Si leur potentiel de production est colossal et très largement supérieur aux besoins de l’Humanité, éolien et solaire PV restent néanmoins (parfois) critiqués pour leur nature fluctuante. Et les batteries étaient jusqu’à présent trop coûteuses. Mais « en utilisant des hypothèses conservatrices et sans subventions, notre modèle indique que le coût incrémental du stockage (en plus du coût du kWh solaire PV ndlr) va passer de 14 cents/kWh aujourd’hui à 2 cents dans les 5 ans à venir » peut-on lire dans le rapport « Crossing the Chasm » (Franchir le gouffre) rédigé par Vishal Shah, directeur général à la Deutsche Bank et Jerimiah Booream-Phelps, analyste spécialisé en finance des écotechnologies (equity).
Ce rapport est « disponible dans un premier temps uniquement aux clients » et il sera rendu public « plus tard » indique la Deutsche Bank sur le site spécialisé Australien RenewEconomy où la journaliste Sophie Vorrath a néanmoins publié des extraits, y compris quelques graphiques-clés.
Le coût d’une batterie au plomb (dont la durée de vie est limitée) est aujourd’hui d’environ 200$/kWh selon les auteurs. Dans le meilleur des cas celui des batteries lithium est d’environ 500$ (fin 2014), c’est-à-dire moitié moins des environ 1000$/kWh 12 mois plus tôt. Une baisse de 50% des coûts en seulement un an, c’est pour le moins remarquable. L’émergence de la voiture électrique a dopé ce marché. Pour les années à venir « nous pensons qu’une baisse annuelle des coûts de 20-30% par an est probable (pour les batteries lithium-ion), ce qui pourrait les amener à franchir le seuil de l’adoption en masse avant 2020 », ceci à l’échelle de plusieurs segments du marché (commerces et utilities). Pour le segment résidentiel, cela pourrait venir ensuite, c’est-à-dire durant la décennie 2020.
Des systèmes tampons bien utiles
Pour les gestionnaires des réseaux électriques pouvoir disposer de batteries décentralisées, réparties sur l’ensemble du réseau, constitue un sérieux atout. Il est alors possible de diminuer le recours aux (coûteuses) turbines à gaz centralisées et aux faibles taux de charge annuels.
De plus les réseaux électriques (transport et distribution) sont traditionnellement calibrés en fonction des pointes de la demande. Il en résulte qu’ils sont eux aussi sous-utilisés, et c’est coûteux. Si des systèmes tampons (batteries) sont disponibles localement aux endroits clés, alors il devient possible d’optimiser le taux d’usage du réseau alors configuré pour une demande (et une production solaro-éolienne) qui devient moins fluctuante. D’une pierre, deux coups. Les batteries sont installables absolument partout, y compris au cœur d’une zone commerciale d’une ville très peuplée ou d’un complexe industriel. « Elles peuvent être reparties de manière optimale et réduire les pics de demande à travers le système électrique » expliquent les auteurs du rapport de la Deutsche Bank.
Le géant français GDF-Suez teste actuellement dans son laboratoire « Laborelec» en Belgique les batteries de la start-up Eos Energy Storage qui va commercialiser dès 2016 une batterie zinc-hybride à seulement 160 $ le kWh de stockage et dont la durée de vie est estimée à plus de 15 ans (objectif de 30 ans). Un niveau compétitif avec le stockage hydraulique (STEP). Eos vise en premier lieu le segment utilities.
Le solaire PV meilleur marché que le gaz de schiste ?
La Banque Nationale d’Abu Dhabi vient de publier un rapport où elle affirme que le solaire PV est à présent devenu tellement bon marché qu’il faudrait que le pétrole tombe au-dessous de 10$ le baril pour que les nouvelles centrales au fioul soient compétitives.
« C’est équivalent à un pétrole à 40 $ dans des centrales existantes » estime Cédric Philibert, expert EnR au sein de l’Agence Internationale de l’Energie. « Les auteurs de ce rapport ont préféré comparer avec de nouvelles centrales au fioul, mais je trouve que c’est moins pertinent que de le faire avec les anciennes ». Que ce soit à 10 ou 40$ la compétitivité du solaire PV est dans tous les cas devenue redoutable. Le baril se vend actuellement autour de 50$, un niveau bas à l’échelle des dernières années où il a dépassé les 100$.
« La Dubai Electricity and Water Authority (DEWA) a récemment accepté un contrat avec ACWA Power à 0.0584$/kWh, ceci pour une centrale solaire PV de 200 MW » rappellent les auteurs de ce rapport publié par la seconde plus grande banque de l’ensemble des Emirats arabes unis. « En plus de constituer une nouvelle référence en matière de coût du solaire PV à l’échelle globale, à ce niveau le solaire PV est déjà compétitif avec le pétrole à 10$ le baril et avec le gaz à 5$ par MBtu ».
Or selon la banque Merril Lynch (2012) la compétitivité du gaz de schiste s’établit autour de 6-8$/MBtu. Exxon a reconnu qu’ils produisaient à perte en le vendant à un prix inférieur, le PDG du géant américain ajoutant « on est en train d’y laisser notre chemise ». L’extraction conjointe du pétrole de schiste parvenait à sauver le gaz mais l’effondrement actuel des prix du baril change l’équation.
Cap vers une «Solar Economy »
Le tiers de l’électricité mondiale pourrait être solaire en 2050
La baisse conjointe et massive des coûts du solaire PV et des batteries offre des perspectives réjouissantes sur le plan de l’intérêt général, tant en matière de sécurité énergétique que de qualité environnementale. Mais préoccupantes pour ceux qui ont massivement investi dans des filières énergétiques non durables et qui n’ont pas vu venir la « quatrième révolution industrielle » qu’Hermann Scheer, notamment auteur des livres « The Solar Economy » et « Energy Autonomy », appelait de ses vœux.
La Deutsche Bank, dans un autre rapport publié en janvier 2015, estime que près du tiers de l’électricité consommée dans le monde proviendra du solaire en 2050. Le marché du PV est estimé à pas moins de 3 trillions de dollars d’ici 2030… 3 millions de millions de dollars. On comprend mieux l’engouement chinois ! Le pays de Lao Tseu, grâce à l’investissement dans de très grandes usines qui ont contribué à faire baisser les coûts, produit aujourd’hui 90% des modules PV du monde.
Les Européens, divisés en matière de politique énergétique, ont pris du retard. Le Président français François Hollande a évoqué en 2013 la création d’un « airbus » dans le solaire en partenariat avec l’Allemagne. L’Europe ne veut pas laisser cet énorme marché lui échapper complètement. Le retard s’annonce néanmoins difficile à rattraper. Même le géant japonais Sharp n’est pas parvenu à gagner cette bataille de la compétitivité face aux Chinois. Et vient d’annoncer qu’il y renonce.
Le solaire pour tous
La banque allemande ajoute: « nous pensons que le taux de pénétration du solaire va augmenter plus rapidement dans les pays en développement. L’Inde, par exemple, a annoncé récemment un objectif de 100 GW (100.000 MW) de capacité solaire dès 2022 ». 40% pourrait être OffGrid.
Dans les régions du monde où les réseaux électriques sont déficients, partiels ou absents, le solaire PV couplé au stockage constitue une clé pour le développement humain.
Let the sunshine in.
Par Olivier Daniélo
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