performance accrue de capture de carbone qu’à une performance accrue du modèle économique qui est lié à cette capture. Les capacités de capture ne sont, certes, pas toujours comparables. Nous avons donc réalisé des travaux consistant à accroître la capacité des microalgues à capturer le carbone, mais ceci à partir d’une souche qui réponde à une problématique en aval.
Comment ces microalgues sont-elles mises en contact de manière optimale avec la lumière ? À quoi le « photobioréacteur » que vous évoquez ressemble-t-il ?
Il faut l’imaginer comme un bassin fermé, dans lequel on place la souche de microalgue que l’on cherche à développer, et dans lequel on apporte le CO2 que l’on cherche à capturer, en sortie d’émission de l’industrie. On va « brancher un tuyau » pour apporter directement ces émissions dans le bassin que je viens de décrire. Les microalgues vont ainsi faire leur travail de photosynthèse et donc capturer le carbone pour croître et se multiplier. Elles vont rejeter l’oxygène dans l’atmosphère et « faire ce qu’elles savent faire » si je puis dire. C’est-à-dire produire la molécule qu’elles savent parfaitement synthétiser. Plus l’algue se développe et se reproduit, plus elle est en capacité de produire la molécule d’intérêt, outre la capture de CO2 qu’elle réalise. Hormis le CO2, nous apportons évidemment de la lumière artificielle dans ce bassin fermé, sur toute sa profondeur. C’est la grande différence avec les systèmes de culture extensive de microalgues, qui sont généralement éclairés directement par le soleil. La réaction de photosynthèse a donc essentiellement lieu à la surface ; la lumière du soleil ne peut pas pénétrer profondément.
Avez-vous développé un modèle de photobioréacteur standard, ou des paramètres tels que ses dimensions restent-ils à définir ?
Tout cela est effectivement en cours d’élaboration, il y a un grand nombre de paramètres à prendre en compte. Nous avons pour l’instant un démonstrateur qui fait 10 m³, qui reproduit fidèlement ce que nous souhaitons réaliser à grande échelle, mais il n’est pas du tout évident que la dimension de référence de ce démonstrateur soit celle du bassin sous sa forme ultime. Ce sont des éléments en constante évolution.
Une fois produites par les algues, comment les molécules d’intérêt pourront-elles être récupérées ?
Nous sommes spécialistes des microalgues, en revanche, nous ne développons pas les applicatifs. Nous sommes donc en partenariat avec des entreprises intéressées par les matières premières naturelles que nous pourrons leur apporter. Nous irons ainsi plus ou moins loin dans le traitement de la biomasse de façon à répondre à leurs besoins. Nous avons par exemple conclu un partenariat avec l’entreprise Immunrise, qui produit un fongicide combattant notamment le mildiou. On n’a, dans ce cas, pas besoin de traiter la biomasse : on la récolte au fur et à mesure de sa production, et cette biomasse est ensuite tout simplement conditionnée par la société Immunrise, sans extraction de la molécule. La molécule s’exprime naturellement à partir de la biomasse que nous fournissons. Il s’agit donc dans ce cas-là tout simplement d’une récolte. Dans d’autres cas de figure, nous pourrions être amenés à faire ce que l’on appelle un DSP, ou « downstream processing », qui consiste, une fois la biomasse récoltée, à extraire la molécule d’intérêt. Il n’y a dans ce cas pas un procédé unique, mais mille procédés qui dépendent de l’algue produite et du produit fini attendu : de sa nature, mais aussi de sa forme, de son conditionnement, de sa concentration… Nous nous définissons comme fournisseurs d’une plate-forme technologique de capture de CO2 et de production de matières premières, mais aussi comme des spécialistes de la production de biomasse, et de l’extraction de ces molécules d’intérêt. En revanche, nous ne nous consacrons pas à l’applicatif. Nous produisons pour le compte d’autres entreprises spécialisées dans diverses applications.
Vous avez mis en place un démonstrateur d’un volume de 10 m³. Quels sont ses capacités de capture et les objectifs visés avec cette installation ?
Ses capacités de capture de CO2 sont infimes, elles ne sont pas significatives. Nous n’en sommes pas encore au stade de notre mission ultime, qui est de capturer des volumes importants de CO2. Nous en sommes au stade des tests technologiques. Tout l’objet du démonstrateur est là : tester la technologie pour être capables de monter en échelle.
Après la réalisation, il y a peu d’une levée de fonds de 11 millions d’euros, quelles prochaines étapes espérez-vous franchir ?
Nous sommes très heureux du tour de table mené conjointement par BNP Paribas, Bpifrance, Demeter Investment Managers via son fonds Agrinnovation et Aquiti Gestion via NACO en association avec la région Nouvelle-Aquitaine. Cela nous donne en effet accès, en plus de nos fondateurs Fermentalg et Suez, à des ressources, des compétences, à un réseau, ce qui est très important pour nous. Nous visons en effet essentiellement deux choses. La première que j’ai mentionnée est de poursuivre notre travail sur cette plate-forme technologique dans une perspective de montée en échelle, ce qui suppose la résolution de mille difficultés, l’industrialisation de nos équipements… Le deuxième point concerne le développement de partenariats avec des industriels en aval de nos productions afin de rendre la capture de carbone effective dès que nous monterons en échelle. Nous avons certes besoin de l’amont – des émetteurs de CO2, qui sont pléthoriques – mais également de l’aval, c’est-à-dire d’utilisateurs de matières premières naturelles. Nous développons donc ces partenariats de manière à avoir matière à capter du CO2.
Vous prévoyez ainsi le développement d’une unité semi-industrielle pour 2023. Quelles seront ses évolutions par rapport au démonstrateur actuel ?
Nous visons deux évolutions principales. La première, une croissance en volume ; on sera à plusieurs dizaines de mètres cubes. Le deuxième élément consistera en une approche beaucoup plus développée des différentes briques technologiques. Nous allons améliorer ces éléments en matière de performances, de fonctionnalités ou encore de sobriété.
Cette unité semi-industrielle augurera-t-elle de la forme finale que prendraient de futures usines ?
J’ai le sentiment, même si l’on découvre évidemment les choses à mesure qu’elles se dévoilent sous nos yeux, qu’avec cette unité de taille semi-industrielle nous aurons effectivement l’essentiel. Il y aura, certes, une montée en échelle et une industrialisation de nos équipements, mais une future usine ressemblera fortement à ce que nous réaliserons sur cette unité semi-industrielle.
Quelles sont vos ambitions en matière d’industrialisation ?
Nous nous projetons en tant que concepteur, constructeur et exploitant, pour le compte de tiers. Nous pourrions, avec cette approche, multiplier les unités de production de manière assez massive, ce qui est notre objectif, afin de parvenir à une capture massive de carbone. La dissémination est donc à nos yeux quelque chose de tout à fait essentiel. Et nous souhaitons qu’elle se produise pour le compte de tous les industriels intéressés par ces matières premières naturelles que nous pourrons leur fournir. Le développement de partenariats nous semble donc absolument essentiel : si nous avons, in fine, dix, vingt ou trente industriels intéressés, nous serons en mesure de disséminer autant d’unités industrielles, voire plus encore en fonction des volumes demandés ; et ce chez tous les émetteurs de CO2. Notre objectif est de démarrer nos travaux à l’échelle industrielle en 2024. La dissémination pourrait donc démarrer, probablement, en 2025. Nous croisons en tout cas les doigts ! Face au changement climatique, ce ne doit pas être la seule solution, mais cela peut en tout cas constituer une partie de la réponse.
(1) Carbon Capture & Utilisation
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