Willaertia magna C2c Maky… Derrière cette appellation pour le moins cryptique se cache un microorganisme unicellulaire aux propriétés naturelles remarquables. Surnommé « Willy », ce représentant des « amibes libres[1] » décrit pour la première fois en 1984[2] et découvert dans les eaux thermales d’Aix-Les-Bains en 1998 par le professeur Pierre Pernin, se révèle en effet capable de « digérer » – après les avoir « ingérés » par phagocytose – d’autres microorganismes. Parmi eux notamment, des bactéries pathogènes pour l’être humain : Legionella, Pseudomonas, Listeria, ou encore Klebsiella. Des pathogènes pourtant capables de détourner la machinerie cellulaire des amibes libres et d’en tirer parti pour se multiplier en leur sein… À l’exception, donc, de Willy, qui inhibe au contraire leur multiplication.
La découverte de ce pouvoir singulier de Willaertia magna C2c Maky a ainsi abouti, en 2006, au dépôt d’un brevet portant notamment sur un « nouveau procédé de lutte biologique contre la prolifération de legionella pneumophila ». Une base à partir de laquelle est née, en juillet 2010, l’entreprise innovante Amoéba sous l’impulsion de Fabrice Plasson, ex-directeur général et fondateur de la division française de DiscoverX.
Un long travail d’optimisation
« Les travaux menés en amont du dépôt de brevet de l’Université de Lyon avaient démontré une activité de cette amibe contre les bactéries pathogènes, et notamment de Legionella, responsable de la légionellose. Amoéba est donc née à partir de ce concept, avec l’objectif de trouver des alternatives aux solutions de luttes non soutenables, basées notamment sur la chimie de synthèse », retrace le président fondateur de l’entreprise basée à Chassieu, près de Lyon.
Avec la volonté de donner naissance au premier biocide biologique au monde destiné au traitement du risque bactérien dans l’eau, la biotech rhodanienne s’est donc tout d’abord attelée à l’optimisation du processus de culture de ce microorganisme. Elle a ainsi dans un premier temps abouti à une approche par adhésion. Un mode de culture qui se révèle toutefois particulièrement difficile à mettre en place à l’échelle industrielle, comme le confie Fabrice Plasson. « Le milieu de culture que nous avons utilisé au départ était en outre un milieu très riche, et donc très cher », ajoute le président fondateur d’Amoéba. Un important effort d’optimisation de sa composition a donc été consenti – et se poursuit d’ailleurs encore aujourd’hui – s’ajoutant ainsi à l’autre « gros travail », tel que le décrit M. Plasson, qu’a été le passage d’un mode de culture en adhésion à une culture en suspension. « Pour produire une même quantité d’amibes, la culture en adhésion nécessite une surface de plusieurs mètres carrés, là où la suspension tient dans l’équivalent d’un bouchon de bouteille… justifie Fabrice Plasson. Or, à l’état naturel, l’amibe vit bel et bien en suspension. Nous avons donc cherché à forcer la nature. »
De l’adhésion à la suspension, et du batch au continu
C’est ainsi en 2014, quatre ans après sa création, qu’Amoéba est parvenue à franchir le cap de la culture en suspension. « Au prix de beaucoup de travail et d’un très grand nombre d’itérations », insiste M. Plasson. Et ce travail ne s’est pas arrêté là : non contente d’être parvenue à maîtriser cette culture en suspension, la biotech lyonnaise s’est ensuite efforcée de transposer le procédé de culture en batch qu’elle avait développé vers un processus fed-batch, et même finalement, il y a cinq ans, vers une approche dite « continue ». « Le Saint-Graal », tel que la qualifie Fabrice Plasson… « L’approche continue permet en effet une production entièrement automatisée, sans intervention humaine, et une optimisation absolue », souligne le dirigeant.
Après avoir progressivement franchi des stades de production de 500 mL, 2 L, 10 L, puis finalement 500 litres, Amoéba vise désormais une échelle encore supérieure, avec l’espoir de porter bientôt son process de production en suspension et en continu à un volume de 5 m³.
Il faut dire qu’elle porte d’importants espoirs industriels, nourris en outre par la découverte d’un autre usage de l’amibe Willaertia magna C2c Maky que sa seule utilisation en tant que biocide.
Biocide… mais aussi biocontrôle
« Nous avons obtenu une première autorisation pour un usage biocide de notre principe actif en 2022, aux États-Unis, à destination des systèmes de refroidissement fermés », se félicite Fabrice Plasson. L’Europe, quant à elle, a toutefois refusé la demande d’approbation de la substance active biologique. Un refus que déplore le dirigeant, qui invoque d’ailleurs, pour l’expliquer, « des raisons nébuleuses »… « Ça n’était en effet ni pour des raisons d’efficacité, ni pour un problème de danger : le microorganisme a fait la preuve de son innocuité pour l’Homme et l’environnement », assure Fabrice Plasson.
Qu’à cela ne tienne… Au cours de ses essais d’efficacité menés sur une multitude de bactéries, mais aussi d’autres microorganismes, Amoéba a en effet identifié une autre propriété particulièrement prometteuse de Willy. « Nous nous sommes aperçus que l’amibe non plus vivante, mais coupée en morceaux – lysée – possédait une très forte efficacité contre les champignons, à la fois d’un point de vue curatif et prophylactique. Cette forme renferme en effet plusieurs molécules d’intérêt qui possèdent un double mode d’action : elle stimule les défenses naturelles des plantes, et bloque la germination des spores fongiques. Or, aujourd’hui, 98 % des problématiques liées à la santé des plantes sont dues à des champignons. Cette découverte nous a donc conduits à explorer un autre marché : celui de la protection des plantes par biocontrôle » retrace M. Plasson.
Une phase de commercialisation en vue
Après avoir démontré les propriétés fongicides de la forme lysée de son amibe, Amoéba mène donc, depuis 2019, des essais de sa solution de biocontrôle en laboratoire mais aussi en plein champ, dans 15 pays à travers le monde. L’entreprise assure ainsi avoir observé une efficacité supérieure aux autres produits de biocontrôle du marché, et pratiquement au niveau de la plupart des produits de synthèse. Ceci sur un large spectre d’applications : de la vigne au maraîchage, en passant par les grandes cultures de céréales ou de soja.
Et c’est cette fois un « oui » que l’Europe a accordé à la solution, comme s’en réjouit Fabrice Plasson : « En 2022, les USA nous ont également accordé une autorisation de mise sur le marché pour cette seconde application. Outre cette très bonne nouvelle, l’Autriche, Membre Rapporteur de l’Europe a, à son tour, émis une recommandation d’approbation sur cette substance ! Nous sommes donc actuellement en train d’enregistrer les différents produits issus de notre principe actif ».
Amoéba espère ainsi démarrer en 2025 la commercialisation de ses produits de biocontrôle en Europe, aux États-Unis, mais aussi au Brésil. Après sa première marque Biomeba, créée pour l’application biocide de sa substance, l’entreprise rhodanienne a d’ailleurs dévoilé, en juin dernier, sa nouvelle marque destinée quant à elle aux applications de biocontrôle : Axpera.
« Nous sommes aujourd’hui en phase de pré-commercialisation, note Fabrice Plasson. Nous avons ainsi naturellement besoin de produire, et donc, d’une usine… » Si elle possède déjà une petite unité de production sur son site de Chassieu[3], Amoéba ambitionne désormais de se doter d’une usine de grande envergure : équipée de quatre bioréacteurs de 5 000 L, elle devrait atteindre une capacité annuelle de production de 200 tonnes de produit fini, pour 40 tonnes de substance active. De quoi traiter pas moins de 100 000 hectares de cultures.
Un site de production qui se veut exemplaire
Baptisé USIBIAM[4], le projet devrait se concrétiser à Cavaillon[5], dans le Vaucluse, et faire la part belle aux principes de l’industrie 4.0. « Notre usine incarnera ce qu’est l’industrie moderne à nos yeux, et portera en outre nos valeurs de soutenabilité », souligne Fabrice Plasson, qui prévoit ainsi l’installation de panneaux solaires destinés à assurer l’indépendance du site en matière de production d’électricité et d’eau chaude, mais aussi d’un système de climatisation et de chauffage géothermique. « Nous recyclerons également 60 à 80 % de notre eau, assure Fabrice Plasson. Les déchets générés par nos process seront quant à eux valorisés par méthanisation chez un agriculteur voisin, qui nous renverra en échange du gaz vert, destiné à alimenter notre chaudière vapeur. Tout cela sur la première ZAC décarbonée de France, équipée d’une station d’épuration naturelle, et prônant par ailleurs des valeurs de protection de la biodiversité. »
Un futur aboutissement qui ne représente toutefois pas une fin en soi. Dans l’optique de conquérir d’autres segments de marché, Amoéba ambitionne en effet, à terme, de multiplier ce type de site de production vertueux.
[1] Protozoaires nichés dans les sols ou dans l’eau, capables de boucler leur cycle de vie sans nécessairement passer par une phase parasitaire.
[2] Jonckheere, Jf. de et al. “Willaertia magna gen. nov., sp. nov. (Vahlkampfiidae), a thermophilic amoeba found in different habitats.” Protistologica. 20 (1984) : 5-13.
[3] Conçue à l’origine pour produire des substances biocides à destination de l’Europe, l’usine assure aujourd’hui une production annuelle de 500 kg de substance active destinée à mener les essais techniques en champ de la solution de biocontrôle d’Amoéba.
[4] Usine Biocontrôle Amoéba
[5] Amoéba a annoncé en février 2023 le dépôt du permis de construire de son usine 100 % biocontrôle de Cavaillon.
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