Comment une équipe de directeurs si chevronnés a-t-elle pu commettre une telle bévue ? Cette question, hélas trop fréquente, révèle les schémas mentaux des « administrés » qui la posent. Explications.
Ces derniers semblent interloqués par le constat que cette élite qui nous gouverne – que ce soit dans la vie civile ou professionnelle – peut, elle aussi, commettre de grosses bourdes. La surprise de ces observateurs contrariés provient probablement d’une introjection [1] qu’il convient de revisiter. Pour quelle raison, en effet, les décisions de nos comités de dirigeants seraient-elles infaillibles ? Qu’est-ce qui enferme le monde des « administrés » dans cette croyance que les comités de décideurs seraient à l’abri de bévues aussi grossières que la gestion de « l’affaire d’espionnage » chez Renault en 2010, l’attitude de notre gouvernement au début du printemps arabe en 2011 ou sa position lors du génocide au Rwanda en 1994 ?…
Ces exemples accablants doivent être versés au dossier de notre analyse critique et nous conduire au constat suivant: quels que soient les niveaux de leurs quotients intellectuels (QI), nos équipes dirigeantes ne sont pas infaillibles ! Étudions les causes probables de tels accidents de la décision.
Une bévue, c’est une erreur grossière due à l’ignorance, à la négligence ou à l’aveuglement, et pouvant entraîner des conséquences fâcheuses. Les comités de dirigeants sont bien informés, surtout à haut niveau. D’autre part, ils sont, par définition, dotés de capacités de raisonnement hors du commun. Ce ne sont donc pas leurs compétences rationnelles qui les conduisent à ce genre d’erreurs. Comme dans de nombreux cas d’accidents de pilotages, c’est plutôt la faiblesse des compétences relationnelles qui expose nos comités de directions à la bévue. Des recherches de l’université de Chicago nous permettent de mieux comprendre l’influence des comportements humains sur la qualité de la décision en équipe. Ces études montrent que, dans 80% des cas, les décisions d’équipes sont plus efficaces que la plupart des décisions individuelles de leurs membres [2]. Dans les 20% des cas restants, l’équipe produit des décisions dont la qualité est moindre que celles de la plupart de ses membres. Ces « accidents en équipes » sont propices à la prolifération des bévues. Etudions les comportements à risques.
Dino Ragazzo
Dino Ragazzo a plus de 25 années d’expérience opérationnelle en milieu industriel notamment chez CEGELEC, Groupe ATANTIC, FRAMATOME (mise en service d’installations nucléaires).Il a été successivement Technicien commercial, Ingénieur d’essais, Directeur Technique, chef d’entreprise (PME d’ingénierie électrique et maintenance nucléaire) et Conseiller de la Direction Générale d’un grand groupe Industriel.maintenance nucléaire) et Conseiller de la Direction Générale d’un grand groupe Industriel.Dino Ragazzo est également l’auteur de l’ouvrage :
MANAGER D’ELITE – Gestalt guide du leadership dans les organisations du XXIe siècle
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Excès de pouvoir
Des membres trop sûrs d’eux-mêmes deviennent trop souvent arrogants, voire agressifs. Cette attitude décourage l’expression des idées des membres moins assertifs. Les tentatives répétées de « main basse sur l’équipe » nuisent profondément à la qualité des solutions élaborées par les équipes qui possèdent de tels membres au « thorax surdéveloppé ». On l’a bien compris, ce qui motive ces membres, c’est moins la qualité de la solution que la portée de leur emprise sur le groupe. Lorsque plusieurs membres (à masculinité surdéveloppée) exercent ce type de comportement dans le groupe, ils interagissent de manière agressive et essaient d’avoir le dessus par l’intimidation, les attaques personnelles, la moquerie, etc. Ces membres sûrs d’eux et dominateurs ont en général tendance à sous-estimer les difficultés des problèmes à résoudre, à minimiser les risques liés à leurs propres stratégies pour résoudre les problèmes et à ignorer les points de vue des membres moins affirmés. Quelle que soit la qualité des solutions élaborées par ce type de groupe, elles n’entraînent qu’un faible niveau d’adhésion et la mise en application des solutions reste pénible et de durée limitée.
Excès de compétition
Les comportements de compétition sont assez proches des comportements de pouvoir, mais le compétiteur ne cherche pas à contrôler l’équipe. Le compétiteur adore se trouver dans des groupes, car il a besoin des autres pour faire la démonstration de sa prétendue supériorité et satisfaire ainsi ses propres besoins narcissiques. Les groupes où règne la compétition entre les membres ressemblent davantage à un jeu-concours qu’à une activité de collaboration. Les membres compétiteurs sont moins intéressés par la qualité des solutions que par leurs volontés d’impressionner les autres et de leur vendre leurs idées. Observer un groupe compétiteur, c’est comme observer un champ de bataille. A la fin, il ne reste que des gagnants et des défaits. Les autres membres du groupe se font parfois piéger dans ce type de situation et finissent par développer eux-mêmes, en réaction de défense, des comportements compétiteurs, même s’ils ne sont pas naturellement enclins à ce type de comportements. C’est, encore une fois, un excès de masculinité qui explique souvent ce genre de comportements que l’on retrouve particulièrement dans des groupes où la masculinité ou l’animus [3] prédominent.
Excès de perfectionnisme
La motivation des groupes excessivement perfectionnistes est de fournir la meilleure solution possible et que celle-ci soit exempte d’erreurs. Pour satisfaire cette motivation, les membres n’hésitent pas à investir des efforts disproportionnés pour résoudre des problèmes mineurs et ne sont jamais tout à fait satisfaits des résultats auxquels ils aboutissent. Cette coûteuse prédisposition à s’attarder sur des détails conduit le plus souvent ces groupes à de sérieuses difficultés dans la gestion du temps. La maîtrise du temps est d’ailleurs l’un des principaux écueils du perfectionniste qui confond le plus souvent précision et excellence. Les perfectionnistes éprouvent un besoin irrépressible de faire leurs preuves en permanence. Ils s’imaginent que les autres accordent aussi peu de crédit à leurs compétences qu’ils ne s’en octroient à eux-mêmes. Leur énergie est donc essentiellement consacrée à consolider la certitude de leur compétence. Un problème en tant que tel, plus qu’un problème à résoudre, constitue donc une opportunité indispensable, un moyen vital permettant aux perfectionnistes de satisfaire leur angoisse d’incompétence. Le consensus est très difficile d’accès dans ce genre de groupes. Leurs échanges interminables autour de divergences de vues mineures compliquent considérablement toute forme de solution pourtant apte à apporter une réponse satisfaisante au problème à résoudre.
Excès de conformisme
Les conformistes calment leur angoisse de liberté (et des responsabilités correspondantes à assumer) en proposant des idées conservatrices. Ils ont tendance à considérer toute idée innovante ou toute différence comme un risque auquel il ne vaut pas la peine de s’exposer. Ainsi toute idée originale sera automatiquement disqualifiée et jugée trop audacieuse ou trop novatrice ou trop différente.
Excès de consentement
C’est l’angoisse de solitude que les membres « complaisants » cherchent à apaiser dans ce type de groupe. Les membres apparaissent anormalement arrangeants, le climat de travail semble agréable, aucune ombre ne semble vouloir ternir le tableau… L’excès d’obligeance, d’égards et de politesse, combiné à une volonté de ne pas aborder des sujets de désaccord (des sujets qui fâchent) et à une tendance empressée à agréer, font douter de la capacité de tels groupes à explorer le champ des solutions alternatives. Peu importe la solution retenue pourvu qu’on ait l’ivresse de l’acceptation des autres ! La stratégie de travail de tels groupes commence souvent par l’identification des points d’accord. Il n’y a pas de débat autour de ces points. S’il y a accord, ou plutôt s’il n’y a pas désaccord, cela vaut décision. Cette stratégie conduit les membres de ces groupes à forcer le consensus en recherchant des alliances qui ont pour finalité de menacer et influencer les autres membres « béni-oui-oui » porteurs d’avis différents. Les points de divergence sont souvent sous-optimisés par les membres qui ne veulent pas s’exposer au risque de l’exclusion. Le désintérêt, l’absence de commentaires au sujet d’une nouvelle proposition, l’accentuation ironique d’un trait de personnalité, la plaisanterie autour des différences (sexe, race, goûts, vêtements, etc.) sont différentes tactiques utilisées dans de tels groupes. Elles ont pour but de faire peser la menace d’exclusion sur les membres qui semblent tentés par la défense de leur intégrité ou de leur liberté de pensée.
Insuffisance de volonté de résultats
Personne ne semble motivé par la volonté de bien faire les choses ou de faire les bonnes choses. Les membres du groupe ne semblent pas préoccupés par la rationalité des propositions ou des idées énoncées et l’on transforme sans embarras des suppositions en faits avérés selon les besoins de la « démonstration ». Il y a peu de structure dans le travail réalisé par ces groupes. Il n’y a pas d’objectif précis non plus. La confusion entre objectif, tâche, stratégie est totale. Le travail est désordonné, de petits sous-groupes discutent ensemble de points différents, on partage peu les informations. Le flou, le désordre, la confusion et la désorganisation semblent caractériser le mode de fonctionnement de ce type de groupe.
En résumé, les comportements qui pénalisent l’efficacité des équipes dirigeantes sont adossés à des besoins excessifs de sécurité et/ou à un faible niveau de motivation personnelle vis à vis du résultat à obtenir.
Un bon moyen pour réduire les besoins de sécurité consiste à offrir aux comités le temps nécessaire pour que l’écoute, le débat et le soutien s’installe entre les participants. Ces compétences relationnelles sont nécessaires à l’élaboration de bonnes décisions. Ce temps de « mise en route » est indispensable à la mobilisation de l’énergie constructive de participants. Chercher à le réduire, c’est comme essayer de courir un 100 m sans échauffement. On s’expose à tout ou partie des pièges décrits ci-dessus.
A quoi reconnaît-on une décision efficace ?
La réponse est dans la mesure du niveau d’acceptation. A l’issue d’un travail de décision collective, la mesure (anonyme) de la motivation des participants [4] pour la mise en œuvre des décisions permet d’évaluer leur niveau d’acceptation. Outre qu’elle renseigne sur leur cohérence avec les valeurs des participants, cette mesure donne également une idée de la probabilité que les décisions ainsi testées soient effectivement implémentées.
Une décision efficace optimise les résultats attendus, c’est-à-dire :
- la décision est de bonne qualité (Q). Elle s’appuie sur des faits avérés, sa mise en application conduit aux risques minimaux, sa valeur ajoutée potentielle est optimale, et les ressources nécessaires sont utilisées à bon escient. Cette qualité s’obtient essentiellement par la combinaison harmonieuse des compétences rationnelles des participants. Elle fait appel à leurs Intelligences Intellectuelles et Emotionnelles (QI et QE).
- la décision mobilise et polarise l’énergie des gens qui l’appliquent, c’est-à-dire qu’elle produit un haut niveau d’acceptation (A). Ce niveau d’acceptation est d’autant plus élevé que les participants ont eu la sagesse de se mettre en condition de tempérer les besoins excessifs de sécurité (ou de pouvoir, de compétition…) de certains d’entre eux.
Ces points sont résumés par l’équation d’OSBORNE [5] : E = Q x A.
L’efficacité (E) d’une décision est le résultat combiné de sa Qualité (Q) et du niveau (A) d’Acceptation (Adhésion) qu’elle suscite.
Notons qu’une équipe de direction qui a su développer de bonnes qualités relationnelles saura plus facilement traverser les embûches causées par une mauvaise conception ou une planification défaillante des projets. A cause de la synergie qu’elle est capable de développer, ce type d’équipe est moins exposé aux bévues car elle produit des décisions qui sont plus efficaces que celles que produirait le plus expert de ses membres.
En revanche, une équipe de direction qui mise essentiellement sur le raisonnement logique et le QI ne pourra pas compter sur ces compétences rationnelles pour traverser un problème de relations entre ses membres. En effet, la logique d’un directeur exagérément rationnel (trop de QI et pas assez de QE), à elle seule, ne sera pas d’un grand secours pour donner plus de consistance, par exemple, à la malléabilité dévastatrice d’un groupe de collaborateurs parfois un peu trop « plastiques ».
Les comités de directions, par le QI de leurs membres, sont généralement composés de telle sorte à maximiser la Qualité des décisions. Cette disposition, bien que nécessaire, ne les met pas suffisamment à l’abri du risque de bévues. Les diverses instances de directions qui souhaitent améliorer leur efficience ont tout intérêt à mesurer –anonymement – et à exploiter le niveau d’Acceptation des décisions. Mais connaissez-vous beaucoup de présidents qui se préoccupent du niveau de motivation des membres de leurs comités avant de valider leurs décisions ?
Par Dino Ragazzo
- [1] Processus par lequel une opinion, une attitude, ou une instruction sont automatiquement et rapidement considérées comme vraies….à la manière dont les enfants (en dessous de 7 ans) « avalent » tout ce que leurs parents leur disent.
- [2] Dans une minorité de cas, la décision d’équipe est même meilleure que celle qu’aurait prise, seul, le plus expert de ses membres.
- [3] Partie masculine de la psyché d’une femme
- [4] Par exemple au travers de questionnaires anonymes
- [5] Richard OSBORNE est “Professor for the Practice of Marketing and Policy Studies” à la Case Western Reserve University
En savoir plus : http://experience-conseil.com/
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