Répartie sur Internet, une « chaîne de blocs » est une base de données ordonnée, décentralisée et infalsifiable grâce à la cryptographie. Chaque utilisateur d’une Blockchain devient un tiers de confiance. Aucune organisation centrale ne régit son fonctionnement. De quoi renforcer l’authentification et la traçabilité dans de nombreux domaines.
À la fin des années 60, il y avait les Shadoks qui passaient des heures à utiliser leur Cosmopompe destinée à pomper le cosmogol 999. Aujourd’hui, des « mineurs » passent plusieurs heures à vérifier les transactions d’un bloc d’une « chaîne de blocs », la fameuse Blockchain. Ces blocs contiennent des transactions (opérations d’écriture dans la chaîne) qui sont dans un ordre précis.
L’usage le plus connu est la monnaie virtuelle Bitcoin, première Blockchain créée en 2008. Neuf ans plus tard, le Bitcoin est toujours mis à l’index par des pays ou des organisations. Avec un argument récurrent : des transactions illégales sont favorisées par l’anonymat qu’il donne à ses utilisateurs.
Des transactions certifiées
Au-delà de cette polémique, une Blockchain représente une solution iconoclaste. Elle pourrait « révolutionner » différents secteurs d’activité et en particulier tous les intermédiaires de « confiance » chargés de vérifier l’identité d’une personne en prenant au passage une commission plus ou moins élevée.
Cette base de données ordonnée permet en effet de certifier toutes les informations et de les rendre incontestables. La transaction peut être certifiée par la communauté, même si toute la difficulté est de définir dans le domaine P2P quelles sont les limites de cette communauté. « L’intégrité de la chaîne est garantie par la cryptographie. Toute modification est détectable par tous. Notez bien que j’ai dit toute modification. La chaîne ne distingue pas entre modification “légitime” ou “illégitime” », précise Stéphane Bortzmeyer (Ingénieur R&D à l’Association française pour le nommage Internet en coopération – Afnic), sur son blog.
Autre principe fondamental d’une Blockchain : la décentralisation. La chaîne est « vérifiable par tous et contrôlée par personne ». Lorsque deux personnes souhaitent organiser un transfert d’argent entre elles (il peut s’agir de régler un achat ou de faire un virement pour un membre de sa famille), elles possèdent chacune une clé (un code) publique et une autre privée pour envoyer et recevoir de l’argent.
Enregistrée sous forme d’un code informatique, cette opération en rejoint d’autres qui forment un « bloc ». Ce dernier apparaît dans la base de données géante de la Blockchain. « Tous les utilisateurs de la Blockchain possèdent ce même registre et à chaque fois qu’une personne y écrit quelque chose, c’est répliqué dans tout le réseau », précise François Dorléans, directeur des opérations de la start-up française Stratumn, qui s’appuie sur la technologie Blockchain pour créer des outils à destination des entreprises. C’est à ce moment-là qu’interviennent les fameux « mineurs » qui, tels les Shadoks, activent leur machine pour vérifier les transactions du bloc (s’assurer par exemple que A dispose bien des fonds nécessaires à envoyer à B). A la clé, une rémunération.
Autre singularité, la chaîne de blocs est publique. « Tout le monde peut créer un nœud du jour au lendemain, qui va automatiquement télécharger et vérifier la chaîne, avec toutes les données qu’elle contient », explique Stéphane Bortzmeyer.
Repérer de faux médicaments
Quelles applications pourraient tirer profit de telles particularités ? Elles sont très variées, aussi bien grand public que professionnelles. Dans le premier cas, la Blockchain facilite les transferts d’argent entre particuliers. Plus besoin de se rendre à un guichet spécialisé, une simple connexion internet et un smartphone suffisent. Les frais d’envoi s’en trouvent drastiquement diminués (maximum 1 % contre 5 à 15 %), et les formats de monnaies utilisables sont beaucoup plus étendus. Plusieurs start-ups ambitionnent d’« uberiser » Western Union et consorts. Les plates-formes musicales comme Spotify et Deezer ainsi que les maisons de disques pourraient être également concernées : la gestion des droits se ferait en temps réel et sans passer par des intermédiaires.
Mais ce sont les applications professionnelles qui devraient se multiplier, en particulier dans la finance et l’énergie. La constitution de registres de transactions infalsifiables serait très utile dans de nombreux domaines exigeant une traçabilité optimisée des objets et produits. L’alimentaire et la santé pourraient en tirer profit. Un scandale sanitaire comme celui de la viande de cheval et les contrefaçons de médicaments seraient limités, voire impossibles. Une bonne nouvelle, car selon l’Organisation mondiale de la Santé, les faux médicaments sont à l’origine de 700 000 décès par an. La start-up française blockpharma est sur ce créneau. Sa solution permet de vérifier instantanément via son smartphone l’authenticité de la boîte de médicament achetée. Cette authentification renforcée serait également très utile pour l’identité numérique (cadastre, banque, transport, certificats de naissance et de décès…).
Des transactions assez lentes
En Afrique, mais aussi en Amérique latine, de nombreux pays ne disposent pas de cadastres, ou tout au moins de cadastres fiables. L’ONG Bitland a annoncé le lancement d’un projet de cadastre numérique au Ghana en permettant aux propriétaires d’arpenter leurs terres via GPS et d’enregistrer leurs actes fonciers sur une Blockchain.
Mais une Blockchain n’est pas non plus la panacée. Cette solution présente quelques limites. La principale est sa lenteur relative (plus de dix minutes pour enregistrer une transaction) et son coût énergétique (elle mobilise beaucoup d’ordinateurs). Elle est aussi la cible de pirates. S’ils ne peuvent pas altérer la chaîne de blocs, ils sont en mesure de repérer des failles dans les applications pour détourner de l’argent.
Mais l’impact de ces inconvénients semble très minime au regard des avantages offert par ce système décentralisé.
Par Philippe Richard
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