Rigidité versus extensibilité. Ces deux paramètres physiques qui caractérisent les matériaux polymères semblaient jusqu’à présent intimement couplés, forçant les scientifiques à sacrifier l’un au profit de l’autre lors du développement de nouveaux polymères : un matériau plus rigide était donc également moins extensible, et vice-versa.
Un couplage entre rigidité et extensibilité qui semblait insolvable
Depuis l’invention du premier polymère réticulé en 1839 par Charles Goodyear, ce couplage semblait insoluble et posait évidemment de nombreuses contraintes et limitations dans l’emploi et le développement de ces matériaux. De nombreux domaines, notamment le médical, sont en effet à la recherche de matériaux durables dans le temps, présentant une certaine rigidité, mais aussi capables de s’étirer et de se dilater sans se rompre. Des caractéristiques qu’il était jusqu’à présent difficile d’obtenir en raison de l’architecture des polymères réticulés. La formation de réseaux tridimensionnels via des liaisons chimiques entre les chaînes macromoléculaires entraîne en effet de fait un couplage entre rigidité et extensibilité. Pour obtenir un polymère plus rigide, il est ainsi d’usage d’ajouter davantage de réticulations au réseau polymère, tout en sachant que cela va produire une baisse de l’extensibilité et donc une plus grande fragilité du matériau face à une contrainte extensive.
Une structure plus complexe du brin polymère, en forme de « goupillon »
Pourtant, une équipe de l’Université de la Virginia School of Engineering and Applied Science vient de mettre à terre ce dogme en montrant qu’une dissociation des deux paramètres était bien possible, résolvant ainsi une problématique vieille de 200 ans !
Par les innombrables implications qu’elle ouvre pour le développement et l’utilisation des matériaux polymères, cette découverte a fait la une du journal Science Advances, dans lequel l’équipe de Liheng Cai présente ses résultats.
« Notre équipe a réalisé qu’en concevant des polymères ayant la forme de goupillons plissés capables de stocker de la longueur dans leur propre structure, nous pouvions découpler la rigidité et l’extensibilité – en d’autres termes, intégrer l’extensibilité sans sacrifier la rigidité » explique Liheng Cai dans un communiqué. Une approche novatrice qui se concentre sur la conception moléculaire des brins du réseau plutôt que sur les liaisons entre les chaînes de polymères elles-mêmes.
Au lieu de produire des brins de polymères linéaires, les chercheurs ont en effet créé une structure qui ressemble à un goupillon : de nombreuses chaînes moléculaires latérales flexibles rayonnent à partir d’un brin central intensément plissé sur lui-même. Lorsque le matériau est étiré, ce brin central peut alors se déplier comme un accordéon sans perdre la rigidité qui lui est donnée par les chaînes latérales. Cette longueur supplémentaire « cachée » permet ainsi d’étirer le matériau jusqu’à 800 % de sa longueur initiale, sans endommager le matériau. Lorsque la tension est relâchée, le polymère revient ainsi à sa forme initiale. Ce contrôle indépendant sur la rigidité et l’extensibilité est une véritable première. La stratégie développée semble d’autant plus intéressante qu’elle n’est pas restreinte à un type de polymère particulier. Cette structure peut en effet s’appliquer de manière « universelle », comme l’annoncent les chercheurs dans le titre de leur article.
Une structure imprimable en 3D qui ouvre la voie à de très nombreuses applications
À noter que ces polymères ramifiés sont composés d’au moins deux polymères différents : l’un pour les chaînes latérales, et l’autre pour le brin central. Les combinaisons possibles offrent ainsi une très large gamme d’applications, avec des caractéristiques jusqu’à présent inexistantes. En ajoutant des nanoparticules conductives, comme des nanotiges d’argent ou d’or, il semble ainsi possible de produire des matériaux qui trouveront un champ d’application dans le tout nouveau champ de l’électronique extensible. De plus, cette structure de polymère a été pensée pour être imprimable en 3D, ce qui devrait faciliter son utilisation dans des domaines extrêmement variés. Les nouveaux systèmes robotiques, à la recherche de matériaux pouvant mimer les tissus organiques comme les muscles, seront ainsi certainement preneurs de cette nouvelle structure polymère.
Le domaine médical devrait également être fortement intéressé par ces nouveaux résultats. Les scientifiques envisagent en effet de nombreuses applications pour la fabrication de prothèses et d’implants médicaux.
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