Fondée en 2015 par Vincent Lôme et Pierre-Emmanuel Casanova, HySiLabs développe une technologie visant à simplifier et à réduire drastiquement les coûts de transport de l’hydrogène. Elle mise pour cela sur un vecteur liquide, stable dans des conditions ambiantes : l’Hydrosil. La jeune entreprise a annoncé fin janvier avoir levé pas moins de 13 millions d’euros et espère ainsi, dans les deux ans à venir, passer d’une échelle de production de l’ordre du kilo à celle de la tonne.
Et si, tel le gasoil ou l’essence, l’hydrogène pouvait transiter à bord de simples camions-citernes, à pression et température ambiantes… ? Séduisante, la perspective peut toutefois – a priori – sembler irréaliste. Désigné comme « fondement d’un cercle économique et environnemental vertueux » dans le Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique, présenté mi-2018 par le ministre de la Transition écologique et solidaire d’alors Nicolas Hulot, ce vecteur énergétique se révèle en effet synonyme de contraintes en matière de stockage, mais aussi de transport : pour être acheminé de son lieu de production jusqu’à l’endroit où il sera utilisé, l’hydrogène est généralement comprimé à des pressions de plusieurs centaines de bars.
C’était sans compter sur les vertus de la sérendipité. Une réaction chimique réalisée fortuitement dans un laboratoire français il y a plus de dix ans est en effet à l’origine d’une solution innovante, qui semble aujourd’hui en passe de faire avancer d’un grand pas le domaine du transport de l’hydrogène. Son nom : Hydrosil.
Un double fruit du hasard
« Hydrosil est le fruit de la rencontre du hasard avec le hasard ! », glisse Pierre-Emmanuel Casanova président et co-fondateur de l’entreprise qui porte cette innovation, HySiLabs. « Une réaction fortuite a été réalisée par des chercheurs d’Aix-Marseille Université. Cette réaction entre des liquides s’est en effet révélée produire un gaz, de manière inattendue. Pour caractériser ce gaz, l’équipe de recherche a employé un moyen simple : ils ont craqué une allumette. Cela a provoqué une détonation, mais aussi généré des gouttelettes d’eau sur les parois du tube à essai… Ils pressentaient donc qu’il puisse s’agir d’hydrogène, ce qu’une caractérisation plus formelle a ensuite confirmé. Sauf qu’ils ne travaillaient pas du tout dans ce domaine, mais plutôt dans le secteur du médicament. L’hydrogène n’était par ailleurs pas un sujet aussi important à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui » retrace le chef d’entreprise.
La découverte est donc un temps laissée de côté… Jusqu’à ce que le hasard s’en mêle donc de nouveau, comme l’explique Pierre-Emmanuel Casanova : « Un concours de circonstances nous a fait rencontrer, mon associé Vincent Lôme et moi-même, cette équipe de recherche, qui nous a alors fait part de la découverte de cette réaction laissée en sommeil ». Les deux associés flairent le potentiel de la chose, et décident alors, sur leurs propres deniers, de partir pour un parcours à travers l’Europe à la rencontre des acteurs du monde de l’hydrogène. « Nous nous sommes notamment rendus dans des salons, qui étaient à l’époque encore assez confidentiels et peu nombreux. Nous y avons toutefois présenté la découverte, face à des pionniers du secteur visiblement séduits : ils y ont tout de suite vu une bonne façon de transporter l’hydrogène », se remémore le co-fondateur d’HySiLabs. Seule la moitié du chemin était toutefois franchie, comme le concède Pierre-Emmanuel Casanova : « Si la réaction permettait effectivement de libérer de l’hydrogène, il nous restait à trouver le moyen de “charger” chimiquement le liquide avec ce gaz ». Un défi à l’origine de la création, en 2015, d’HySiLabs.
Un vecteur liquide « chargé » et « déchargé » en hydrogène
« Depuis 2015, nous nous efforçons, bien évidemment, de continuer à travailler sur la partie relargage de l’hydrogène, sur la base de la réaction découverte à l’Université d’Aix-Marseille. Mais ce sur quoi nous passons le plus clair de notre temps est désormais la partie “charge” de l’hydrogène dans notre vecteur », assure Pierre-Emmanuel Casanova. Un vecteur – l’Hydrosil – composé d’hydrure de silicium (SiH), et qui présente l’avantage majeur de demeurer liquide dans des conditions de pression et de température ambiantes, qui plus est à long terme. « Cette stabilité dans le temps lui permet d’être facilement manipulable », souligne le co-fondateur d’HySiLabs.
Composé au départ de silice (SiO2), le vecteur peut être « chargé » via une opération consistant, schématiquement, à y substituer l’oxygène par de l’hydrogène. Une « greffe chimique », telle que la décrit Pierre-Emmanuel Casanova, qui nécessite toutefois un apport d’énergie. « Nous travaillons à optimiser l’impact énergétique de cette étape. Nous dérivons pour cela des technologies existantes afin de créer quelque chose de complètement nouveau. Cela fera prochainement l’objet d’un brevet », dévoile le président d’HySiLabs. Le dirigeant envisage ainsi d’ores et déjà la possibilité d’adosser des installations de « charge » à des infrastructures de production d’énergies renouvelables, elles-mêmes associées à des électrolyseurs. « Cela serait particulièrement cohérent : nous utiliserions ainsi de l’énergie propre, là même où l’hydrogène est produit », note Pierre-Emmanuel Casanova.
D’autant qu’une fois cette première étape franchie, le reste des opérations se poursuit sans le moindre apport énergétique. La décharge du vecteur, notamment, est en effet réalisée simplement en mélangeant l’Hydrosil à de l’eau, additionnée d’un catalyseur. « Il s’agit de cette fameuse réaction découverte par hasard par des chercheurs d’Aix-Marseille, rappelle le co-fondateur d’HySiLabs. La production d’hydrogène est simple, instantanée, sans aucun apport d’énergie. »
Autre vertu : une fois déchargé de son hydrogène, le vecteur silicé peut être récupéré, puis rechargé, sans générer le moindre déchet. Une circularité à laquelle s’ajoute l’avantage de la compatibilité de la solution avec l’ensemble des infrastructures et équipements actuels de transport de carburant : cuves, pipelines, mais aussi, donc, les fameux camions-citernes amenant essence ou gasoil jusqu’aux stations-service. « Si l’on se base sur un transport d’hydrogène à une pression de 200 bars, un camion-citerne d’Hydrosil représentera l’équivalent de sept camions de transport d’hydrogène à haute pression… », estime Pierre-Emmanuel Casanova, qui souligne également l’intérêt social et sociétal de l’approche : « Cela va permettre de garder tous les métiers liés au transport de liquides, sans avoir besoin de formation supplémentaire, coûteuse et contraignante ». Un avantage que l’entrepreneur espère voir s’illustrer dans les années à venir.
Prochain objectif : passer du kilo à la tonne…
À l’origine de douze familles de brevets – soit près de 70 brevets déposés à travers le monde –, HySiLabs a atteint en juin 2022, grâce à un premier démonstrateur, un stade de production de son vecteur de l’ordre du kilogramme quotidien. Quelques mois plus tard, fin janvier 2023, l’entreprise basée à Aix-en-Provence a par ailleurs annoncé la réalisation d’une levée de fonds de pas moins de 13 millions d’euros[1]. Objectif principal : multiplier d’un facteur mille l’échelle de sa production, comme l’explique Pierre-Emmanuel Casanova : « Nous espérons passer du kilo à la tonne… Et ce d’ici deux ans, deux ans et demi ». Le co-fondateur d’HySiLabs entrevoit ainsi d’ores et déjà la possibilité d’une nouvelle levée de fonds à cet horizon, afin de réaliser un nouveau saut d’échelle, et d’atteindre, in fine, une capacité de production d’Hydrosil de plusieurs centaines de tonnes par jour.
« Nous visons notamment le secteur de la mobilité, des stations-service, sur un modèle bulk to retail[2]. Nous avons toutefois aussi la volonté d’aller vers le transport lourd, notamment le maritime et le train diesel, pour lesquels il existe une forte demande », dévoile Pierre-Emmanuel Casanova.
Des ambitions qu’HySiLabs espère pouvoir concrétiser en nouant des partenariats stratégiques, comme l’explique son président : « Nous avons notamment un partenariat d’envergure avec le port d’Amsterdam, qui importe des quantités massives d’hydrogène, et nous sommes par exemple également impliqués dans le projet Sun-to-X, qui développe une nouvelle approche de production d’hydrogène. Notre volonté est de venir nous greffer à ces sites de transit ou de production innovante d’hydrogène. Ces partenariats stratégiques vont nous permettre de créer un environnement complet, une véritable chaîne de valeur qui fonctionne de A à Z ».
Mais pour aboutir, la solution a aussi besoin de bras – et de cerveaux – comme le souligne finalement le président et co-fondateur d’HySiLabs Pierre-Emmanuel Casanova : « Nous sommes à la recherche de nombreux profils… Nous sommes actuellement une vingtaine de collaborateurs, des ingénieurs à plus de 85 %, et nous visons un doublement de cet effectif d’ici un an ou deux ». L’appel est lancé !
[1] Opération de financement menée par Equinor Ventures, rejoint par le Fonds du Conseil européen de l’innovation (CEI), EDP Ventures et PLD Automobile, ainsi que des investisseurs de la première heure : Kreaxi, Région Sud Investissement et CAAP Création.
[2] Du gros au détail.
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