Voilà des mois que le Brésil vit au rythme d’un feuilleton judiciaire digne des meilleures telenovelas. Partie d’un scandale de corruption au sein de Petrobras, la compagnie pétrolière nationale, l’affaire a enflé avec la multiplication des révélations, créant une défiance grandissante de la population envers les élites brésiliennes. C’est désormais la Présidente Dilma Rousseff qui pourrait être destituée. Et ce, alors que les « Panama Papers » mettent directement en cause Eduardo Cuhna, président de la Chambre brésilienne des députés, et instigateur de la procédure de destitution présidentielle. La crise politique est totale.
L’affaire Petrobras a été révélée en 2014. D’abord vue comme un scandale classique de corruption, l’affaire s’avère beaucoup plus étendue. Les investigations de la Justice, appuyée par la police fédérale, mettent à jour un vaste système entre, d’une part, la compagnie Petrobras en pleine expansion pour exploiter ses découvertes en offshore (les gisements de Pre-salt notamment), et d’autre part les grands groupes de construction brésiliens (Odebrecht, Galvão, Engevix, Correia, Mendes Junior, Camargo, ou Iesa). Les protagonistes se répartissent les contrats qu’ils surfacturent pour rétribuer leurs partenaires de Petrobras. Ainsi plusieurs haut-cadres de la compagnie auraient accumulé des dizaines de millions de dollars grâce à des sociétés-écran au Panama ou encore en Suisse. Le manque à gagner pour l’Etat serait compris entre 29 et 42 milliards de reis (entre 7,1 et 10,3 mds €) selon les sources. Il est cependant, par définition, très difficile de chiffrer avec exactitude les sommes détournées. Car les enquêteurs découvrent un système bien rôdé qui dépasse les seules sphères économiques et financières. Et pour cause, l’entreprise étant publique, bon nombre de politiciens y ont exercé des responsabilités, à commencer par la Présidente Dilma Roussef qui a été au conseil d’administration entre 2003 et 2010.
Financement illicite
L’enquête Petrobras a permis de mettre à jour un système élaboré de financement des partis politiques, notamment le Parti des Travailleurs (PT) et le parti social-démocrate PMDB. L’ancien directeur « Fourniture » de Petrobras, Paulo Roberto Costa, a ainsi détourné en moyenne 3% de chaque contrat qu’il supervisait pour financer les principales formations politiques du pays. Il a été condamné à 12 ans de prison dans le cadre de l’immense opération Lava Jato (lavage express), menée par le magistrat Sérgio Moro. Ce dernier est devenu un héro nationale en condamnant en mars dernier Marcelo Odebrecht, un des hommes d’affaires brésiliens les plus influents, à 19 ans de prison et 30 millions de dollars d’amendes. Du côté des politiques aussi des premières condamnations sont tombées. Ainsi, João Vaccari Neto, trésorier du PT a été condamné à une peine de 15 ans d’enfermement. Mais c’est bel et bien le cas de la Présidente Dilma Rousseff qui est au cœur du débat. Son passage par la compagnie pétrolière et le fort soupçon de trucage des chiffres officiels pour faciliter sa réélection en 2014 ont largement entaché son image de femme incorruptible qu’elle s’était forgée. Dernière erreur en date, l’entrée de l’ancien président Lula au gouvernement, inquiété par l’opération Lava Jato, a mis le feu au poudre, malgré l’aura toujours importante de ce dernier dans l’opinion publique. Cette manœuvre grossière a été perçue comme un aveu de culpabilité et a dopé la colère des manifestants. De nombreux ministres du PMDB, qui formait la coalition au pouvoir avec le PT, ont quitté le gouvernement en protestation.
Le pouvoir vacille
« Je ne démissionnerai jamais »
C’est la réponse qu’a donné lundi Dilma Rousseff suite à l’intense campagne médiatique dont elle est l’objet. Dénonçant une procédure « sans fondement légal », la Présidente du Brésil estime que l’opposition se sert de ces scandales pour préparer une sorte de « coup d’Etat institutionnel ». Elle a reçu lundi le soutien de l’avocat général, José Eduardo Cardozo, qui est chargé d’éclairer la commission parlementaire qui étudie la question. « La procédure de destitution a été compromise depuis le début et est en l’état invalide », selon lui. Mais la commission peut passer outre son avis et si tel est le cas, la chambre des députés devra se prononcer mi-avril. Concrètement, il faut à la Présidente une minorité de blocage de 171 députés pour empêcher la procédure de destitution.
Si le cas de Dilma Rousseff attire les projecteurs, c’est bel et bien toute la classe politique qui est rejetée par les Brésiliens, à l’image des rares politiciens « d’opposition » allègrement conspués lors de leurs éphémères participations aux manifestations de rues. Le rejet est réel et l’actualité ne fait que renforcer cet état de fait. Ainsi, les fameux « Panama Papers » sortis cette semaine dévoilent qu’Eduardo Cuhna, président de la Chambre brésilienne des députés, et instigateur de la procédure de destitution présidentielle aurait lui-même demandé les services du désormais connu cabinet Mossack Fonseca, pour créer des sociétés-écran au Panama. Par ailleurs, même le vice-président Michel Temer, qui prendrait la place de Dilma Roussef en cas de destitution, est lui-aussi cité dans l’opération Lava Jato.
Brouillard
Quelque soit le résultat final de la procédure de destitution, peu probable que la tête de Dilma Rousseff suffise à calmer une opinion totalement désabusée par la corruption endémique qui ronge le pays. La crise politique a commencé à faire sentir ses effets sur l’économie déjà plombée par la chute des cours des matières premières. Petrobras a nommé un nouveau directeur en la personne de Luiz Nelson Guedes de Carvalho, dont la nomination devrait être confirmé en conseil d’administration le 28 avril prochain. Le groupe brésilien, qui a annoncé une perte record de 10,2 milliards de dollars au 4ème trimestre 2015, a annoncé un plan de vente d’actifs de 14 mds $ pour faire face à ses charges financières et prévoit de supprimer 12 000 des 57 000 emplois que compte le groupe. Reste à savoir comment la compagnie va pouvoir faire face aux importants investissements qu’elle doit consentir, et ce, alors que ses revenus s’effondrent. Une équation qui peut également s’appliquer aux comptes publics brésiliens.
Romain Chicheportiche
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