Face à un cancer, l’un des traitements employés consiste à procéder à l’ablation de la tumeur. Au cours de l’opération, les chirurgiens tentent de repérer visuellement les tissus tumoraux à extraire et peuvent aussi se servir d’images préopératoires réalisées à l’aide d’un scanner X, d’un imageur IRM (Imagerie par résonance magnétique) ou TEP (Tomographie par émission de positrons). Pendant l’acte chirurgical, certaines techniques peuvent également être utilisées pour bien repérer toute la partie tumorale, notamment celle de la fluorescence, mais elle n’est pas efficace sur tous les types de cancers. Quant aux images obtenues par CT (Computed Tomography) et IRM peropératoires, ils présentent l’inconvénient de rallonger considérablement le temps opératoire. À ce jour, il n’existe aucun outil universel pour identifier précisément et en temps réel les résidus tumoraux. L’enjeu thérapeutique est capital, car laisser des résidus tumoraux est un facteur d’augmentation du risque de récidives locales. Depuis le milieu des années 2000, l’IJCLab (Laboratoire de Physique des 2 Infinis Irène Joliot-Curie) a débuté un programme de recherche pour concevoir un outil capable de détecter en temps réel les tumeurs au cours des actes chirurgicaux. L’année dernière, une start-up est née dans le but de commercialiser ce nouvel instrument. Entretien avec Estelle Villedieu de Torcy, la directrice générale de Beams.
Techniques de l’Ingénieur : Comment fonctionne votre outil pour repérer les tumeurs ?
Estelle Villedieu de Torcy : Nous développons une sonde capable de détecter en temps réel les résidus tumoraux à retirer lors des opérations d’ablation. Pour qu’elle fonctionne, il est dans un premier temps nécessaire d’injecter, par voie intraveineuse, un radiotraceur émetteur de particules bêta qui vont s’accumuler dans les tissus tumoraux. Cette technique n’est pas nouvelle et est déjà pratiquée en médecine nucléaire, pour l’imagerie TEP. Elle consiste à utiliser un noyau radioactif entouré d’une matrice et qui a la particularité d’être spécifique à chaque tumeur. Par exemple, le fluor 18 est le noyau le plus couramment utilisé et peut être associé avec du glucose, car les cellules tumorales sont particulièrement consommatrices de sucre. Les particules bêta vont alors venir se fixer plus spécifiquement sur les cellules tumorales. Pour les tumeurs cérébrales, il n’est pas conseillé d’utiliser ce type de radiotraceur, car les neurones consomment beaucoup de sucre. On utilise plutôt du fluor 18 associé à de la dopamine ou de la choline.
Comment parvenez-vous à détecter ces particules bêta à l’aide de votre sonde ?
Nous avons développé une tête de détection fabriquée à partir d’un assemblage de fibres plastiques, de fibres scintillantes et de fibres claires, et qui sont fusionnées entre elles. Lorsqu’une particule bêta vient au contact d’une fibre scintillante, elle va le transformer en photons de scintillation, c’est-à-dire en lumière, et ils vont être guidés et acheminés par la fibre claire jusqu’à un photodétecteur. Celui-ci va alors transformer ce signal lumineux en un signal électrique. Nous venons ensuite analyser ce spectre pour mesurer la concentration des particules bêta. Si la concentration est importante, cela signifie qu’il s’agit d’un tissu tumoral.
Quels sont les avantages de votre procédé ?
Notre technologie est très sensible. Nous sommes capables de localiser de très petits amas tumoraux, avec une précision de l’ordre du millimètre, qui correspond à la précision du geste du chirurgien. En revanche, les particules bêta ont un faible parcours dans les tissus et la sonde doit être au contact des tissus pour les détecter. L’objectif n’est donc pas de rechercher des tissus tumoraux en profondeur. Le chirurgien procédera d’abord au retrait complet de la partie visible de la tumeur, comme il pratique cet acte aujourd’hui. Ensuite, il pourra vérifier grâce à la sonde qu’il ne reste pas de tissus tumoraux à extraire.
Notre outil présente aussi l’avantage d’être efficient sur toutes les tumeurs, à condition qu’un radiotraceur spécifique existe pour repérer la partie tumorale.
Notre technologie se distingue également par le fait que la sonde est intégrée dans un instrument qu’utilisent déjà les chirurgiens, à savoir un aspirateur chirurgical utilisé pour enlever le sang et les cellules de la zone opérée. Plutôt qu’ajouter un nouvel outil, nous venons améliorer un outil déjà existant avec une double fonctionnalité. Nous voulions préserver son geste et conserver sa pratique actuelle tout en l’améliorant.
Enfin, notre outil va permettre de former un parcours de soin cohérent des patients. Les radiotraceurs bêta sont déjà utilisés pour le diagnostic préopératoire réalisé à l’aide de l’imagerie TEP ainsi qu’après l’opération pour vérifier la qualité du travail. Étant donné que nous utilisons les mêmes radiotraceurs, il sera plus facile d’interpréter les résultats ainsi qu’anticiper la façon dont ces radiotraceurs vont venir s’accumuler dans les tissus.
À quel stade se trouve votre projet ?
Nous avons réalisé une preuve de concept de notre technologie sur un primate avec un prototype du laboratoire. Aujourd’hui, nous l’adaptons pour en faire une version industrielle. Nous sommes encore dans une phase de R&D et un important travail est à mener au niveau du processus d’assemblage de la sonde et de son ergonomie. Nous travaillons avec des chirurgiens afin de concevoir l’outil le plus adapté sur le plan du design et de la compacité, et qui conserve des performances suffisantes en termes de sensibilité. Il est nécessaire d’utiliser des méthodes d’assemblage qui soient à la fois compatibles avec une industrialisation, et qui respectent les normes de qualité, et toute la partie réglementaire du secteur médical. Nous souhaitons refaire une preuve de concept de la version industrielle de notre sonde sur de gros animaux, puis démarrer la fabrication de la première présérie, effectuer les tests réglementaires, puis des essais sur l’homme. Nous envisageons une commercialisation de notre outil à l’horizon 2026-2027.
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