En lançant la filière nucléaire à marche forcée dans la construction de six nouveaux EPR, le Gouvernement la met face à un mur de recrutements. Plusieurs familles de métiers étant en situation critique, se pose la question de l’étalement des chantiers.
Les parlementaires n’ont pas encore eu l’occasion de donner leur avis sur la politique nucléaire de la France, mais toute la filière est déjà sur le pont pour organiser la construction de six nouveaux réacteurs EPR 2. Au-delà du déni démocratique que représente ce choix acté par le pouvoir exécutif (dès le discours de Belfort d’Emmanuel Macron en 2022) sans l’aval du pouvoir législatif, de nombreuses incertitudes se font jour : quel sera réellement le design de ces EPR par rapport à la tête de série de Flamanville ? Dans quels délais trois paires de réacteurs peuvent être réellement construites sur les sites déjà existants de Penly, Gravelines et Bugey ? À quel coût ? Et avec quels nouveaux besoins en amont pour l’approvisionnement et l’enrichissement de l’uranium, et en aval pour le traitement des déchets radioactifs ? Alors qu’EDF vient d’annoncer de nouveaux retard et surcoût du chantier EPR d’Hinley Point C au Royaume-Uni, on pourrait penser que le projet industriel français dépasse les forces d’une filière ayant vécu de nombreux déboires ces dernières années. Voire qu’il serait plus raisonnable de l’abandonner pour concentrer nos moyens sur la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables…
Remise en question de la filière nucléaire
Mais si le Gouvernement persiste, une des questions les plus vivaces porte sur les ressources et les compétences nécessaires à cette relance de l’atome. Un cabinet de conseil spécialisé, Sia Partners, a étudié le sujet en partant du constat que la filière avait effectivement eu un passage à vide entre la fin du premier programme nucléaire (de 1977 à 1999) et la pose du premier béton de l’EPR de Flamanville en 2007. Cette « mise en sommeil durable » a été renforcée par le fait que l’accident de Fukushima au Japon en 2011 a freiné l’envie de lancer d’autres EPR. De plus, l’examen des retards successifs et de l’augmentation des coûts de l’EPR de Flamanville dans le rapport Folz en 2019 a froidement posé sur la table une « perte généralisée des compétences, leur gestion faillible ainsi qu’une gouvernance de projet inappropriée ».
Consciente de devoir remonter la pente pour être crédible, la filière – au premier chef desquels EDF et Framatome – a revu sa façon de gérer les compétences et ses programmes de formation. Un minimum pour assurer la qualité des missions d’un bout à l’autre de la chaîne d’un projet si complexe d’EPR. Mais encore faut-il arriver à recruter ! Comme toutes les autres filières industrielles, l’industrie électronucléaire est en déficit de profils dans plusieurs familles de métiers « considérées comme critiques pour tenir les objectifs de construction de six nouveaux EPR ». Certaines sont en tension de manière globale en France, d’où une concurrence qui ne facilitent pas les recrutements (ingénieries des procédés, travaux électriques, contrôle et qualité, gestion de projet), mais d’autres, spécifiques au nucléaire, sont dans une situation encore plus critique (radioprotection, soudage et travaux mécaniques, génie civil, sûreté nucléaire).
Étaler le rythme de construction des EPR
Face à ce défi des ressources humaines, Sia Partners évoque deux options différentes de construction à partir de mai 2027. La première est la tenue simultanée des six chantiers qui donnerait l’avantage (en théorie, si tout se passe bien) de réaliser une mise en service rapide et quasi simultanée des réacteurs entre 2035 et 2038, et de permettre une optimisation des coûts globaux. Mais, revers de la médaille, cette construction simultanée « générerait des pics de charges conséquents, auxquels il faudrait répondre dans des délais très courts ». En l’occurrence, un pic de près de 21 000 équivalents temps plein (ETP) serait atteint à mi-chantier ce qui, selon le cabinet de conseil, ne serait pas faisable. De plus, la tenue des chantiers en parallèle limiterait la possibilité d’échanges et de retours d’expériences, sans parler de la « problématique majeure de reconversion » des employés à la fin des chantiers.
L’autre option est de mener chaque paire d’EPR en cascade, en espaçant leurs chantiers de 40 mois. Dans ce cas, les constructions seraient étalées dans le temps, créant un plateau de huit années pendant lesquelles seraient mobilisés entre 10 000 et 11 700 ETP (voir graphe). Inconvénient, le dernier doublet de réacteurs ne serait livré qu’en 2043, sous couvert de ne pas avoir de probables « retards en chaîne engendrés par la dépendance des plannings entre chantiers ».
Même si le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (GIFEN) a un programme dédié à « la mise en concordance de la charge et des ressources » pour les dix prochaines années, la filière n’est pas au bout de ses peines en termes de recrutement. À moins de faire appel à de la main-d’œuvre étrangère, comme dans les années 1970-80 ?
Voilà bien un commentaire d’un fervent de Négawatt ! Cette association faussement « écolo » (car l’écologie est une noble science) prône la sobriété contrainte, et surtout des énergies renouvelables mais hélas intermittentes pour chasser le nucléaire honni.
Problèmes (et de taille !) : les français, comme leurs voisins, n’ont pas envie d’une régression dans leur niveau de vie et dans leur confort. De plus, une énergie produite par le vent ou le soleil est incapable de satisfaire leurs besoins, car l’équilibre entre production et consommation est absolument nécessaire pour que le réseau électrique ne s’effondre pas (blackout). Donc, Négawatt, c’est utopique et ça ne marche pas.
NB : ceux qui répliquent « stockage de l’électricité » n’ont rien compris : ça n’existe pas, à l’échelle du problème évidemment.
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