La start-up marseillaise Birds for Change met au point un nouveau type de poubelle. Son principe repose sur le fait que des corvidés – pies, corneilles, corbeaux ou geais – y jettent des déchets qu'ils auraient eux-mêmes ramassés. Ses fondateurs Jules Mollaret et Thibault Cour comptent sur l'intelligence de ces oiseaux pour sensibiliser les hommes à la pollution par les micro-déchets.
Depuis septembre 2020, la start-up marseillaise Birds for Change conceptualise une nouvelle solution pour lutter contre la prolifération des déchets. Ses co-fondateurs ont eu l’idée de confectionner une poubelle intelligente dans laquelle des oiseaux viendraient déposer des déchets contre une récompense. Les jeunes entrepreneurs comptent sur l’intelligence des corvidés pour assurer la réussite de leur projet. Ainsi, pies, corbeaux, geais et autres corneilles pourraient être des alliés efficaces pour assainir les lieux les plus difficiles d’accès. Entretien avec Thibault Cour, diplômé de l’ICAM, en charge du suivi technique du projet.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle est la raison d’être de Birds for Change ?
Thibault Cour : Notre but, outre de débarrasser la nature de ses déchets, est de sensibiliser les gens à leurs incivilités en prenant le problème à sa source. Nous aimerions que les gens se disent : « si les oiseaux en sont capables, pourquoi pas nous ? ». Aujourd’hui, un Français sur trois déclare encore jeter ses déchets par terre. Et selon Vinci Autoroute, 30 milliards de mégots sont annuellement jetés dans la nature sur le territoire national. Nous voulons que cela cesse. L’autre grand objectif de notre start-up est de réhabiliter les oiseaux au cœur des villes. Actuellement, ils sont considérés comme des nuisibles par les municipalités qui les tuent massivement. 4 millions de corvidés sont massacrés en Europe chaque année. Or, ils peuvent être utiles.
Travaillez-vous avec d’autres scientifiques pour ce projet ?
Lors du premier confinement, Jules Mollaret est entré en contact avec deux scientifiques spécialistes des oiseaux. La première est Valérie Dufour, une éthologue qui travaille au CNRS et à l’INRAE. Elle étudie le comportement des animaux, et en particulier celui des corvidés. Le second est Frédéric Jiguet, chercheur au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Dans le cadre de notre projet, il étudiera la santé des animaux. L’objectif de notre collaboration est de s’assurer qu’aucun impact néfaste ne touche les oiseaux. Ces deux scientifiques sont chargés d’analyser le comportement des oiseaux, d’évaluer les impacts sur leur santé. Ils vérifieront si les corvidés ramassent efficacement les déchets, et si cela peut avoir un impact sur leurs habitudes. Ils chercheront également les moyens les plus simples et efficaces pour éduquer les animaux.
Sur quel principe fonctionne votre solution ?
Nos machines sont des poubelles intelligentes. Le but est qu’à chaque fois qu’un oiseau rapporte un déchet, il est analysé par une caméra reliée à de l’intelligence artificielle. Cette dernière repose sur le principe du machine learning, très répandu actuellement. Si un déchet est réellement reconnu, une récompense est délivrée. C’est de la nourriture : une croquette spécialement adaptée à l’alimentation des corvidés. Si le déchet n’est pas reconnu, parce que l’oiseau qui est très joueur pourrait s’amuser à rapporter des branches ou des cailloux, aucune récompense ne sera attribuée. Ajoutons que chaque déchet déposé dans la poubelle ne pourra plus en être ressorti. Les détritus passent dans un entonnoir et arrivent dans une boîte où une caméra l’analyse. Une fois l’analyse faite, le déchet tombe dans un réservoir. Donc il n’y a aucune possibilité pour un oiseau de récupérer quoi que ce soit qui viendrait de la poubelle.
Les récompenses alimentaires ne risquent-elles pas de déséquilibrer leur alimentation ?
Nous avons réfléchi à des moyens pour nous assurer que les oiseaux ne deviennent pas dépendants de cette nourriture. Le système de récompense ne fonctionnera pas 24 heures sur 24 afin qu’il ne devienne pas leur source principale d’alimentation. De plus, il n’y a aucun risque que les oiseaux deviennent obèses : ils ne mangeront pas la récompense s’ils n’ont pas faim. Ils iront plutôt la cacher.
Quels types de déchets les oiseaux pourraient-ils ramasser ?
Le but est que les corvidés ramassent les déchets qui passent au travers des mailles de nos moyens de collecte actuels. Ce sont plutôt des micro-déchets comme des petits plastiques ou des mégots. À l’heure actuelle, ces déchets sont souvent coincés dans des endroits difficiles d’accès. Ils peuvent se retrouver coincés dans des pavés ou dans des lieux où les agents de nettoyage ne peuvent accéder. Les oiseaux pourraient contribuer au fait que ces déchets ne se perdent pas dans l’eau ou dans la nature.
Les oiseaux ne risquent-ils pas de s’intoxiquer avec les déchets ?
Il n’y a pas de risque que les animaux mangent les détritus. Leur intelligence fait qu’ils savent très bien qu’ils sont face à des déchets qui ne se mangent pas. Aujourd’hui, ils sont constamment en contact avec nos déchets. Ils mangent les déchets comestibles qui sont dans nos poubelles. Ils utilisent les mégots comme insecticides dans leurs nids. Ces oiseaux-là savent très bien ce que sont les plastiques et les mégots. Après, comme ils manipulent les déchets avec leur bec, la toxicité pourrait venir de là. Mais nous avons déjà certaines réponses sur ce point. Ces animaux n’ont que très peu de salive, voire pas du tout. C’est un peu comme s’ils ramassaient les déchets avec une pince. Donc a priori, le ramassage des déchets ne serait pas toxique. Dans tous les cas, nous restons vigilants et continuons de faire des analyses pour nous en assurer. Les premiers résultats parviendront courant 2021.
Les masques chirurgicaux font-ils partie des déchets que vous envisagez de faire ramasser aux oiseaux ?
Effectivement, les masques chirurgicaux pourraient être ramassés par les oiseaux. Cependant, il est essentiel de garder une réserve sur ce point. Encore une fois, il est primordial de s’assurer qu’il n’y aura aucun impact sur la santé des oiseaux. Pour cela, il faut faire des tests.
À quelle phase d’avancement de votre projet êtes-vous actuellement ?
Nous passons en phase d’expérimentation. Nos prototypes, fabriqués au FabLab de L’ICAM Lille en PLA, un plastique biosourcé et biodégradable, sont prêts. L’un d’entre eux est installé dans une volière, au CNRS de Strasbourg. Valérie Dufour y observe le comportement des oiseaux. Un autre sera prochainement installé au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Celui-là sera destiné à l’observation des impacts sur la santé des oiseaux.
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