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Bioéthanol à base de betterave, un atout pour la France ?

Posté le 9 décembre 2012
par Matthieu Combe
dans Chimie et Biotech

Les agrocarburants de première génération sont critiqués de toutes parts. Mais peut-on tous les mettre dans le même « panier » ? Le cas du bioéthanol à base de betterave est symptomatique d’un débat complexe qui promet de continuer, notamment dans le cadre du débat national sur la transition énergétique

Fin octobre 2012, le SP95-E10 était proposé par 35 % des stations françaises pour environ 6 centimes de moins que le SP95. Il représentait alors plus de 26 % des ventes de supercarburant, soit plus que la part de marché du SP98. Et pourtant, en 2012, plus de 78 % du parc automobile français équipé de moteur à essence peut fonctionner au SP95-E10, garantie des constructeurs automobiles à l’appui. Quand les pétroliers et Bercy se réunissent pour savoir comment baisser le prix de l’essence, Alain Jeanroy, directeur général de la Confédération Générale des Planteurs de Betteraves (CGB), leur répond qu’« il suffit de mettre des pompes et distribuer le carburant moins cher ».

Pour l’E85, le marché est encore faible, 300 stations distribuant le carburant sur le territoire. Il n’y a encore que 30 000 voitures Flex Fuel, capables de le supporter. Environ 12 000 voitures seraient également équipées de kits achetés sur internet permettant de consommer du E85. Mais les constructeurs ne le garantissent pas… bien que le produit soit agréé au niveau européen !

Combien d’éthanol dans ma voiture ?

En 2011, l’éthanol était incorporé à hauteur de 5,6 % en moyenne dans le SP95-E10, contre 5,9 % en 2010. L’objectif de 7 % en vigueur depuis 2010 n’est donc pas atteint.

Cela ne devrait pas trop changer. La Commission européenne propose de limiter à 5 % la contribution des agrocarburants provenant des cultures alimentaires au titre de l’objectif de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports en 2020. De son côté, à l’occasion de la conférence environnementale, le gouvernement français a indiqué vouloir un plafond à 7 % d’incorporation pour les agrocarburants de 1ère génération.

La filière réagit. Chiffres à l’appui, elle prêche pour sa paroisse. Et pour cause : selon elle, les agrocarburants de 2e et 3e génération ne seront pas assez développés en 2020 pour atteindre les objectifs. Elle nie aussi le lien entre développement d’agrocarburants et flambée des prix agricoles. Enfin, elle rappelle les objectifs établis par le paquet Energie Climat, inatteignables sans la 1ère génération. Elle invite au contraire à atteindre l’objectif de 7 % le plus rapidement possible avec la généralisation du SP95-E10 et la relance du superéthanol E85 et un passage au SP95-E20 après 2015.

Le bioéthanol n’empêche pas la production de sucre en Europe

La récolte 2012 de betteraves représente 33.1 millions de tonnes (Mt) en France. 20,3 Mt seront écoulés via le système de quotas pour le sucre alimentaire. Le sucre hors quota doit être exporté ou servir au non alimentaire, sauf autorisation de la Commission Européenne. Ainsi, hors quota, 7,4 Mt serviront pour l’alcool et le bioéthanol et 2 Mt pour l’industrie chimique. Restent 3,4 Mt excédentaires… 2,4 Mt seront exportés vers les pays tiers et 1 Mt devrait tout de même être autorisée par la Commission Européenne pour le sucre alimentaire de l’Union Européenne.

En 2011, 7 Mt excédentaires avaient dû être écoulées via la maximisation des exportations à hauteur de 4,1 Mt, la transformation sous quota DOM à hauteur de 1,9 Mt et la reclassification pour le marché alimentaire de l’UE de 1 Mt.  « Il reste donc beaucoup de marge de main-d’œuvre pour le développement du bioéthanol à base de betterave », affirme Alain Jeanroy.

Pourquoi une si mauvaise image ?

Les agrocarburants bénéficient d’une très mauvaise image dans le milieu écologiste, même si l’empreinte est très différente entre la canne à sucre, le maïs et la betterave. « Le débat est faussé quand vous avez un pays qui met 40 % de sa production en éthanol même s’il maintient ses exports », reconnaît pour sa part Alain Jeanroy en visant la canne à sucre brésilienne. « Cela n’a rien à voir avec un ensemble de pays qui consacre 1 % de sa SAU pour faire des biocarburants ; la politique de l’Union Européenne est très raisonnable », relativise-t-il.

S’il y a un développement du bioéthanol en France, « c’est clair que cela se fera à partir de la betterave », estime Alain Jeanroy. « On fait 3 fois plus d’éthanol à l’hectare de betterave qu’à partir de blé ou de maïs et d’autre part on n’a pas le problème alimentaire/non alimentaire avec la betterave », poursuit-il.

Il ne faut pas non plus oublier que les acteurs de la 2e et de la 3e génération seront globalement les mêmes que ceux de la 1ère. « Si on tire trop fort sur la rentabilité, nous manquerons d’acteurs pour financer la 2e génération. On ne peut pas espérer faire financer la R&D de la 2e génération par d’autres acteurs que ceux de la 1ère génération quand on voit les filières économiques en place », rappelle Marcel Deneux, sénateur de la Somme intéressé par ce dossier.

Une bonne nouvelle : la fin des importations illégales

Jusqu’au printemps 2012, plusieurs millions d’hectolitres étaient importées en Europe à partir de pays tiers, sous forme de mélanges essence/éthanol, les pays profitant des failles des règles douanières européennes. « Il suffisait qu’ils mettent quelques gouttes d’essence dans l’éthanol pour passer en mélange et ne pas payer les droits de douane », simplifie Alain Jeanroy.

Classées en « mélanges chimiques », ces importations acquittaient un droit de douane d’environ 3€ par hectolitre (hl) au lieu des 10,2 €/hL prévus pour les droits de douanes normaux de l’éthanol dénaturé. En 2008, le Brésil a bien profité du système, puis les Etats-Unis ont pris le relais. Ces volumes ont représenté 11,6 millions d’hectolitres (MhL) en 2011, soit tout de même environ 20 % du marché européen de l’éthanol. Depuis le mois de juillet 2012, cette concurrence jugée déloyale par les professionnels n’est plus possible, la Commission Européenne ayant modifié la règlementation.

Qui produit quoi ?

55 MhL d’éthanol ont été consommés dans l’Union Européenne en 2011. Parmi ces 55 MhL, 43,4 MhL ont été produits en Europe, le reste ayant été importé. Au niveau européen, les céréales fournissent environ 74 % de la production, la betterave 24 % et l’éthanol vinique 2 %.

De son côté, la France fournit 12 MhL dans la production européenne, soit 28 % et constitue le premier pays producteur d’éthanol dans l’Union Européenne. Suit l’Allemagne (18 %), l’Espagne (10 %), la Belgique (9 %), les Pays-Bas (6 %), l’Autriche (5 %) et les autres (24 %).  Au niveau national, les céréales représentent environ 58 % de la production, la betterave 38 % et l’éthanol vinique 4 %. Un tiers de cette production part en exportation sur l’Union Européenne au lieu d’être utilisé dans nos voitures.

Bien qu’il semble sous certains aspects être un agrocarburant intéressant, le bioéthanol de betterave bénéficie encore d’un développement limité en Europe.  De plus, gardons à l’esprit que  les tonnages de biodiesel produits sont 3 fois plus élevés que ceux du bioéthanol en Europe et environ 4 fois plus élevés en France. N’oublions pas non plus que lorsque l’on parle d’agrocarburants, les aspects d’accaparement de terres agricoles dans les pays du sud, de sécurité alimentaire, d’intrants pétrochimiques et d’irrigation ne sont jamais loin ; nous les avons ici, passés sous silence.

Par Matthieu Combe, journaliste scientifique


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